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Comment une infection chronique détourne l’attention du système immunitaire

31 juillet 2018 | Stéphanie Thibault

Mise à jour : 5 novembre 2020

La professeure Simona Stäger et son équipe de l’INRS ont découvert un mécanisme qui amène l’organisme à saboter lui-même le contrôle de l’infection de la leishmaniose viscérale, une maladie tropicale mortelle. Cette découverte pourrait contribuer à lutter contre les infections chroniques.  

Simona Stäger

Comme plusieurs infections chroniques, la leishmaniose viscérale déjoue les défenses immunitaires pour s’installer confortablement dans son hôte. Causant des dizaines de milliers de décès chaque année à travers le monde, la leishmaniose viscérale mérite tristement le statut de seconde cause de mortalité par maladie parasitaire, derrière la malaria. Mais comment arrive-t-elle à contourner les défenses de son hôte? L’équipe de la professeure Simona Stäger de l’INRS a découvert un mécanisme dont Leishmania donovani tire profit pour maintenir l’infection.

Elle a démontré que les dommages subis à la suite de l’inflammation chronique induisent la mort de globules blancs essentiels pour éliminer le parasite. Non seulement les résultats, publiés dans la prestigieuse revue Cell Reports, ont le potentiel de mener à un traitement, mais ils lèvent en plus le voile sur un phénomène qui pourrait être commun à d’autres infections chroniques.    

Défenses réduites

Au cœur de la réponse immunitaire, les cellules T CD4 sont essentielles pour contrôler une infection. Ce type de globules blancs participe à la réponse immunitaire en signalant la présence d’un pathogène afin qu’il soit éliminé. Pour ce faire, les cellules T CD4 produisent une molécule appelée interféron gamma (IFN-γ) qui activera les cellules qui détruisent les pathogènes.    Dans le cas de la leishmaniose viscérale, les cellules T CD4 exprimant l’IFN-γ apparaissent plus tardivement qu’on l’attendrait lors d’une infection et elles sont en petit nombre, une situation jusqu’à présent inexpliquée. « Maintenant, on a trouvé la raison pour laquelle il y en a si peu », affirme la professeure Stäger. « Malheureusement, ces cellules protectrices meurent! »    

Découverte d’un mécanisme des infections chroniques

Afin de comprendre comment survient la mort des cellules T CD4, les chercheurs ont suivi une piste identifiée dans une de leurs récentes études. Ils avaient remarqué la présence d’un facteur de transcription inhabituel pour ces cellules. Un facteur de transcription est une protéine qui module l’activité d’un ou de plusieurs gènes. Le facteur détecté, IRF-5, est connu pour son action dans les cellules de l’immunité innée, mais son rôle était totalement inconnu chez les cellules T CD4.  

Les nouveaux résultats de la professeure Stäger démontrent qu’IRF-5 mène les cellules T CD4 exprimant l’IFN-γ à s’autodétruire. Remontant le fil des événements moléculaires, l’immunologiste a épinglé le déclencheur de cette mort cellulaire inattendue : la destruction des tissus.  Suivant une série de réactions dont les détails sont encore à élucider, les restes de tissus détruits activent des signaux qui n’étaient connus chez les cellules T CD4 exprimant IFN-γ et les mènent à la mort.  

Ainsi, dans le contexte de l’infection chronique et au bénéfice du parasite, les globules blancs qui orchestrent l’attaque sont éliminés. Non pas par le parasite, mais par un processus biologique de l’hôte. De fait, ce mécanisme pourrait également être présent pour d’autres infections chroniques au cours desquelles l’inflammation s’installe.  

Modèle.
© INRS  

L’importance de mieux comprendre les rouages de ce processus a permis à la professeure de l’INRS d’obtenir un financement d’un million de dollars des Instituts de recherche en santé du Canada. L’activité cellulaire induite par IRF-5 dans les cellules immunitaires pourrait en effet dissimuler des cibles thérapeutiques encore inconnues pour la leishmaniose viscérale, mais également pour d’autres maladies inflammatoires chroniques.  

Détails du mécanisme de signalisation

L’étude présentée par l’équipe de la professeure Simona Stäger propose un mécanisme impliquant le récepteur TLR7 (Toll-like Receptor 7), habituellement activé chez les cellules du système immunitaire inné par la reconnaissance d’un pathogène. Dans le cas d’une inflammation chronique, les résidus cellulaires présents à la suite de la destruction tissulaire activent TLR7 chez les cellules T CD4 exprimant l’IFN-γ. L’activation de TLR7 induit l’expression et l’activation d’IRF-5, qui à son tour augmente l’expression de DR5 (Death Receptor 5) et de la caspase 8, deux éléments de la signalisation menant à la mort cellulaire.  Ainsi, l’inflammation chronique induit la mort des cellules T CD4 protectrices par la voie cellulaire de TLR7-IRF-5.

À propos de cette publication

L’article intitulé IRF-5 promotes cell death in CD4 T cells during chronic infection (DOI: 10.1016/j.celrep.2018.06.107) paraîtra le 31 juillet 2018 dans la revue Cell Reports. Les auteurs Aymeric Fabié (étudiant au doctorat dans le labo de Dre Stäger), Linh Thy Mai (étudiante à la maitrise dans le labo de la professeure Stäger), Xavier Dagenais-Lussier (étudiant au doctorat dans le labo de Julien van Grevenynghe), Akil Hammami (étudiant au doctorat dans le labo de Dre Stäger), Julien van Grevenynghe et Simona Stäger, tous de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS), ont réalisé leurs travaux grâce au soutien financier des Instituts de recherche en santé du Canada et de la Fondation de recherche Banting.