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Des expertises et des bactéries qui voyagent

27 juillet 2023 | Alexandra Madoyan Trautmann

Mise à jour : 28 juillet 2023

Le professeur Frédéric Veyrier a passé six mois à l’Institut Pasteur de Nouvelle-Calédonie en tant que superviseur d’une équipe pour des recherches en génomique.

Nouméa, Nouvelle-Calédonie. Photo : Adobe Stock

À l’occasion d’un récent déplacement de six mois à Nouméa, chef-lieu de Nouvelle-Calédonie, le professeur Frédéric Veyrier a entériné la création officielle d’un groupe de recherche dédié à l’étude de maladies tropicales. Depuis déjà trois ans, le spécialiste en bactériologie génomique collaborait à distance avec ses homologues de l’Institut Pasteur de Nouvelle-Calédonie (IPNC), également membres du Pasteur Network. Ce voyage est rendu possible, entre autres, grâce à un financement Calmette & Yersin de l’Institut Pasteur dédié aux scientifiques du Pasteur Network.

« Ce séjour a représenté une excellente opportunité de renforcer les liens déjà tissés. Le plus admirable, c’est la complémentarité des expertises qu’on observe dans l’équipe, à la fois en recherche fondamentale et en recherche appliquée. »

Frédéric Veyrier, professeur en bactériologie génomique à l’INRS

Les recherches sur les maladies endémiques au-delà des frontières

Le professeur Frédéric Veyrier s’intéresse à plusieurs maladies causées par des bactéries comme la leptospirose, transmise à l’humain par les rongeurs et d’autres animaux sauvages ou domestiques. Cette maladie, bien que présente partout dans le monde, est plus répandue dans les régions tropicales. En Nouvelle-Calédonie, cette maladie est endémique. Les travaux du spécialiste se penchent aussi sur l’évolution des résistances aux antibiotiques notamment des bactéries Haemophilus influenzae et Neisseria gonorrhoeae.

« Même si certaines de ces maladies se retrouvent aussi bien au Canada qu’en Nouvelle-Calédonie, elles ne présentent pas forcément les mêmes souches ni les mêmes formes d’antibiorésistance. La comparaison entre différentes régions permet de pousser toujours plus loin notre compréhension d’une maladie, et donc des manières de la combattre », explique Frédéric Veyrier, joint lors de ses dernières semaines dans l’archipel.

Sur place, la présence du Centre Hospitalier Territorial Gaston-Bourret (CHT), directement lié à l’IPNC revêtait une grande importance pour le professeur québécois : cette configuration des infrastructures offre un accès direct à un département de médecine et à des laboratoires de diagnostics.

La Nouvelle-Calédonie représente par ailleurs un cas spécifique dans l’étude de certaines maladies. Territoire français constitué de dizaines d’îles dans le Pacifique Sud, cet archipel est moins touché par le tourisme de masse, contrairement à d’autres régions du monde ; son économie d’import-export demeure également modeste et surtout bien contrôlée y compris pour les antibiotiques. L’écosystème s’avère moins complexe et certaines bactéries y évoluent d’une manière unique et restreinte par la situation insulaire. L’étude de l’évolution des résistances aux antibiotiques dans ce contexte est ainsi particulièrement intéressante dans cette région.

Faire avancer la recherche par le partage des connaissances

En plus de permettre des avancées au bénéfice de la recherche, le séjour du professeur Veyrier à Nouméa aura également permis d’instaurer des liens durables entre les équipes de différents établissements.

Un programme de maîtrise est en pourparlers entre l’INRS et l’Université de Nouvelle-Calédonie – programme qui permettra à des étudiants calédoniens et québécois de passer facilement d’une université à l’autre, selon les besoins dictés par la recherche.

Professeur Frédéric Veyrier

« On souhaite continuer à travailler tous ensemble à l’avenir. Ces initiatives sont pensées pour catalyser la recherche et pour renforcer des liens personnels en plus des liens scientifiques. Cela me semble primordial pour assurer une bonne cohésion, même à distance. »

Frédéric Veyrier, professeur en bactériologie génomique à l’INRS

Le professeur Veyrier a également profité de ce déplacement pour dispenser des conférences en Australie, d’abord au Doherty Institute for Infection and Immunity à Melbourne, à la University of Sydney, puis à la University of Queensland à Brisbane. Une occasion de plus pour faire rayonner la recherche québécoise à l’international et élargir le cercle des participants.

Le stage de recherche : voyager pour ses travaux de doctorat

L’étudiante Eve Bernet, qui travaille dans l’équipe du professeur Veyrier, a aussi eu la chance de passer trois mois à l’IPNC pour un stage de recherche grâce à une bourse Calmette et Yersin qui soutient les scientifiques du Pasteur Network. Une façon concrète de démarrer la collaboration étroite entre les deux établissements. 

« À l’INRS, chaque scientifique est plus spécialisé, on est dans la recherche fondamentale. À l’IPNC, on est dans la recherche terrain ou de solutions aux problèmes du moment grâce à un lien fort avec les patients et l’hôpital. Ces deux rapports à notre métier et ces différents rythmes ont représenté une très grande richesse dans nos échanges et dans les possibilités de travail d’équipe. »

Eve Bernet, doctorante en microbiologie

L’étudiante au doctorat en microbiologie s’intéresse à l’évolution du genre Neisseria, des bactéries dont l’une des espèces provoque la gonorrhée.

Habituellement, la bactérie Neisseria gonorrhoeae mute avec une certaine rapidité. Comme la Nouvelle-Calédonie est composée d’un ensemble d’îles, les bactéries y évoluent toutefois de manière décalée, voire isolée. Les échanges et les évolutions des différentes populations bactériennes peuvent ainsi être observés plus aisément que dans d’autres parties du globe. La compréhension de ces étapes évolutives permettra de développer de potentiels traitements.

L’étudiante Eve Bernet dans le laboratoire à l’INRS.

À l’IPNC, Eve Bernet a profité pendant quelque mois d’un co-encadrement par le Dr. Julien Colot, directeur de l’équipe bactériologique, médicale et environnementale et travaillant à la fois pour l’IPNC et pour le CHT. Ils jouissent d’une remarquable banque de plus de milliers échantillons, soit les souches collectées par l’IPNC/CHT depuis 2003. Après avoir extrait et séquencé l’ADN de ces souches, Eve en effectuera l’analyse génétique, toujours en collaboration avec l’IPNC, pour en obtenir les génomes, les comparer avec les différentes souches et observer leurs évolutions.

Un réseau international à l’origine de cette collaboration

Le Pasteur Network est un réseau mondial dédié à la recherche. Regroupant une trentaine d’établissements à travers le monde, le Pasteur Network agit comme tremplin pour une communauté de plusieurs centaines de professeurs des quatre coins de la planète. C’est grâce à ce réseau que Frédéric Veyrier et son étudiante Eve Bernet ont pu créer des liens avec leurs collègues de Nouvelle-Calédonie.

L’INRS est le seul membre du Pasteur Network en Amérique du Nord ; ce statut privilégié lui permet de faire valoir les expertises pointues de ses professeurs au sein de cette communauté. Ainsi, la construction d’un partenariat prolongé avec l’Institut Pasteur de Nouvelle-Calédonie viendra encore renforcer cet important réseau de portée internationale.