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Essentiels aux technologies vertes et dans un nombre grandissant de secteurs économiques, les éléments de terres rares (ÉTR) soulèvent des enjeux stratégiques de taille. Difficiles à extraire de façon rentable, complexes à purifier, les ÉTR proviennent principalement de la Chine, dont l’industrie utilise une part de plus en plus grande de la production. Exploitation de nouveaux gisements, recyclage, recherche de matériaux de remplacement, toutes les avenues sont explorées pour éviter une crise liée à cette ressource cruciale.
Sur la carte satellite, Bayan Obo ressemble à un personnage dessiné par un enfant, ses deux immenses cratères faisant office d’yeux. Cette mine à ciel ouvert de la Mongolie intérieure, en Chine, est la première productrice mondiale d’ÉTR, métaux très prisés pour leurs propriétés magnétiques et spectroscopiques. Depuis quelques années, on cherche à concurrencer le géant chinois afin de stabiliser l’approvisionnement en ÉTR. Mais l’exploitation de ces éléments est semée d’embûches.
À l’ère des technologies mobiles, des écrans plats et des technologies vertes, les propriétés des ÉTR sont extrêmement utiles, notamment pour la production des aimants très puissants placés au cœur des turbines des éoliennes et des disques durs des ordinateurs. On trouve les ÉTR dans les ampoules DEL, les lasers, les piles rechargeables ou encore les moteurs électriques. La liste de leurs applications s’allonge… alors que le doute plane quant à leur disponibilité future.
En effet, la Chine favorisant son industrie intérieure, les tonnages d’ÉTR qu’elle exporte diminuent. Et bien que les terres rares ne soient pas géologiquement rares, les sites où leur concentration est suffisante pour l’exploitation ne sont pas légion. À l’heure actuelle, même si de nombreux gisements potentiels ont été trouvés au Canada, aucune extraction n’est faite.
De forts tonnages d’ÉTR au Québec
Marc Richer-Laflèche, géochimiste et professeur à l’INRS, s’intéresse à l’exploration minière. Il explique qu’on tire la plus grande portion des ÉTR des carbonatites : « Ce sont des roches magmatiques alcalines qu’on trouve en bordure de certaines structures de faille, comme dans le rift du Saguenay, mais aussi à Oka. » Il ajoute que le Québec est choyé en ce qui a trait aux réserves de terres rares : en plus de ces formations de carbonatite, la province recèle, dans la région de Kipawa au Témiscamingue, de grandes quantités de ces métaux qui sont associées à un complexe intrusif syénitique.
Au moment de la découverte des terres rares, on croyait avoir affaire à un seul métal, et pour cause : les éléments de cette famille sont non seulement très similaires, mais en plus, ils se présentent toujours sous forme de mélange. Et puisque ces métaux réagissent de façon quasi identique, les chimistes ont peiné à mettre au point des procédés pour les séparer. Chaque gisement étant unique, les procédés doivent être adaptés aux propriétés de chacun. Cette expertise est aujourd’hui détenue presque uniquement par les Chinois. « Il faudra se réapproprier toute la métallurgie des terres rares pour développer cette filière », admet Mario Bergeron, professeur spécialisé dans la chimie des minéraux à l’INRS. « Les universités ont un rôle à jouer pour développer des procédés plus propres, plus simples et permettant de concurrencer le marché chinois. »
M. Bergeron parle en connaissance de cause, son équipe ayant participé à la conception d’un procédé pour simplifier l’extraction des ÉTR d’un gîte québécois en collaboration avec la Société Iamgold. Le gîte de Saint-Honoré, près de la rivière Saguenay, est voisin d’une mine de niobium et appartient à la compagnie Magris Resources depuis peu. Près de huit millions de tonnes d’oxydes de terres rares y sont présentes, un tonnage considérable. À titre comparatif, les mines de Bayan Obo renferment environ 40 millions de tonnes de ces minéraux.
Le thorium, problème ou opportunité?
Les formations alcalines de Saint-Honoré, de Bayan Obo ou de Mountain Pass aux États-Unis ne sont pas uniquement riches en ÉTR. Le thorium y est présent en bonnes quantités, ce qui représente un problème pour l’exploitation minière. En effet, le thorium est radioactif et le procédé d’extraction des ÉTR concentre cet élément dans les rejets miniers. « En raison de la présence de ce métal, les résidus miniers de Bayan Obo sont considérés comme des déchets nucléaires, souligne Mario Bergeron. Sans modification des procédés d’extraction, nous ferions face au même problème. La méthode de traitement que nous avons mise au point change la donne. Le thorium peut dorénavant être séparé efficacement et entreposé de façon sécuritaire. »
C’est qu’on envisage d’utiliser le thorium comme combustible pour une prochaine génération de réacteurs nucléaires plus sécuritaires que ceux actuellement en activité. Considéré par certains comme la source d’énergie du futur, le thorium qui accompagne les ÉTR dans les gisements pourrait éventuellement devenir un sous-produit rentable, au lieu de représenter un déchet nuisible.
Écosystèmes sous surveillance
Il n’en demeure pas moins que les activités minières produisent des résidus et perturbent le milieu. « En ce qui concerne la toxicité des ÉTR, on part pratiquement de zéro », affirme Claude Fortin, spécialiste de la biogéochimie des métaux et professeur à l’INRS, qui participe à une étude écotoxicologique sur les terres rares, un projet de recherche financé notamment par Environnement Canada, le Conseil de recherche en sciences naturelles et en génie du Canada et le Fonds de recherche du Québec. « À l’heure actuelle, nous vérifions les concentrations à partir desquelles les ÉTR ont un effet toxique sur les algues. D’autres chercheurs du projet analysent les petits crustacés. On travaille à la base de l’écosystème. »
L’intention est non seulement de fournir des informations sur les seuils d’exposition, mais également d’identifier des espèces sentinelles pour suivre les effets de l’exploitation d’un site. « Ces données nous donneront les outils nécessaires pour cibler les interventions et, dans une certaine mesure, pour mieux planifier les opérations d’exploitation », conclut le professeur Fortin.
D’autres solutions pour assurer l’approvisionnement
Le potentiel québécois pour la production d’ÉTR est bien réel, mais de grands efforts devront être consentis pour exploiter les gîtes de façon responsable. D’autres stratégies sont donc à considérer pour assurer l’approvisionnement à court et à moyen terme.
À titre d’exemple, plusieurs pays, dont la France, la Belgique et le Japon, ont lancé des projets de recyclage des ÉTR, remettant sur le marché une quantité non négligeable de terres rares. Du côté des laboratoires de recherche, certaines équipes cherchent à remplacer les ÉTR par d’autres éléments dans les applications technologiques. D’autres explorent des façons de réduire la quantité de métaux nécessaires pour remplir leurs fonctions.
Heureusement, ce ne sont pas toutes les applications qui requièrent de grandes quantités d’ÉTR, comme en témoigne le chimiste Fiorenzo Vetrone, professeur à l’INRS : « Mon laboratoire assemble des nanoparticules qui tirent profit des propriétés spectroscopiques des terres rares, explique-t-il. Elles nous permettent d’utiliser une nanoparticule pour remplir plusieurs fonctions dans les applications biomédicales. Par exemple, nous pouvons utiliser les nanoparticules pour visualiser une cellule, puis les stimuler pour qu’elles relâchent un médicament… ou tuent la cellule. » Le tout assisté de lasers, d’ordinateurs et d’une foule de technologies qui reposent aussi sur ces quelques éléments stratégiques.
Incontournables, les terres rares? Elles ont certainement contribué à faire de notre époque ce qu’elle est. La demande pour ces éléments croît à un moment où les connaissances scientifiques et techniques sont en mesure de réduire les impacts environnementaux de leur exploitation. Car les cicatrices de Bayan Obo ne se limitent pas à la croûte terrestre : elles s’étendent aux rivières, à l’écosystème ainsi qu’à des villages entiers. Un portrait dont les leçons inspireront le Québec dans la voie du développement responsable.
Source: Magazine 49e Parallèle, Vol. 3 No. 2, printemps 2015, pp. 17-19.
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