- Portée de la recherche
« La portée de la recherche : un partenariat avec… » nous fait découvrir des projets réalisés à l’INRS en partenariat avec des organisations œuvrant au-delà des milieux scientifiques habituels et dont les résultats ont un impact sur la société.
Le xanthomonas est une bactérie nuisible qui s’attaque aux plantes.
Xanthomonas. Ce n’est pas le nom exotique d’une destination vacances. Ce mot désigne plutôt une bactérie nuisible à des variétés de plantes, dont certaines servent à la consommation humaine. « Au Québec, on la retrouve particulièrement dans la laitue, les tomates, les fraises et les noix », explique Eric Déziel, professeur en sociomicrobiologie à l’Institut national de la recherche scientifique (INRS). « L’infection qu’elle cause n’apparaît pas si souvent, mais lorsqu’elle survient, elle peut entraîner des dommages très importants et de grandes pertes pour les agriculteurs. »
Jusqu’à maintenant, ces derniers s’en remettaient à des antibiotiques et à des produits chimiques de synthèse, pour prévenir cette catastrophe. Mais nous sommes à l’ère où une réduction de leur utilisation dans les champs est fortement encouragée, voire réglementée. Qui plus est, la popularité des produits nés de l’agriculture biologique et organique est en constante augmentation auprès de la population qui en redemande. C’est en réponse à ces attentes et à cette forte tendance que le produit novateur, issu des laboratoires du Centre Armand-Frappier Santé Biotechnologie, a été conçu.
Tout commence en 2011 alors qu’une première compagnie, Agri-Néo, fait appel aux connaissances d’Eric Déziel. « Leur demande était très précise. Ils souhaitaient développer une solution biologique antimicrobienne pour contrôler les infections bactériennes de Xanthomonas », indique le professeur Déziel, alors peu familier avec le domaine de l’agriculture et de la problématique très pointue dont il était question. Cependant, les bactéries et les microbes font partie de son expertise depuis longtemps puisqu’il est spécialisé en multicellularité bactérienne.
Il accepte donc de relever le défi. Durant six ans, son équipe, en partenariat avec Agri-Néo, développe en laboratoire un antimicrobien spécifique à la lutte au Xanthomonas. Plus précisément, elle isole d’abord des bactéries bénéfiques naturelles prélevées directement dans les champs. Puis, elle se sert du métabolite que produit cette bactérie pour créer la solution biologique. Utiliser le métabolite bactérien plutôt que la bactérie elle-même est une approche différente de tout ce qui se faisait dans le domaine jusqu’à présent. Diverses subventions viennent appuyer le projet, dont une importante du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG).
Or, en 2017, alors que les travaux sont déjà très avancés et les résultats probants, une nouvelle orientation d’affaires entraîne Agri-Néo à se retirer du projet. Bonne joueuse, l’entreprise pousse sa collaboration jusqu’à trouver une relève à qui céder sa propriété intellectuelle. De là est né le partenariat avec Agro-100, anciennement Axter Agroscience.
« De mon côté, je ne voulais pas laisser tomber des recherches subventionnées dans lesquelles nous avions mis beaucoup d’efforts. »
Eric Déziel, professeur et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en sociomicrobiologie
Au moment où Agro-100 reprend le relais d’Agri-Néo, la preuve est faite que la solution développée jusqu’alors fonctionne in vitro. Le nouveau duo se lance dans l’étape suivante : faire basculer les essais du laboratoire pour s’assurer que les résultats obtenus se maintiennent in vivo.
La compagnie se spécialise en engrais et en solutions fertilisantes agricoles. Elle voulait ajouter à sa gamme de produits traditionnels des produits bios qui aideraient les agriculteurs à répondre à la demande des consommateurs en matière d’alimentation.
« Il y avait une correspondance réelle entre le projet d’Eric et ce que nous cherchions. Nos besoins se rejoignaient. »
Pierre Migner, directeur développement de produits et formation agronomique d’Agro-100
C’est tout de même un défi de relancer un partenariat de zéro. « Ce qui a beaucoup aidé, c’est que Pierre est lui-même un scientifique. Il est diplômé en agronomie et en physiologie végétale et comprend ce que l’on fait », fait valoir le professeur Déziel.
S’ajoute à ce facteur facilitant une série d’attitudes gagnantes. Se mettre à la place du partenaire. Prendre le temps d’expliquer ses besoins. Soutenir des efforts de vulgarisation. Assurer une collaboration constante. Et y croire beaucoup.
Les deux parties y consacrent toutes les ressources nécessaires. « Un de mes étudiants au postdoctorat travaille exclusivement là-dessus, indique Eric Déziel. Les gens d’Agro-100 ont investi dès le départ dans une serre dont un employé s’occupe à temps plein. En plus d’engager deux consultants pour voir au développement du produit ».
Aujourd’hui, entre les demandes d’homologation et la mise en marché, c’est tout le volet de la commercialisation qui occupe les partenaires.
« Après validation, nous savons que le produit développé par l’équipe d’Eric en laboratoire est comparable, lorsqu’utilisé au champ, aux produits synthétiques qui servent déjà en agriculture, souligne Pierre Migner. Notre rôle, c’est maintenant d’en faire un produit vendable en portant cette solution du bécher au contenant de 10 litres qui servira aux agriculteurs. »
Car c’est précisément avec les exploitants et les représentants agricoles qu’Agro-100 transige au quotidien. « Ils sont notre clientèle. C’est une bonne chose d’amener les agriculteurs à diminuer leur utilisation de produits chimiques pour correspondre aux nouvelles valeurs des consommateurs. Mais pour ce faire, il faut leur proposer une solution qui leur facilite la tâche », poursuit monsieur Migner.
Si l’expérience professionnelle du directeur développement de produits et formation agronomique d’Agro-100 s’avère essentielle dans ce maillon de la chaîne, le professeur Déziel en demeure un acteur incontournable.
« Eric continue de jouer un rôle très important, ne serait-ce que dans le niveau de confiance des agriculteurs envers le produit. Qu’il soit issu d’un travail poussé avec un chercheur indépendant, cela fait une différence. »
Pierre Migner
Le directeur ajoute que l’apport de son collègue dans les nombreuses démarches qui concernent la réglementation et le brevetage brevet est précieux. « Il est capable de voir des choses que je n’aurais pas vues, rapporte-t-il. Par exemple, des subtilités qui nous permettent de nous distinguer de la concurrence. Nos expertises sont réellement complémentaires. »
« Nos échanges continuent d’être constants, confirme Eric Déziel. Nous nous parlons chaque semaine. Je suis maintenu au courant de façon très étroite de tous les détails qui concernent la commercialisation du produit. Au besoin, on se réoriente, on se met d’accord. »
À l’aube de voir leur collaboration porter ses fruits sur le marché, Eric Déziel et Pierre Migner répèteraient l’expérience sans hésitation. En plus d’un produit destiné à un bel avenir dans le monde agricole, la production d’une série de publications a attiré l’attention de la communauté scientifique.
Qui plus est, les partenaires soutiennent qu’ils ont beaucoup appris, de part et d’autre, dans cette aventure. « Dans mon cas, sur le domaine de l’agriculture. Mais également sur ce que ça représente de passer d’une idée à la commercialisation d’un produit », précise le professeur Déziel.
« Du côté d’Agro-100, sur le plan opérationnel, le travail de proximité avec l’équipe d’Eric nous a amenés à renforcer notre rigueur sur le plan de la recherche », estime son directeur développement de produits.
Les deux hommes affirment de concert que les liens établis entre eux leur ont permis d’élargir leurs réseaux professionnels respectifs. De fait, leur entente s’est si bien déroulée que de nouveaux projets en commun sont dans l’air. « Au fil des développements, nous avons fait des découvertes qui pourront servir dans la création d’autres biofertilisants pour le contrôle de divers types d’infections », se réjouit Eric Déziel.
« Des portes s’ouvrent pour nous. Tout ce qui touche l’écosystème microbien des plantes et leur interaction avec l’environnement connait une croissance rapide en agronomie », confirme Pierre Migner.
Bref, il y a de bonnes raisons de croire que le domaine est plein d’avenir pour des collaborations.
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