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La portée de la recherche : Décoder le mouvement des glaces des rivières québécoises grâce aux images satellites

4 novembre 2021 | Collaboration spéciale : Brigitte Trudel

Mise à jour : 5 mai 2023

La portée de la recherche : un partenariat avec… » nous fait découvrir des projets réalisés par les professeures et professeurs de l’INRS en partenariat avec des organisations œuvrant au-delà des milieux scientifiques habituels et dont les résultats ont un impact sur la société.

L’hiver approche et, avec lui, la nécessité de surveiller la formation des glaces sur les rivières du Québec. IceMAP-R, un outil indispensable développé en partenariat par l’équipe de Monique Bernier de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS) et le ministère de la Sécurité publique (MSP), permet d’y arriver de façon très efficace.

« Chaque année, de concert avec les autorités municipales, on surveille de 15 à 20 rivières sujettes aux problèmes d’inondation dans différentes régions de la province. Au printemps, dans les temps forts de dégel, nos heures de sommeil sont parfois réduites », blague Serge Légaré, conseiller en sécurité civile au Centre des opérations gouvernementales (COG) relevant MSP.

Cela dit, le processus était bien plus compliqué il y a une vingtaine d’années.

« La surveillance se faisait uniquement sur le terrain ou à l’aide de photos prises par avion. Mais l’accès à certains endroits était difficile. De plus, la possibilité d’obtenir un point de vue global des cours d’eau n’existait pas. Sans compter que cette manière de faire était coûteuse. Les choses ont changé en mieux grâce à IceMAP-R. »

Serge Légaré, conseiller en sécurité civile au Centre des opérations gouvernementales (COG)


Un outil novateur

IceMAP-R, c’est l’algorithme de cartographie de la glace développé conjointement par le MSP et l’équipe de Monique Bernier au Centre Eau Terre Environnement de l’INRS. Sa particularité ? Il fonctionne à partir d’images radar provenant de satellites de l’Agence spatiale canadienne, RADARSAT-2 (décembre 2007 à nos jours) et la Constellation RADARSAT lancés en juin 2019.

La professeure Bernier possède une vaste expertise en matière de télédétection. « Dès la mise en orbite de RADARSAT-1 en 1996, nous avions vu le potentiel de l’utilisation des images satellites pour surveiller les cours d’eau par une classification des couverts de glaces », indique-t-elle.

L’étudiante Sophie Dufour-Beauséjour et la professeure honoraire Monique Bernier.

De fait, le radar est sensible aux textures. Les images qu’il produit seront différentes selon que son signal rebondit sur une surface lisse ou rugueuse, sur des amoncellements, etc. C’est ce qui permet de distinguer l’eau, de la glace, des embâcles.

Cependant, dans leur forme originale, ces images en noir et blanc semblables à des échographies sont difficiles à décoder pour le commun des mortels. Mais, une fois traitées par un logiciel adapté, on peut en tirer des cartes géographiques où on repère, à l’aide de codes de couleurs, l’eau libre, les divers types de glaces et les zones à risque d’embâcle, par exemple.  

Au début des années 2000, l’équipe de Monique Bernier, avec une contribution marquée de l’agent de recherche Yves Gauthier, a mené un premier projet montrant le potentiel des images radar pour localiser les embâcles et cartographier les types de glace.

En 2004, une entente est signée entre les deux parties.

« Nous nous sommes attardés à des rivières à gros débit comme la rivière Chaudière et la rivière Saint-François. Les résultats obtenus ont soulevé l’intérêt du MSP qui nous a approchés pour vérifier si l’INRS pouvait appliquer cette méthode à leurs besoins. »

Monique Bernier, professeure honoraire


Échanger pour s’ajuster

À partir de là, une étroite collaboration s’installe, soutenue par des échanges réguliers. « Comme étapes préparatoires au développement de l’outil, nous sommes allés dans les locaux du COG, à Québec, afin de comprendre de leur système d’opération, savoir comment ils travaillent, raconte Monique Bernier. Nous avons aussi tenu des ateliers en présence des instances municipales, lesquelles sont concernées par la surveillance des glaces. Faire une cartographie, c’est bien, mais il fallait offrir un apport pertinent qui servirait sans que le MSP ait à changer sa manière de fonctionner. »

De nombreuses visites ont également été effectuées le long des rivières pour établir la correspondance entre les données fournies par le satellite et la réalité sur le terrain.

Serge Légaré, conseiller en sécurité civile au Centre des opérations gouvernementales (COG)

Après des mois de travail, l’INRS proposait une première version du logiciel. « La mouture initiale demeurait très scientifique, se rappelle Serge Légaré. Notamment, les termes utilisés pour nommer les différents types de glace qui ne parlaient pas vraiment aux intervenants municipaux. »

Les partenaires se sont remis à la table à dessin dans le but de simplifier l’outil sans en diminuer la rigueur. « Par exemple, la légende de départ comprenait neuf classes de glace distinctes. C’est sans doute utile du point de vue de la recherche, mais moins sur le plan pratique. Pour faciliter la tâche des intervenants, nous les avons regroupées en cinq classes de glace », poursuit le conseiller.

Fruit d’une mise en commun des connaissances techniques, d’une part, et logistiques d’autre part, les ajustements nécessaires sont réalisés. Le transfert de technologie est complété en 2010.

Désormais, IceMAP-R est à la base de la routine opérationnelle du COG pour repérer les zones à risque. Son utilisation s’est intensifiée depuis ses débuts. Alors qu’en 2009, le logiciel avait servi à produire une dizaine de cartes, il traite maintenant entre 100 et 150 images par an.

« Les cartes de glace peuvent être exécutées en quelques minutes. De plus, le logiciel est déposé sur un portail sécurisé qui s’adresse aux municipalités et aux divers intervenants de la sécurité civile. Tous ces acteurs peuvent y interagir en temps réel. Cette coordination garantit une gestion très efficace du dégel des rivières. »

Serge Légaré

Tout cela à partir de l’espace !

Par ailleurs, les cartes produites depuis 2008 peuvent aussi être consultées sur la plateforme de données ouvertes Données Québec, un site Web accessible à tous les citoyens. 


Un lien en continu

Mais l’histoire ne s’arrête pas là et la collaboration entre les deux parties se poursuit.

« Depuis le transfert technologique, l’équipe de recherche du Laboratoire de télédétection environnementale et nordique (TENOR) a reçu plusieurs mandats de la part du MSP. D’abord, il y a toujours de petits ajustements qui visent à perfectionner l’outil au fur et à mesure de son l’utilisation. Ensuite, des mises à niveau en continu sont nécessaires pour adapter IceMAP-R aux nouveaux programmes radar spatiaux et aux outils techniques utilisés par l’algorithme qui sont en constante évolution. »

Monique Bernier

Par ailleurs, l’Agence spatiale canadienne a remplacé RADARSAT-2 par la Constellation RADARSAT formée de trois satellites d’observation en 2020. L’équipe de la professeure Bernier a dû adapter le logiciel IceMAP-R pour qu’il puisse lire les images fournies par ces nouveaux radars offrant de nouvelles caractéristiques techniques. Ainsi, en 2019, la PME Dromadaire Géo-innovation (DGI), basée à Montréal et présidée par Stéphane Hardy, a été associée au partenariat afin de simuler le format des images Constellation en transformant des images RADARSAT-2. Les classifications des images simulées ont été validées avec des observations terrain ce qui a permis d’évaluer les modifications à apporter au logiciel IceMAP-R pour ce type de données. Cette PME a pu ainsi se familiariser avec le logiciel IceMAP-R.

« Plus récemment, nous avons travaillé avec l’INRS et DGI pour adapter IceMAP-R aux images fournies par les satellites d’observation de l’Agence spatiale européenne SENTINEL-1. Celles-ci sont disponibles en données ouvertes, ce qui est avantageux. »

Serge Légaré

Ce partenariat est toujours en cours et se poursuivra dans l’avenir, estime l’ingénieur. Selon lui, on n’a qu’à penser aux changements climatiques. « Leurs répercussions se font sentir sur les conditions météorologiques et sur la formation des glaces. Nous souhaitons tous voir limiter ces changements, mais nous devons aussi pouvoir agir en conséquence de ceux-ci. En cela, le concours de l’INRS pour adapter notre outil d’observation aux réalités nouvelles s’avère précieux. »