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Comprendre le phénomène de résistance des pathogènes aux antimicrobiens grâce à un exemple récent : Candida auris.
L’apparition de Candida auris au Québec n’est pas la première ni la dernière expression de l’apparition d’un agent infectieux résistant aux traitements connus.
Le professeur et chercheur en microbiologie de l’INRS, Frédéric Veyrier, s’intéresse à l’évolution des bactéries et à leurs mécanismes d’interactions avec l’humain. Ses travaux de recherche visent à améliorer nos connaissances afin de développer de nouvelles stratégies pour combattre les agents infectieux. C’est d’autant plus important que l’on constate une résistance de plus en plus fréquente de ces derniers à nos traitements curatifs, comme les antibiotiques et les antifongiques.
L’éclosion en milieu hospitalier du champignon Candida auris au Québec a suscité de l’inquiétude à l’automne 2022. En effet, cet agent infectieux est résistant à la plupart des traitements. Il est devenu endémique aux États-Unis, où de plus en plus de cas sont détectés dans les hôpitaux. Mais sa résistance aux antimicrobiens n’est pas un cas unique : de multiples microbes sont résistants aux antibiotiques, au point où l’Organisation mondiale de la santé (OMS) considère que la résistance aux antimicrobiens est une des plus importantes menaces pour la santé publique à l’échelle planétaire.
L’Agence de santé publique du Canada suit de près ce pathogène dans le cadre du Programme canadien de surveillance des infections nosocomiales (PCSIN). Jusqu’à présent, les cas rapportés au Québec avaient contracté le champignon durant un voyage à l’extérieur du pays. Dans les quelques cas découverts au Québec en septembre 2022, il semble bien que le champignon ait été contracté ici. Il s’agissait d’une première.
« L’émergence d’un tel champignon est le fruit d’une évolution qui l’a rendu plus adapté et plus pathogène pour l’homme, mais aussi plus résistant à certains antimicrobiens. Ce n’est pas le même clone qui émerge partout. Il y a émergence de plusieurs lignées dans le monde, ce qui veut dire que c’est l’ancêtre commun qui a acquis certaines de ces nouvelles caractéristiques, mais que chaque isolat reste quand même un peu différent des autres, y compris pour leurs résistances. »
Frédéric Veyrier, professeur expert en microbiologie, génomique et évolution
Est-ce qu’on peut alors comparer le concept de l’évolution des lignées de Candida auris comme on parle de celle des variants du SarS-CoV-2? La comparaison n’est pas bonne, remarque le professeur Veyrier. « Les virus sont généralement des pathogènes avec un génome simple qui ne se réplique pas sans les cellules de l’hôte. Les bactéries ont un ensemble de gènes plus important, mais les champignons ont une organisation encore plus complexe, ce qui rend leur évolution plus laborieuse. Cependant, une expérience a été menée en laboratoire où la culture en présence d’antifongique (dans le cadre de cette expérience, le fluconazole) a permis d’obtenir des clones de Candida auris avec une résistance accrue en seulement trois passages », précise-t-il.
Un passage, c’est lorsque le champignon est cultivé jusqu’à la saturation du milieu de culture. Candida auris s’adapte donc et pour l’instant, il se contente de frapper en milieu hospitalier, un endroit où est hébergée une clientèle déjà fragilisée.
L’apparition de Candida auris au Québec n’est pas la première ni la dernière expression de l’apparition d’un agent infectieux résistant aux traitements connus.
« Il va falloir s’habituer à vivre avec des éclosions de microorganismes résistants aux traitements, les surveiller de façon coordonnée mondialement et, lors d’une éclosion, réagir en conséquence avec les protocoles déjà bien établis et qu’il faudra bonifier au fur et à mesure de l’avancement des connaissances », rappelle Frédéric Veyrier.
Les investissements en recherche pour mieux connaître Candida auris et les autres agents pathogènes multirésistants qui émergent seront également importants pour résoudre cet enjeu de santé mondial. Le professeur poursuit en affirmant qu’il y a plusieurs mécanismes en cause dans ce phénomène.
La résistance envers les antimicrobiens existe souvent dans la nature, car il est fréquent que ceux-ci soient des dérivés de molécules produites par d’autres microorganismes. Ces résistances sont par exemple des protéines qui peuvent sortir la molécule de la cellule ou des enzymes capables d’inactiver l’antibiotique. Un long processus d’évolution et de sélection a permis à certaines bactéries de développer ces outils pour se défendre qui peuvent être maintenant transmis entre microorganismes par des transferts horizontaux d’ADN (processus dans lequel un organisme intègre du matériel génétique provenant d’un autre organisme sans en être le descendant). Un autre mécanisme fait intervenir les mutations ou erreurs de réplications de l’ADN lors du cycle cellulaire. Certaines mutations aléatoires peuvent entraîner une résistance, par exemple, en modifiant la cible de l’antimicrobien. Toutes ces résistances seront sélectionnées en présence de la molécule (d’où l’utilité de ne pas utiliser inutilement l’antibiotique). Cela explique pourquoi on
parle de plus en plus d’un usage judicieux des antimicrobiens, faute de quoi
ces derniers risquent de devenir de plus en plus inefficaces.
C’est cette inefficacité potentielle qui inquiète l’OMS et qui constitue une menace pour la santé publique à l’échelle planétaire.