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Les dispersants chimiques utilisés pour faciliter la dissémination des hydrocarbures en cas de déversement accidentel en mer présentent une menace potentielle pour la vie aquatique aussi inquiétante que le pétrole lui-même.
C’est la conclusion qui émane des recherches réalisées par les professeurs Craig Purchase, de la Memorial University à Terre-Neuve, et Valérie Langlois, de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS). L’équipe du professeur Purchase a publié deux études, dont une en collaboration avec la professeure Langlois, sur les effets toxicologiques des dispersants chimiques sur la reproduction du capelan qui montrent que ce poisson présente une vulnérabilité particulière en cas de déversement à proximité de son aire de fraie.
La première étude a été publiée en octobre 2018, alors que la seconde, plus récente, l’a été en avril 2019. Les expérimentations ont été menées à l’été 2016. « Le capelan est l’une des espèces de poisson les plus importantes dans la chaîne alimentaire. C’est un poisson de fourrage majeur pour des prédateurs comme la morue, les oiseaux aquatiques et les mammifères marins , indique Craig Purchase. Toutefois, leur mode de reproduction les met clairement plus à risque de souffrir en cas d’accident pétrolier ».
Pour la professeure Langlois, « c’est d’autant plus important d’étudier l’effet des dispersants que le Canada les a approuvés assez récemment pour usage en mer ». L’aval gouvernemental à leur usage remonte à 2016, mais il doit faire l’objet d’une autorisation au cas par cas en cas de déversement. Courte, la saison de reproduction du capelan s’étale sur quelques semaines seulement. Les adultes forment des bans serrés non loin des berges et fraient sur le littoral ou non loin. Cela les rend vulnérables. Les déversements d’hydrocarbures entraînent généralement l’usage de dispersants lors de l’opération de nettoyage. Ces derniers contiennent des solvants et des surfactants qui fractionnent le pétrole en minuscules gouttelettes. Ainsi, le pétrole devient disponible pour les micro-organismes capables de mieux le biodégrader. Lors de l’incident majeur de la plateforme Deepwater Horizon, en 2010, plus de 1,8 million de gallons de dispersants ont été employés. Les dispersants diminuent la proportion de pétrole qui s’échoue sur les plages, ce qui protège les oiseaux et d’autres animaux marins. Mais les hydrocarbures se trouvent alors davantage dissous dans l’eau, ce qui menace les espèces qui vivent en mer, comme les poissons.
Les chercheurs et leurs équipes montrent dans leurs études que les dispersants diminuent de manière importante la fertilisation des œufs chez le capelan lors de la fraie, même quand les spermatozoïdes des mâles n’avaient été exposés que quelques secondes au produit. L’hypothèse avancée : la membrane cellulaire des spermatozoïdes se compose de lipides insolubles. Les dispersants pourraient briser cette membrane comme ils fractionnent les hydrocarbures. « Les dispersants permettent également d’augmenter la fraction des hydrocarbures biodisponibles pour affecter les organismes aquatiques » explique Valérie Langlois. Certaines concentrations d’un mélange de pétrole et de dispersant tuaient les embryons après 10 heures. Des concentrations inférieures entraînaient des effets non létaux. Les dispersants seuls ont démontré un niveau similaire de toxicité chez les embryons. « Le dispersant pourrait tout autant poser problème que le pétrole, voire davantage », conclut le professeur Purchase. Les expériences ont pu être réalisées grâce à la collaboration de Pêche et Océans Canada, qui a fourni les échantillons de pétrole et de dispersants ainsi que financé les études. Les chercheurs espèrent pouvoir conduire des tests similaires avec un autre dispersant, utilisés en cas de déversement côtier, mais le manufacturier a refusé de leur en fournir un échantillon, ce qui a causé une certaine controverse.
Non, les dispersants ne sont pas autorisés d’utilisation en eau douce. Par contre, dans un premier article paru en novembre dernier, la professeure Valérie Langlois et son équipe démontrent que le bitume dilué (ou dilbit) issu des sables bitumineux albertains et transporté par pipeline entraîne également des malformations accrues chez les larves de poissons tels que ceux de la perchaude lorsqu’on les expose en laboratoire. Une deuxième étude publiée en décembre corrobore ces résultats. Elle indique que les embryons de grenouilles montrent aussi une sensibilité à une contamination au dilbit en cas de déversement, d’où l’importance de bien nettoyer les sites contaminés suite à de potentiels déversements.