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L’utilisation du Web en confinement

8 avril 2020 | Audrey-Maude Vézina

Mise à jour : 17 septembre 2020

Le confinement lié à la pandémie de la COVID-19 a modifié notre façon d’utiliser les télécommunications. Avec le télétravail et les enfants à la maison, la population se tourne vers le Web : visioconférence, séries télé, jeux en ligne, sans compter l’achalandage dans les magasins virtuels. Ce nouveau mode de fonctionnement suscite des interrogations et le professeur Jean-Charles Grégoire de l’INRS y répond.

Quels effets de la surutilisation d’Internet pourrait-on observer sur sa vitesse ?

Jean-Charles Grégoire : C’est important de distinguer la voie de communication, qui permet l’échange d’information, à l’utilisation que l’on en fait, à savoir le service. On peut penser à l’accès Internet sous forme de routes. Il peut y avoir un ralentissement local à travers tous les services Internet. Cela indique une surcharge à l’échangeur vers l’Internet qui correspond au fournisseur, majoritairement Bell ou Vidéotron. Un utilisateur pourrait remarquer un ralentissement à son domicile, indiquant davantage un goulot d’étranglement au niveau des bretelles d’accès de ces mêmes fournisseurs. Donc, des ralentissements peuvent être remarqués dans l’ensemble, mais qui n’ont rien à voir avec un service particulier.

Cependant, certains sites spécifiques tels que les épiceries en ligne peuvent avoir des problèmes qui ne sont pas liés à l’Internet, mais plutôt à leur conception. Les serveurs n’ont pas nécessairement été dimensionnés pour répondre à l’achalandage, particulièrement au Québec où le commerce en ligne est encore en émergence. Il y a des compagnies spécialisées dans le service de ventes en ligne comme Shopify qui peuvent s’adapter à une grande demande avec des applications plus modulaires et une banque de serveurs. Les compagnies qui ont construit elles-mêmes leur site de vente sont plus limitées dans leur capacité d’adaptation.

Doit-on s’attendre à une détérioration du service Internet si le confinement se prolonge ?

J.-C. G. : Il semble y avoir suffisamment de ressources disponibles et je ne vois pas pourquoi ça changerait. Le confinement dure depuis quelques semaines déjà alors j’ai l’impression que toute la transformation d’utilisation s’est déjà faite. Même si les enfants commencent l’école à la maison et que le télétravail s’intensifie dans les prochaines semaines, ce sera simplement une nouvelle utilisation d’Internet et non une augmentation. Donc, pour reprendre ma métaphore, je vois les problématiques non pas au niveau des routes, mais au niveau des différents services.

Comment le changement d’utilisation affecte-t-il la sécurité ?

J.-C. G. : Le problème survient pour des services particuliers comme la plateforme de visioconférence Zoom qui n’avait pas abordé la question de sécurité selon l’utilisation qui en est faite aujourd’hui et dont de nombreux utilisateurs ont été victimes d’intrusions intempestives (« gate crashing »). Le logiciel devient plus populaire et des personnes malveillantes utilisent les failles pour s’inviter à des rencontres et les perturber, et ce, même en milieu universitaire, lors de soutenance de thèse par exemple. Tout d’un coup, la plateforme doit développer des techniques adéquates pour se protéger. Il y a toute une série de recommandations pour les gestionnaires de conférences. Notons, en revanche, que la plateforme elle-même semble avoir été conçue de manière robuste et a maintenu sa disponibilité face à l’explosion de la demande.

Mais pour revenir à la question de la sécurité, le danger pour les usagers de l’Internet vient principalement de personnes qui exploitent la vulnérabilité humaine, en proposant des remèdes miracles, par exemple, plutôt que de failles technologiques. La vigilance au cyberhameçonnage reste de mise.  

Quelles pratiques pouvons-nous adopter pour réduire l’achalandage ?

J.-C. G. : D’un point de vue familial, on pourrait regarder une émission ou un film ensemble, plutôt que de le faire séparément. On pourrait aussi étaler l’utilisation au cours de la journée en alternant entre les personnes qui visionnent quelque chose chacune à leur tour. Ce type de comportement pourrait aider s’il y a un goulot d’étranglement au domicile. Idéalement, tout le monde devrait se comporter comme ça, mais c’est difficile de transférer à l’échelle de la communauté et de se coordonner entre voisins pour mieux partager la ressource.  

Les services de distribution de contenu média peuvent contribuer à la réduction. Par exemple, Netflix et Bell média ont choisi de limiter le plafond de qualité disponible sur leur contenu média afin d’uniformiser leur réseau. C’est une forme d’équité entre les différents clients. Les compagnies s’assurent que les utilisateurs plus gourmands ne viendront pas pénaliser les autres. En règle générale, les opérateurs ont à leur disposition des moyens de limiter le trafic (« throttling ») des usagers, voire des services, mais cette dernière pratique contrevient ou peut contrevenir à la neutralité du Web.

Qu’en est-il sur le plan de la téléphonie ?

J.-C. G. : On remarque des problèmes pour les communications téléphoniques, et cette situation n’est d’ailleurs pas propre au Québec. Avec l’isolement, le besoin de communiquer avec les autres est d’autant plus grand ; la demande est accrue et entendre une voix donne plus de satisfaction que d’échanger du texte. Le goulot d’étranglement se trouve au niveau de la passerelle entre les différents réseaux d’opérateurs, par exemple entre Bell et Telus. Ces passerelles sont conçues pour un certain volume de communications et elles sont surchargées à l’heure actuelle. Les opérateurs vont pouvoir s’adapter et augmenter la capacité des interconnexions, en ajoutant des circuits téléphoniques par exemple.