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Chercheurs en chimie médicinale et en parasitologie proposent une stratégie innovante pour identifier des molécules leishmanicides.
Après s’être glissé dans le corps d’un humain par la piqûre d’un moustique, un microorganisme se propulse à la rencontre des cellules immunitaires. Loin de fuir le globule blanc chargé de le détruire, il se laisse avaler. Leishmania, le microorganisme, a trouvé un véhicule pour poursuivre le cycle de sa vie de parasite, menaçant la santé de plus de 500 millions d’humains qui risquent de croiser sa route, de l’Afrique à l’Europe, de l’Asie aux Amériques.
Depuis longtemps, la leishmaniose, maladie causée par ce parasite, a capté l’attention des scientifiques afin de trouver des traitements, mais elle s’avère également un modèle d’étude extraordinaire. Grâce à elle, de nombreux mécanismes immunitaires ont été élucidés, notamment par des chercheurs de l’INRS. Cependant, la quête pour des traitements abordables et efficaces n’est pas achevée. Une nouvelle stratégie a été élaborée par les professeurs Albert Descoteaux et Steven LaPlante de l’INRS pour identifier rapidement et à faible coût des molécules capables d’éliminer Leishmania, elle qui défigure, handicape et tue ses victimes, surtout dans les régions tropicales.
« J’étudie ce parasite depuis 30 ans et il y a encore beaucoup à comprendre », confie Albert Descoteaux, parasitologiste qui travaille à percer les secrets de Leishmania, un nom qui cache une vingtaine d’espèces d’unicellulaires. Au nombre des victimes, on compte l’humain et environ 70 autres mammifères selon l’Organisation mondiale de la santé. Elle passe d’une espèce à l’autre en s’embarquant à bord d’un phlébotome, petite mouche des sables essentielle à la transmission qui propage l’indésirable parasite en piquant de-ci, de-là.
Suivant les plus récentes estimations, 12 millions d’humains seraient actuellement affectés par une forme ou l’autre de leishmaniose. Elle se manifeste sous trois formes principales : cutanée, mucocutanée, et viscérale. « Ce sont des maladies qui gâchent des vies… quand elles ne tuent pas », souligne le professeur Descoteaux, avant d’expliquer que le développement de traitements n’est pas une priorité pour les pharmaceutiques. « Il y a peu d’intérêt commercial pour les maladies tropicales négligées comme la leishmaniose », poursuit-il. « Celle-ci est la deuxième cause de mortalité par maladie parasitaire, juste derrière la malaria, et les traitements dont on dispose pour la combattre n’ont pas évolué depuis des décennies. Il n’existe pas de vaccin et les traitements disponibles sont bien imparfaits : effets secondaires importants, coûteux, difficilement administrable dans les zones endémiques. » Après une pause, l’immunologiste ajoute : « Malheureusement, comme bien d’autres médicaments, on a aussi des problèmes de résistance du parasite qui émergent. Ce n’est jamais une bonne nouvelle… »
Installé au Centre INRS–Institut Armand-Frappier, Albert Descoteaux est un des cinq professeurs de l’INRS qui travaille sur la leishmaniose. Concentrant leurs efforts sur la compréhension fondamentale de l’interaction entre le parasite et son hôte, ils représentent le tiers des activités de recherche dans ce domaine au Canada et leurs travaux sont reconnus de par le monde.
Arrivé à l’INRS en 2015, le professeur Steven LaPlante est spécialisé dans le développement de médicaments. Avec son collègue Albert Descoteaux, il a imaginé un projet pour identifier de nouvelles molécules candidates pour le traitement de la leishmaniose. L’approche est innovante et suscite de l’espoir pour faciliter la recherche de médicaments non seulement contre la leishmaniose, mais aussi pour d’autres maladies.
Ayant perfectionné ses tactiques et sa machinerie moléculaire pendant des millions d’années, Leishmania a plus d’un tour dans son sac. Alors, les obstacles pour identifier des molécules capables de l’éliminer sont nombreux. D’abord, un protiste tel que leishmania est une cellule qui est plus apparentée aux cellules des mammifères que des pathogènes tels que les bactéries ou les virus : « Comme les champignons, les levures ou les vers, les leishmanias sont des cellules complexes, avec un noyau, et elles ont des similarités avec nos cellules », reconnaît le professeur.
« Mais elles ont évolué de façon différente et ont donc aussi de très nombreuses différences qu’il faut identifier et comprendre. »
En second lieu, faire en sorte que la molécule puisse se rendre au parasite est un défi. Le professeur LaPlante explique : « Avant de tuer Leishmania, le médicament a beaucoup de barrières à traverser. Il doit entrer dans la cellule qui est infectée sans la tuer ni être trop toxique pour elle. Ensuite, il doit se rendre où se trouve le protiste et entrer en lui pour exercer son action. Disons-le, il faut tester plusieurs molécules avant d’en trouver une qui convient ! »
Tester plusieurs molécules. C’est précisément l’approche de la recherche un peu partout dans le monde, mais cela requiert des ressources importantes. Et dans la lutte contre la leishmaniose, il y a peu d’attrait pour financer ce type de recherche. Pourtant, avec le portrait actuel de la prévalence mondiale de cette maladie, les voix sont nombreuses à s’élever pour souligner l’urgence de trouver de nouveaux traitements.
C’est dans ce contexte que la collaboration entre les deux chercheurs de l’INRS a pris place, combinant l’expertise sur la biologie d’Albert Descoteaux et celle en chimie médicinale de Steven LaPlante. Ce dernier disposant une banque bien particulière de molécules, il a choisi les 1604 composés qui avaient les meilleures chances d’atteindre Leishmania dans les macrophages et de l’empêcher de poursuivre son cycle vital. En comparaison aux banques de molécules des compagnies pharmaceutiques (qui s’élèvent parfois à deux millions de composés), cette sélection représente un nombre très modeste de composés qui peut être pris en charge facilement dans un laboratoire de recherche universitaire.
« Nous avons appelé notre approche Fragment-Based Phenotypic Lead Discovery ou FPLD », indique le professeur LaPlante. « Il s’agit d’une combinaison de différentes méthodes déjà éprouvées, mais qui n’étaient pas adaptées pour cette maladie. On part de très petites molécules qui sont administrées à des cellules en culture et on observe comment l’infection est affectée. »
En chimie médicinale, le développement d’un médicament se fait en plusieurs étapes pour arriver à une molécule finale réunissant des caractéristiques multiples. Contre une infection, la molécule idéale doit combiner l’absence de toxicité pour l’humain, un mode d’administration simple, la capacité à se rendre au pathogène, un coût de synthèse le plus bas possible et, évidemment, une activité contre le pathogène.
Comme pour la conception de n’importe quel objet d’usage courant, on utilise des pièces distinctes pour les différentes fonctions d’un médicament. Ces pièces sont des fragments moléculaires. L’objectif dans le projet des deux professeurs était d’identifier la pièce qui arrête la progression de Leishmania. Ces fragments efficaces pourront être assortis à d’autres éléments ayant des fonctions diverses pour améliorer les performances du traitement et ainsi obtenir un médicament : la stabilité, le transport, l’absorption, etc. « Nous avons eu la chance de pouvoir compter sur notre collaborateur François Bilodeau, de NMX Research and Solutions Inc., qui a produit tous les composés dont nous avions besoin pour notre étude. C’est une contribution énorme, » insiste le professeur LaPlante. En effet, la synthèse des centaines de fragments moléculaires a été réalisée directement dans l’incubateur d’entreprises de l’INRS où cette petite compagnie est basée.
De façon très systématique, et avec une grande dose de patience, Yann Ayotte, premier auteur de l’étude publiée récemment sur ce projet, a observé au microscope les cultures cellulaires traitées avec les fragments, comptant le nombre de parasite dans les cellules infectées pour les comparer. Le doctorant, qui étudie aujourd’hui dans le laboratoire de Steven LaPlante, a débuté ce projet à titre de stagiaire à la fin de son baccalauréat dans le laboratoire d’Albert Descoteaux. Les deux professeurs soulignent son engagement exemplaire.
Après de nombreuses séries d’expériences, le criblage très ciblé d’un petit nombre de molécules a identifié deux familles de composés qui avaient une grande efficacité contre Leishmania : les dérivés d’indole et d’indazole. Une douzaine de molécules sont prometteuses, ce qui représente un taux d’identification de candidats très élevé en comparaison avec d’autres méthodes de criblage.
A-t-on de nouveaux médicaments en vue ? « Pour l’instant, on a une piste qui est au tout début du processus », admet Descoteaux. « Et il ne faut pas sauter d’étapes ! » ajoute LaPlante. D’abord, il faudra comprendre pourquoi ces molécules ont un effet leishmaniacide, ce qui occupera certainement l’équipe du professeur Descoteaux pour un bon moment. Ensuite, la molécule active pourra être améliorée et « habillée » d’autres pièces pour qu’elles puissent remplir tous les critères d’un traitement, une tâche pour le professeur LaPlante et son équipe.
Pour Steven LaPlante, le grand succès de ce projet est d’avoir démontré qu’un laboratoire universitaire a les moyens d’identifier de nouveaux filons pour des traitements. La recherche pharmaceutique ne couvre pas toutes les maladies ni toutes les avenues d’intervention et, dans ce contexte, le milieu universitaire peut aussi jouer un rôle important.
Leurs travaux ont suscité suffisamment d’enthousiasme pour que la revue ChemMedChem, publiée par la Société européenne des publications en chimie (ChemPubSoc Europe), attribue à l’article rapportant les résultats de Yann Ayotte, Steven LaPlante et Albert Descoteaux le qualificatif de « Very Important Paper », un article particulièrement important en plus d’en faire la couverture du numéro dans lequel l’article est paru.
Que révèlera l’étude des modes d’action des molécules identifiées à l’INRS ?
« La recherche sur Leishmania nous a permis de lever le voile sur des propriétés du système immunitaire que nous n’avions pas observées par d’autres moyens. Chaque fois que nous avons une nouvelle piste, nous affinons nos connaissances du système immunitaire et de ce parasite. Même si le développement d’un médicament n’est pas pour demain, il est certain que ces molécules nous donneront une meilleure compréhension de cette maladie qui nous occupera encore longtemps. »
Professeur Descoteaux. «