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Le cancer est la première cause de mortalité au Québec. En 2019, on estime que 55 600 Québécois ont reçu un diagnostic de cancer et que 22 100 personnes en sont mortes. En cette Journée mondiale contre le cancer, le 4 février, apprenez-en davantage sur les travaux des professeures et professeurs de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS) pour prévenir et traiter ce fléau.
Le développement des glandes mammaires est étroitement lié à la communication entre les cellules qui les composent. Une dérégulation de cette communication a été associée au cancer du sein. Ces interactions favorisent un développement normal des glandes. Une fois formées, les cellules maintiennent cette communication pour assurer son fonctionnement. « Tout au long de la vie d’une femme, à chaque cycle menstruel, les glandes mammaires se préparent pour une éventuelle grossesse. C’est une constante réorganisation qui nécessite l’interaction entre différentes cellules », rapporte Isabelle Plante, professeure à l’INRS.
Or, des études montrent que la communication est déficiente dans le cas d’un cancer du sein. « La perte d’interaction pourrait avoir une incidence sur la progression du cancer du sein. Dans mon laboratoire, on regarde les étapes du développement de la glande mammaire pour comprendre les liens entre les cellules et comment ces derniers sont dérégulés durant les différents stades du cancer du sein », ajoute-t-elle.
La chercheuse s’intéresse particulièrement aux jonctions lacunaires, de petits tuyaux entre les cellules qui permettent d’échanger du matériel directement et rapidement. Ce moyen de communication semble avoir un rôle dynamique selon le stade de progression d’une tumeur. « Une cellule cancéreuse va couper les liens avec les autres cellules pour éviter son élimination et envahir d’autres tissus. Par contre, lors de métastase, il semble que la cellule cancéreuse rétablit le contact pour faciliter la croissance des tumeurs dans les tissus environnants », explique la chercheuse. Le rôle des interactions semble aussi varié selon les sous-types de cancer du sein. Dans certains cas, la présence des interactions sera un meilleur pronostic. Dans d’autres sous-types, les cellules cancéreuses refont certaines liaisons entre elles qui favorisent leur progression.
Outre les pertes d’interaction, Isabelle Plante regarde comment les polluants de l’environnement pourraient avoir une incidence sur le cancer du sein. Ses recherches en toxicologie touchent principalement les perturbateurs endocriniens, des substances qui miment l’action des hormones. « C’est particulièrement important, car les glandes mammaires sont hautement régulées par les hormones. Même un petit débalancement peut avoir un impact », souligne-t-elle.
Les perturbateurs endocriniens influencent la formation de cancer du sein sur deux fronts. La grande partie de la croissance des glandes mammaires vient à la puberté avec l’activation des hormones. Ils peuvent déclencher un développement précoce, connu pour augmenter l’incidence de cancer du sein.
Les hormones jouent aussi un rôle dans la prolifération des cellules. C’est ce qui permet aux glandes mammaires de se développer. Or, des cellules précancéreuses soumises à un signal de prolifération de perturbateurs endocriniens peuvent entrainer la formation d’une tumeur. L’effet est particulièrement important pour des cancers du sein hormonodépendant. L’équipe de la professeure Plante commence un nouveau projet qui étudie l’effet des retardateurs de flammes bromés, des produits chimiques ajoutés à des produits variés comme les plastiques afin de les rendre moins facilement inflammables. Plusieurs membres de cette famille de molécules sont reconnus comme des perturbateurs endocriniens.
Quels facteurs augmentent les risques de développer un cancer ? C’est la question à laquelle la professeure Marie-Élise Parent tente de répondre. Avec son équipe, elle étudie le rôle de l’environnement dans son ensemble. « On regarde la pollution de l’air, la présence d’espaces verts, la pollution lumineuse. On s’intéresse aussi au milieu de travail, car l’exposition des travailleurs aux produits chimiques est habituellement plus élevée que dans la population générale », rapporte la spécialiste en épidémiologie du cancer à l’INRS.
La professeure Parent a travaillé sur les cancers du cerveau, du poumon et du sein, mais elle se concentre actuellement sur le cancer de la prostate. Ce dernier est particulier : le taux d’incidence varie grandement à travers le monde et l’environnement serait le principal responsable. « Certains pays ont des taux d’incidence du cancer de la prostate 25 fois plus élevé qu’ailleurs. Lorsque des hommes se retrouvent dans une région à taux d’incidence élevé, ils présentent ce haut risque de développer un cancer, même s’ils venaient d’une région à faible taux. Si c’était uniquement la génétique qui entrait en jeu, l’incidence serait inchangée », explique-t-elle.
Le cancer de la prostate est le cancer le plus fréquent chez les hommes au Canada après les cancers de la peau. De façon générale, le taux de survie après cinq ans est de 93 %. Or, près du tiers des cancers de la prostate sont agressifs. « Le défi est d’essayer de comprendre quels sont les facteurs qui causent un cancer agressif. On soupçonne que ce ne sont pas les mêmes que les cancers plus communs », ajoute la chercheuse.
Pour isoler des facteurs de risque particuliers, son équipe a mené une étude importante sur le cancer de la prostate à Montréal entre 2005 et 2012. « C’est la plus grosse étude au monde qui se penche spécifiquement sur l’environnement. Nous avons recruté 2000 hommes nouvellement diagnostiqués et 2000 hommes sains, avec qui nous avons fait des entrevues de plusieurs heures pour retracer leur historique », raconte-t-elle.
La base de données rigoureuse requiert des analyses statistiques avancées. « Nos étudiants se penchent là-dessus et chacun a une partie du puzzle, soutient Marie-Élise Parent. Par exemple, on remarque que lesindividus résidant dans des endroits où il y a beaucoup de pollution automobile ont un risque accru de développer un cancer de la prostate. À l’inverse, les hommes qui vivent près des espaces verts ont moins de risque de cancers. On observe aussi que l’exposition à certains agents chimiques, comme le benzène, est associée à un risque accru. Notre objectif est de faire de la prévention et de pouvoir proposer des recommandations précises. Notre objectif est de faire de la prévention et sortir des recommandations précises. »
Les virus et les tumeurs ont beaucoup en commun. Tous deux ont un taux de réplication rapide et une tendance à accumuler des mutations pour échapper au système immunitaire. Et si on arrivait à utiliser les virus pour réveiller le système immunitaire face à une tumeur en progression ? C’est le raisonnement qu’a fait le professeur Alain Lamarre alors qu’il étudiait la réponse antivirale. « Si on injecte un virus dans une tumeur, va-t-il sonner l’alarme et alerter le système immunitaire ? Est-ce que ça déclenchera une réponse antitumorale ? » s’est interrogé l’expert en immunothérapie à l’INRS.
Dans son laboratoire, le chercheur étudie deux approches qui tirent avantage de la réponse immunitaire. La première exploite des virus oncolytiques capables d’attaquer la tumeur. « On injecte un virus qui infecte les cellules tumorales et les modifie de sorte à alerter le système immunitaire. Ça pourrait même générer une mémoire immunologique qui empêcherait cette tumeur de revenir », explique-t-il.
Le problème avec l’approche oncolytique est que le virus pourrait infecter des cellules normales. « En créant des virus mutants, on pourrait améliorer sa spécificité aux cellules tumorales. Le virus doit être assez agressif pour tuer les cellules tumorales, mais pas suffisamment pour s’attaquer aux cellules saines », indique le chercheur.
La seconde approche d’immunothérapie est plus novatrice : un virus de plante. Ce dernier n’infecte pas les humains ni les animaux, mais il reste très étranger au système immunitaire. « Le virus de plante induit la production d’une molécule antivirale qui stimule la réponse immunitaire et aide le système à reconnaître la tumeur. Ça enclenche une forte réponse antitumorale », précise le professeur.
L’équipe d’Alain Lamarre essaie de combiner ces approches avec d’autres thérapies antitumorales, comme les inhibiteurs de point de contrôle immunologique (anti-PD-1). « La tumeur crée un environnement immunosuppressif, c’est comme un frein à la réponse immunitaire. Avec l’anti-PD-1, on enlève le frein, et avec l’approche virale, on pèse sur l’accélérateur. On frappe donc à deux endroits en même temps. »
Le professeur Lamarre prévient toutefois que les approches d’immunothérapies ne fonctionnent pas pour tous les types de cancer. « Ce sont surtout pour les cancers avec un taux de mutations élevé comme les mélanomes, lance-t-il. Puisque le cancer provient de nos propres cellules et que notre système immunitaire est entrainé pour ne pas les attaquer, il peut y avoir une réponse si l’accumulation de mutations rend la cellule “anormale” aux yeux du système. Dans le cas où le cancer progresse plus lentement et accumule moins de mutations, comme celui de la prostate ou du sein, c’est moins efficace. »
Depuis une quinzaine d’années, une famille de protéines attire l’attention des chercheurs en cancérologie : les galectines. L’intérêt vient de leur capacité à favoriser la progression des tumeurs. Le professeur Yves St-Pierre de l’INRS se concentre sur la galectine-7, responsable de la formation de métastases. « Nous sommes les premiers à mettre en évidence le rôle de cette protéine dans l’agressivité de certaines cellules cancéreuses », lance l’expert en biologie cellulaire.
Son équipe s’intéresse particulièrement au cancer du sein triple négatif. « C’est un sous-type très difficile à traiter et le taux de galectine-7 y est anormalement élevé », note Yves St-Pierre, qui travaille sur les cancers depuis 25 ans. Les cellules cancéreuses produisent cette protéine et en relâchent une partie à l’extérieur de leur membrane. Une fois sortie, une partie de la galectine-7 va se fixer sur les cellules du système immunitaire afin de les neutraliser et engendre un environnement immunosuppressif. L’autre partie se fixe sur les cellules cancéreuses environnantes. La protéine peut ainsi promouvoir leur division et leur capacité à se disperser dans le corps pour former des métastases.
Comment contrer cette protéine ? « On ne peut pas vraiment empêcher la cellule d’exprimer la galectine-7. Le défi est donc de trouver un médicament qui va la neutraliser à sa sortie », explique Yves St-Pierre. Pour résoudre le problème, il collabore depuis cinq ans avec les professeurs de l’INRS Nicolas Doucet, expert en structure des protéines, et David Chatenet, expert en pharmacothérapie.
Les trois laboratoires aux expertises complémentaires voulaient trouver une façon d’inhiber la galectine-7. Le hic, c’est que toute la famille de galectines a une structure moléculaire semblable. Il leur fallait donc cibler un élément unique à la galectin-7 sans inhiber les autres protéines. « Certains types de galectines sont bénéfiques alors on ne veut pas faire un bombardement général. Ça aurait des effets secondaires importants », souligne le professeur Doucet.
Qu’est-ce qui différencie la galectine-7 du reste de sa famille ? « Les molécules de galectines ne peuvent pas fonctionner seules. Elles doivent absolument être couplées avec une autre galectine. La configuration du jumelage varie selon le sous-type. Certaines protéines seront côte à côte. Les galectines-7, elles, sont dos à dos », explique-t-il. Pour perturber cette configuration unique à la galectine-7, le professeur David Chatenet a développé un peptide, une petite chaîne d’acides aminés, spécifique à la protéine ciblée. La molécule va se coller sur le dos des protéines pour les empêcher de se reconnaître et de s’associer. Sans jumelage, elles sont dénaturées et ne fonctionnent plus.
Les inhibiteurs développés dans le laboratoire du professeur Yves St-Pierre à Laval ciblent le cancer du sein triple négatif, mais ils vont pouvoir être utilisés contre d’autres types de cancer où il y a surexpression de galectines-7 comme les lymphomes ou le cancer de l’ovaire qui sont responsables chaque année de la mort de plus de 4000 Canadiens.
Le cancer, ce fléau