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Un projet de cartographie participative révèle qu’un citoyen sur trois pense que son apparence ou son identité a contribué à son interpellation par la police.
STOPMTL.ca vise à produire des données quantitatives sur la distribution sociale et spatiale des interpellations policières en milieu urbain. ADOBE STOCK
Le premier rapport de recherche de STOPMTL.ca, un projet de cartographie participative des expériences d’interpellations policières, présente les données préliminaires, auxquelles ont contribué les citoyennes et citoyens de Montréal. Lancée en 2021 par une équipe de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS), de l’Université McGill, de l’Université Concordia et de la University College London, cette plateforme unique vise à produire des données quantitatives sur la distribution sociale et spatiale des interpellations policières en milieu urbain.
L’objectif est de fournir un portrait plus précis des interpellations dans la métropole québécoise. En effet, des études précédentes démontraient que seulement 5 à 20 % des interpellations étaient enregistrées par le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM). De plus, les données produites sont accessibles au grand public.
« Nous constatons qu’une grande variété d’expériences d’interpellation ont été rapportées sur notre plateforme. Dans l’ensemble, les données recueillies correspondent à ce que le SPVM a trouvé dans ses propres analyses », déclare la chercheuse principale du projet, Carolyn Côté-Lussier, professeure spécialisée en criminologie et en études urbaines à l’INRS et chercheuse au Centre international de criminologie comparée.
Le projet fournit également un nouvel et important aperçu de la façon dont les citoyennes et citoyens perçoivent leur expérience d’interpellation. En effet, les personnes qui ont utilisé STOPMTL.ca pouvaient identifier les raisons qui, selon elles, avaient conduit à leur interpellation. Au total, 30 % des interpellations ont été perçues comme découlant de l’apparence ou de l’identité d’un individu.
« Ce résultat confirme les préoccupations concernant le profilage social et racial exprimées à maintes reprises par le public et suggérées par les données du SPVM. C’est la première fois que nous disposons de données quantitatives suggérant que les personnes interpellées perçoivent leur interpellation comme discriminatoire. »
Carolyn Côté-Lussier, professeure à l’INRS et chercheuse principale du projet
Alors que 41 % des personnes ayant participé au processus considère leur interpellation comme étant justifiée, les résultats démontrent qu’une proportion non négligeable (43 %) d’individus l’ont considérée comme étant injustifiée.
Selon l’équipe de recherche, cela suggère que le projet a réussi à mesurer un large éventail d’expériences d’interpellation. De plus, les données suggèrent un besoin considérable d’améliorer la perception de la justification d’une interpellation. De futures analyses sont prévues afin de mieux saisir et définir les circonstances entourant la perception quant aux interpellations justifiée ou injustifiée.
« Percevoir un membre policier comment ayant agi de manière justifiée lors d’une interpellation a une incidence sur la confiance que les individus accordent par la suite à la police », confie Carolyn Côté-Lussier.
74 % sont des hommes ;
55 % s’identifient comme personnes blanches ;
17 % s’identifient comme personnes noires ;
24 % s’identifient avec une autre identité racisée ;
1 % s’identifient comme ayant une identité autochtone ;
70 % s’identifient comme hétérosexuelles ;
18 % s’identifient comme ayant une identité sexuelle LGBTQ2+ ;
27 % des personnes interpellées sont âgées de 19 à 24 ans.
L’équipe souligne que le portrait des personnes qui déclarent avoir été interpellées sur STOPMTL.ca fait écho au bilan du rapport de recherche indépendant mandaté par le SPVM (2019). On y relatait effectivement une surreprésentation des jeunes et des personnes noires, ainsi qu’une sous-représentation des personnes blanches, parmi les personnes interpellées.
Les résultats présentés par STOPMTL.ca suggèrent également que près d’une personne sur cinq (18 %) ayant déclaré avoir été interpellée s’est identifiée comme étant gaie, lesbienne ou bisexuelle. En 2018, Statistique Canada a estimé que les personnes LGBTQ2+ représentaient 4 % de la population canadienne. La constatation que les membres de cette communauté semblent être surreprésentés parmi les personnes interpellées correspond aux tendances observées dans d’autres villes.
D’autre part, les résultats suggèrent que la plupart des interpellations policières ont été signalées comme ayant eu lieu dans les arrondissements de Côte-des-Neiges–Notre-Dame-de-Grâce (13 %) et de Ville-Marie (12 %), du Plateau-Mont-Royal (8 %), du Sud-Ouest (8 %), de Montréal-Nord (7 %) et de Villeray—Saint-Michel—Parc-Extension (7 %).
« Nous nous attendions à ces résultats puisqu’il s’agit des arrondissements où sont enregistrés le plus grand nombre d’interpellations du SPVM. Nous sommes contents de voir que les conseillers d’arrondissement de Côte-des-Neiges–Notre-Dame-de-Grâce ont collaboré à mobiliser leurs habitantes et habitants pour qu’ils contribuent au projet », explique la professeure Côté-Lussier.
Selon l’équipe de recherche, une deuxième ronde de mobilisation de la population est nécessaire pour recueillir plus de données. Cela pourra permettre de suivre l’évolution de la perception des gens par rapport aux efforts du SPVM dans son changement d’approche quant à ses interpellations citoyennes.
« Nous espérons que plus de données permettront d’avoir une meilleure idée de la concentration des interpellations autour de certains lieux, par exemple les stations de métro ou les écoles », explique Myrna Lashley, cochercheuse du projet et professeure de psychologie transculturelle à l’Université McGill.
La chercheuse souligne que la concentration spatiale d’interpellations policières pourrait être néfaste pour la santé et le bien-être des communautés. Les mêmes conclusions pourraient s’appliquer dans le cas d’une concentration d’interpellations en fonction du profil social (âge, identité de genre, identité raciale ou ethnique, etc.).
L’équipe travaille actuellement à la validation des données recueillies et à des analyses plus approfondies, notamment en ce qui concerne les corrélations avec la criminalité et les caractéristiques des quartiers.
« On encourage toutes les personnes qui ont été interpellées par le SPVM pour savoir qui elles étaient ou où elles allaient, mais qui n’ont pas eu de mise en accusation, arrestation ou contravention, à faire part de leur expérience sur le site STOPMTL.ca. »
Carolyn Côté-Lussier
L’équipe de recherche rappelle que la participation des Montréalaises et des Montréalais est déterminante pour le succès de ce projet, puisque les données profiteront à la fois « à la recherche et au bien-être de la communauté au sens large ». STOPMTL.ca collabore d’ailleurs avec plusieurs organismes communautaires à Montréal et au Québec.
Ce projet est le fruit du travail d’une équipe interdisciplinaire de chercheuses et de chercheurs : Carolyn Côté-Lussier et Marie-Soleil Cloutier (INRS); Myrna Lashley et Jason Carmichael (Université McGill); Ben Bradford (University College London, R.-U.); et Lisa Kakinami (Université Concordia).