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Le professeur retraité de l’INRS, Rolf Morosoli, délaisse les bactéries pour les arts visuels.
Installation de la sculpture Jardin géographique de Joëlle Morosoli en collaboration avec Rolf Morosoli. Par ses cartes géographiques ajourées qui s’interpénètrent, la sculpture symbolise l’intégration des diverses communautés culturelles de la ville de Saint-Lambert (Crédit : Joëlle Morosoli, 2021)
Après une carrière en microbiologie moléculaire de près de 30 ans au Centre Armand-Frappier Santé Biotechnologie de l’INRS, le professeur Rolf Morosoli, retraité depuis 2010, se consacre aux arts visuels en collaborant avec son épouse, Joëlle Morosoli, artiste reconnue internationalement. Entretien avec un scientifique, artiste dans l’âme.
Vous avez mené une carrière de scientifique dans le domaine de la microbiologie moléculaire à l’INRS de 1982 à 2010. Sur quoi portaient vos travaux ?
Rolf Morosoli (R.M) : Mon domaine de recherche couvrait la génétique moléculaire, et mes travaux portaient sur la sécrétion de protéines chez un microorganisme appelé Streptomyces lividans. Ce microorganisme sécrète une odeur particulière de sous-bois qu’on sent quand on se promène en forêt, mais produit également des enzymes qui dégradent le bois. Nous avons commencé à nous intéresser à des enzymes en particulier, les xylanases, car elles étaient capables de digérer l’hémicellulose, un des composés du bois, interface entre la cellulose et la lignine responsable de la couleur de ce dernier. Ces xylanases se trouvaient être des enzymes intéressantes, puisqu’elles pouvaient jouer un rôle dans le processus de blanchissement du papier et être une solution de rechange plus naturelle à l’utilisation de produits chimiques comme le chlore. C’était une application industrielle intéressante pour l’époque.
Cependant, ce qui nous intéressait, c’étaient les systèmes de sécrétion des protéines chez ces bactéries. À cette époque, c’était un domaine de recherche en pleine effervescence. Plusieurs systèmes de sécrétion avaient été mis en évidence, et d’autres voies de sécrétion étaient sur le point d’être découvertes.
L’objectif était d’optimiser un système de sécrétion des protéines et de comparer deux systèmes existants. J’étais particulièrement intéressé par le système de sécrétion appelé « Tat », qui a la particularité de sécréter des protéines qui ont déjà atteint leur repliement final à l’intérieur de la cellule, contrairement au système de sécrétion Sec qui sécrète des protéines non repliées qui vont atteindre leur structure finale ou tertiaire à l’extérieur de la cellule. Les Streptomyces sont des bactéries qui sécrètent un très grand nombre de protéines par la voie Tat. L’idée derrière nos recherches était de mettre en évidence des facteurs dans la cellule qui contribuent au repliement des protéines Tat dépendantes chez ces bactéries.
J’ai toujours été passionné par les sciences de la vie, comprendre le vivant et analyser les situations.
Vous formez depuis toujours un duo d’artistes avec votre épouse, Joëlle Morosoli. D’où est venue votre passion pour les arts ?
R.M. : Dès ma jeunesse, je me suis intéressé aux arts visuels, au théâtre et à la musique. La rencontre avec une artiste qui voulait réaliser des sculptures cinétiques m’a permis d’exploiter mon penchant pour la mécanique. Au début, c’était plus un passe-temps pour moi, en parallèle de ma carrière de chercheur, puis Joëlle s’est mise à remporter des concours d’art public, réaliser de nombreuses expositions solos et à avoir de plus en plus de notoriété. Notre collaboration est devenue plus concrète et ça fait maintenant plus de 40 ans que ça dure !
Comment décririez-vous le travail artistique de votre épouse ? Quelle est votre contribution à sa pratique ?
R.M. : Joëlle explore la forme et la rythmique du mouvement afin de susciter des émotions que seul celui-ci parvient à créer. Au-delà d’une simple articulation d’objets, ses œuvres donnent forme au mouvement en transformant l’espace par le déploiement de volumes, qui se voient aussi amplifiés par des jeux d’ombres à portées ondulantes. Ma contribution comprend la conception mécanique, électronique et technique ainsi que l’installation des œuvres publiques. Joëlle est derrière la création et l’idéation mais ça ne m’empêche pas d’avoir un regard critique sur la pertinence des projets à réaliser !
Considérez-vous que la science est plus exigeante que la pratique artistique ?
R. M. : En science, on peut avoir toutes les libertés du monde, mais on est retenu par la réalité. C’est-à-dire qu’on a beau avoir des idées géniales sur le fonctionnement d’une bactérie, il faut trouver la bactérie qui va répondre à ce qu’on a en tête. Or, souvent, on ne travaille pas avec la bonne bactérie. De plus, on ne sait jamais si son protocole est valable avant de l’avoir validé. Et pour le valider, il faut faire beaucoup d’expériences. Généralement, la bactérie ne fait pas ce qu’on veut. La nature a toujours une longueur d’avance! En art, par contre, on peut faire à peu près n’importe quoi pour autant qu’on sache articuler son propos et vendre son concept. En d’autres mots, l’art n’a aucune limite, tandis que la science est limitée par les expériences et le fait de devoir les valider.
Bien sûr, certaines découvertes scientifiques ont vu le jour à la suite de petits accidents, mais les bonnes questions avaient été posées dès le départ. C’est là tout le mérite du scientifique. Devant une expérience qui n’a pas fonctionné ou qui a très bien fonctionné, le scientifique cherche à comprendre pourquoi. Il y a tout l’esprit de déduction qui entre en jeu. À partir de ces cas particuliers ou de ces singularités, certains scientifiques vont faire des découvertes intéressantes.
Quel regard portez-vous sur la science avec les évènements de la dernière année ?
R.M. : Parler de science à des gens qui n’en ont jamais fait c’est toujours délicat. Le public veut des réponses claires : c’est noir ou blanc. Sauf que la science c’est gris, gris foncé ou gris-blanc. Il n’y a jamais d’absolu. Ce qui est malheureux avec la médiatisation autour de la COVID-19, c’est que beaucoup de non-experts prennent la parole et polarisent le discours. La COVID-19 relève du domaine de la virologie, donc, selon moi, les virologues sont les personnes les plus compétentes pour en parler.
Malgré la tragédie de santé publique et les millions de vies volées, j’ai trouvé extraordinaire la mobilisation de la communauté de recherche pour la COVID-19. Les fonds débloqués pour la recherche ont été incommensurables, ce qui a permis aux scientifiques de mettre au point un vaccin en quelques mois. Ça leur a pris seulement 15 jours pour développer la structure de la protéine cible, alors que moi, ça m’a pris deux ans pour obtenir la mienne ! Les retombées sur le plan immunologique sont extrêmement intéressantes et elles vont déboucher sur des avancées importantes dans plusieurs années.
On oppose souvent art et science alors qu’ils ont plus en commun qu’on le pense. Être un scientifique s’est-il avéré être un atout dans votre pratique artistique et inversement ?
R.M. La confrontation des idées provenant de disciplines diverses ne peut qu’enrichir notre compréhension de l’univers et nous amène à nous poser des questions plus originales. Une ouverture d’esprit à d’autres domaines est indispensable pour éviter une hyper spécialisation qui empêcherait l’épanouissement de la personnalité et, par le fait même, la capacité d’appréhender la science par des biais originaux.
En science comme en art, la rigueur, l’inventivité et la persévérance sont indispensables. Cependant si les artistes peuvent imaginer à leur guise des univers complexes, les scientifiques sont tenus à une stricte observation des phénomènes qu’ils étudient et doivent constamment faire la preuve de leurs déductions.
Les œuvres cinétiques de Joëlle Morosoli.
L’exposition Fragments rétrospectifs de Joëlle Morosoli en collaboration avec Rolf Morosoli est présentée à la maison de la culture Claude-Léveillée, à Montréal, jusqu’au 29 août 2021.