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Vingt ans après son déploiement, la politique familiale québécoise est un modèle unique dont les effets sont tangibles tant d’un point de vue économique que sur la qualité de vie des parents et des enfants. Ce constat émane d’un colloque intitulé Le temps des bilans autour de la politique familiale, une initiative du partenariat de recherche Familles en mouvance, où se sont réunis des chercheuses et chercheurs, mais aussi de nombreux professionnels et intervenants issus du secteur communautaire comme du gouvernement québécois. Bien que chacun reconnaisse qu’il y ait toujours place à l’amélioration, les participants ont souligné que les efforts coordonnés autour de la politique familiale, intitulée Les enfants au cœur de nos choix, ont eu des effets largement positifs dans la population du Québec.
Le pari n’était pas gagné d’avance, a rappelé en ouverture du colloque madame Pauline Marois, ministre de la Famille au moment de l’adoption de la politique. Avant que l’idée d’une politique familiale parvienne à faire son chemin dans les préoccupations politiques, il a fallu déployer des efforts considérables.
Trois mesures novatrices ont été mises de l’avant : des services de garde universels de qualité et à frais minimes pour les parents, un soutien financier aux parents par l’entremise de mesures fiscales et un régime d’assurance parentale permettant à tous les parents de se prévaloir de congés rémunérés à la suite de l’arrivée d’un enfant. Madame Marois insiste sur le fait que ces mesures ont suscité un engouement au-delà de toutes les attentes, ce qui démontre qu’elles répondaient à un important besoin des parents.
Dans son analyse rétrospective, Renée B. Dandurand de l’INRS souligne les contributions essentielles de nombreux groupes et organismes de la société civile et du milieu politique qui ont milité pour l’adoption de mesures sociales d’aide aux parents, pressant le gouvernement à doter le Québec de programmes efficaces en ce sens. Comme le note Claudette Pitre-Robin, directrice du Regroupement des centres de la petite enfance de la Montérégie, le gouvernement n’était pas devant une page blanche.
Il s’est appuyé sur l’important réseau populaire de services de garde qui existait déjà en 1997 pour mettre en place le système actuel. Aussi, ajoute Marie-France Benoît, conseillère syndicale retraitée à la CSN, des pressions populaires et syndicales assidues ont été nécessaires pour obtenir en 2006 le feu vert du fédéral à l’instauration du Régime québécois d’assurance parentale (RQAP).
À mesure que prenaient forme les programmes, les données colligées montraient une tendance importante. La comparaison entre la situation des Québécois et des autres Canadiens permet de constater qu’à plusieurs égards les familles d’ici ont une meilleure qualité de vie. Peut-être en raison des mesures d’austérité, la différence s’est un peu amoindrie au cours des dernières années, mais l’effet de la politique familiale est néanmoins indéniable.
D’un point de vue économique, l’économiste Catherine Haeck de l’UQAM affirme que l’instauration des services de garde universels est un succès, car il a mené à une augmentation significative du nombre de mères occupant un emploi. La hausse de 12 points de pourcentage entre 1997 et 2002 n’a pas été observée chez nos voisins ontariens pour qui les services équivalents n’étaient pas disponibles.
Alain Noël, politicologue de l’Université de Montréal, a pour sa part démontré l’impact des mesures fiscales mises en place. Ces dernières, en permettant une redistribution financière aux parents, ont grandement amélioré la qualité de vie des parents comme des enfants. À partir de l’entrée en vigueur de la Prime au travail et du Soutien aux enfants en 2004, les enfants québécois vivent de moins en moins de pauvreté. Mieux encore, ils ont atteint au cours des dernières années, des taux de pauvreté inférieurs à la population générale. À titre comparatif, en Ontario depuis quelques années, les enfants sont maintenant plus susceptibles de vivre en situation de pauvreté que la moyenne de la population.
Malgré ces statistiques encourageantes, il n’en demeure pas moins que certaines familles ne tirent toujours pas le meilleur de la politique familiale. À titre d’exemple, les familles socioéconomiquement défavorisées sont proportionnellement moins nombreuses que les autres à inscrire leurs enfants dans un centre de la petite enfance (CPE). Cette situation est inquiétante puisqu’il s’agit d’une clientèle prioritaire pour ce service dont la qualité est meilleure que celle des garderies en milieu familial ou des garderies privées, notent Catherine Haeck et Nathalie Bigras, toutes deux de l’UQAM.
Du côté des mesures fiscales, ce sont les familles recomposées qui présentent un déficit, souligne Sylvie Lévesque, directrice de la Fédération des associations de familles monoparentales et recomposées du Québec. Basés sur le revenu familial, les calculs prennent en compte les revenus du nouveau conjoint, que ce dernier participe ou non aux dépenses liées aux enfants. Ce que certains appellent la « taxe à la recomposition » pèse lourd sur ces familles.
Selon Sophie Mathieu de l’Université Brock, des lacunes sont également présentes dans le cas du RQAP dont la structure convient principalement aux parents qui occupent un emploi à temps complet. Lorsque vient le temps de se prévaloir des prestations d’assurance, les montants sont cependant bien minces pour les autres catégories de parents, qu’ils soient étudiants, sans emploi ou qu’ils travaillent à temps partiel. Certains n’y ont tout simplement pas accès.
Alors que les services de garde ont souffert des mesures d’austérité, certains conférenciers s’inquiètent des actions en la matière prises récemment par le gouvernement provincial. La modulation des tarifs ainsi que les coupes dans les enveloppes budgétaires destinées à ces services proposent que la vision gouvernementale du dossier s’appuie sur une contribution financière accrue de la part des parents et sur la réduction des dépenses. Cette approche inclut difficilement les investissements qui seraient nécessaires pour améliorer la formule actuelle.
De fait, on remarque que la qualité des services, qui était déjà inégale d’un type de service à l’autre, a subi une baisse et que l’arrivée récente d’un grand nombre d’initiatives privées de garde d’enfants pourrait amplifier ce phénomène. Le nombre de places en CPE demeure insuffisant et les garderies privées non-subventionnées offrent des services de qualité moindre, alors que leurs éducatrices et éducateurs bénéficient de conditions de travail moins avantageuses.
Dans le paysage de la réflexion sur la famille, d’importants changements s’opèrent également depuis plusieurs années remarque Nathalie Saint-Amour, chercheuse à l’Université du Québec en Outaouais et au Partenariat familles en mouvance. En 2010, le Conseil de la famille et de l’enfance a été aboli. Cette instance consultative permettait de réunir les acteurs intéressés par la famille et l’enfance afin d’influencer les orientations ministérielles. À l’heure actuelle, aucune autre structure n’a été mise en place pour permettre ce dialogue. On remarque aussi l’arrivée de nouveaux acteurs dans le milieu, notamment des fondations philanthropiques qui prennent une place de plus en plus importante dans le financement des initiatives communautaires à l’intention des familles et des enfants.
En conclusion, les vingt dernières années ont permis d’élaborer des services nécessaires aux familles québécoises et qui font l’envie de bien d’autres. S’il s’agit d’un succès économique remarquable, l’objectif de contribuer au développement de l’enfant est encore à parfaire en misant sur des services de garde de meilleure qualité. Une base solide est déjà en place, il faut dorénavant veiller à ne pas l’affaiblir et à poursuivre les efforts d’amélioration.
Depuis 25 ans, le partenariat de recherche Familles en mouvance associe des chercheurs spécialisés dans l’étude des familles québécoises contemporaines ainsi que des professionnels et des intervenants du gouvernement du Québec et du secteur communautaire. En favorisant l’avancement des connaissances sur la famille, le partenariat permet un meilleur transfert des connaissances qui, à son tour, favorise une action collective pertinente auprès des familles. Les politiques familiales sont au cœur de la programmation de recherche du partenariat depuis sa formation.
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