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Jusqu’où va votre générosité? Il y a quatre ans, Josée Labonne, agente administrative à l’INRS, a tourné cette question dans tous les sens. Elle devait être certaine de sa réponse : était-elle prête, oui ou non, à donner un de ses reins? C’était pour sa sœur Colette afin qu’elle retrouve la qualité de vie que des troubles rénaux lui avaient ravie.
Avec une population qui vieillit, le nombre de personnes en attente d’une transplantation de rein ne cesse d’augmenter au Québec comme partout en Occident. Les dons d’organes cadavériques, après la mort clinique d’une personne, ne suffisent pas. « Le rein est un des organes pour lequel un don vivant peut être envisagé puisqu’on peut vivre avec un seul rein, note le professeur Claude Daniel de l’INRS. Le taux de succès est très élevé dans les interventions impliquant un donneur vivant grâce aux progrès qui ont été faits tant dans les analyses que dans les autres procédures impliquées. »
Dans le cas de Josée Labonne, tout s’est enclenché en 2013. Sa sœur aînée a annoncé à sa famille que son état de santé déclinait rapidement. Il lui fallait une transplantation de rein ou elle dépendrait de la dialyse, une avenue de traitement qui est très contraignante. D’abord placée sur une liste d’attente de transplantation, elle a accepté la possibilité du don vivant. Josée a pris la balle au bond : « Ça m’a semblé évident. Mais je ne connaissais pas du tout la démarche. » Elle amorce alors le processus d’évaluation physique et psychologique pour pouvoir répondre au besoin criant de Colette.
Parmi les étapes importantes, on doit s’assurer que le système immunitaire du receveur du rein acceptera ce nouvel organe. Cette notion s’appelle l’histocompatibilité : le donneur et le receveur doivent avoir un profil immunitaire suffisamment similaire pour que le rein ne soit pas rejeté. L’analyse sanguine de Josée et de Colette a été faite dans le laboratoire d’histocompatibilité de l’INRS, dirigé par Claude Daniel, un chercheur que Josée connaît bien.
« Pour les dons vivants, on relève notre seuil de sécurité parce qu’on ne veut pas mettre en danger le donneur, souligne le professeur Daniel. Bien qu’on procède exactement aux mêmes analyses que pour un don cadavérique, on a une responsabilité et des possibilités différentes. »
Les possibilités auxquelles réfère Claude Daniel sont celles des dons croisés coordonnés par la Société canadienne du sang. Il s’agit d’un réseau qui met en lien les paires donneurs-receveurs pour maximiser le nombre de greffes. Ainsi, si pour une raison ou une autre Colette et Josée ne pouvaient pas procéder à la transplantation, le rein de Josée pourrait être donné à une autre personne du réseau dans une « chaîne de transplantations » à travers le Canada au terme de laquelle Colette recevrait le rein d’un autre donneur.
Ce n’est pas ce scénario qui a eu lieu puisque le pairage entre les deux sœurs était approprié et la transplantation pouvait avoir lieu. Tout au long du processus, elles se sont senties épaulées et accompagnées de façon extraordinaire par l’équipe de l’Hôpital Notre-Dame. « Rien n’a été laissé au hasard, raconte Josée. On a vérifié mon état de santé, questionné mes motivations, passé au crible tous les cas qui pouvaient survenir pour s’assurer que j’étais bel et bien prête à faire le don, avec tous les risques que cela comporte. »
Du côté de Colette, tout un protocole a également été mis en place pour la préparer à l’intervention. Sa santé précaire demandait des soins prophylactiques avant le grand jour afin que son corps soit fin prêt à accueillir un nouveau rein.
De plus en plus fréquent, le don de rein vivant est celui qui obtient le plus haut taux de succès en raison de ses avantages. En premier lieu, puisqu’on ne veut surtout pas mettre en péril le donneur pour une transplantation infructueuse, on s’assure d’un appariement optimal, quitte à faire appel à un don croisé.
Deuxièmement, lors d’un don d’organe à la suite d’un décès, les reins ont parfois souffert. Que ce soit en raison d’un état de santé qui s’est aggravé jusqu’à la mort ou en raison d’un accident mortel, il s’agit d’un grand stress pour l’organe. Le donneur vivant, quant à lui, est en pleine forme au moment du prélèvement.
Troisièmement, le rein étant prélevé dans le même hôpital où la transplantation se fait, il ne subit pas le transport accompagné d’un refroidissement ou d’une perfusion qui sont nécessaires pour les autres types de dons. Toutes ces conditions minimisent l’inflammation du rein qui encouragerait le système immunitaire receveur à s’activer et donc à augmenter les possibilités d’un rejet.
Finalement, lors d’un don vivant, l’intervention est planifiée et tient compte de l’état général du receveur. Ce dernier est adéquatement préparé, physiquement et mentalement, alors qu’un don d’organe cadavérique survient à n’importe quel moment et on ne peut le laisser passer. Bénéficiant de tous ces avantages, après une convalescence de quelques mois, Colette a repris des activités normales, a retrouvé son humour, sa vivacité et tout ce qui fait la qualité de vie.
« C’était spectaculaire de la voir, se souvient Josée. La différence que la greffe a faite pour elle est inestimable! Et pour moi, ça n’a strictement rien changé. Maintenant, je vis avec un rein qui fait très bien son travail. Ma sœur, elle, en a maintenant trois ! Comme ses deux reins fonctionnaient encore, même de façon limitée, on les a laissés en place. S’il se trouve, elle a maintenant une meilleure capacité rénale que moi ! »
Pour le donneur vivant, après l’intervention, l’équipe de néphrologie demeure vigilante. Généralement, vivre avec un rein ne cause pas de problèmes. Josée pourrait développer une légère hypertension dix à quinze ans après l’ablation de son rein et ses fonctions rénales doivent être surveillées régulièrement. Elle n’a cependant pas de limitation particulière et n’a pas eu à modifier ses habitudes de vie.
Sa sœur doit pour sa part prendre des immunosuppresseurs pour que la cohabitation avec son troisième rein se passe bien à long terme. « Une des raisons pour lesquelles les taux de succès des greffes de rein ont augmenté, c’est que les pratiques post-transplantation se sont améliorées, explique Claude Daniel. Les immunosuppresseurs en font partie pour tous, mais chaque greffé a un dosage personnalisé. Si, comme dans le cas de Colette, les facteurs de risque de rejet sont faibles, le dosage d’immunosuppresseurs sera réduit et cela les rendra plus faciles à tolérer. »
Tous les gens ne sont pas égaux devant la transplantation d’organe. Les risques de rejet sont bien réels, mais ils sont mieux compris et évalués aujourd’hui. Dans les années 1990 et 2000, on parlait beaucoup de la compatibilité des donneurs. Aujourd’hui, on parle plutôt du risque que présente une transplantation.
Chaque personne a une signature immunitaire différente qu’on appelle le complexe majeur d’histocompatibilité. Il s’agit de segments de protéines, les HLA (Human Leukocyte Antigen), que les cellules immunitaires reconnaissent. Si les HLA d’un organe transplanté sont trop différents de ceux du receveur, le système immunitaire les identifie comme un corps étranger et l’attaque.
Lorsque les analyses étaient moins précises, on tentait d’avoir des HLA très similaires. Une compatibilité parfaite est impossible, mais on sait maintenant qu’il n’est pas essentiel d’avoir des HLA avec une très forte concordance pour réussir une transplantation d’organe.
En fait, c’est l’absence de réaction du receveur qui est l’élément clé de la transplantation. Le laboratoire d’histocompatibilité évalue donc chaque HLA du donneur. En les comparant à ceux du receveur, on identifie les similarités avec l’un ou l’autre des HLA du receveur. Que le HLA « X » du donneur ne soit pas semblable à celui du receveur n’est pas un problème… s’il a une ressemblance avec un autre HLA du receveur. En d’autres termes, on cherche à tromper la vigilance du système immunitaire avec une courtepointe HLA dans laquelle rien ne lui paraît assez suspect pour passer à l’attaque.
Cette compréhension de la réactivité immunitaire a rendu l’accès plus équitable aux transplantations de reins. Comme pour les groupes sanguins, certains HLA sont plus communs que d’autres dans la population. Auparavant, une personne ayant un complexe majeur d’histocompatibilité plus rare pouvait attendre très longtemps avant de trouver un donneur qui était « compatible », mais grâce aux avancées réalisées, il trouvera plus rapidement un donneur pour lequel il n’est pas réactif.
« Depuis quelques années, les listes d’attente pour les transplantations de reins ont beaucoup réduit, se réjouit Claude Daniel. Le principal facteur responsable de la diminution des listes d’attente est l’augmentation du nombre de donneurs au Québec, dû aux efforts de Transplant Québec et de la communauté médicale. La sensibilisation a donc porté fruit tant dans la population qu’auprès du personnel médical qui identifie davantage les donneurs potentiels. On compte même de plus en plus de dons de reins altruistes… des gens qui sont prêts à donner un rein à un étranger qui pourrait en avoir besoin. »
L’émotion qui étreint Josée ne laisse pas de doute quant à l’altruisme de son geste :
« Si j’avais dix reins, j’en donnerais un par année. Vraiment, je le referais sans hésiter. » En cette Journée mondiale du rein, l’INRS souligne la générosité de Josée Labonne. Sa sœur Colette profite depuis quatre ans d’un nouveau souffle de vie.
Nous lui souhaitons de la santé pour bien des années encore! ♦