- Tour d'horizon
Tour d’horizon en trois questions est une série qui met en valeur la recherche sous toutes ses formes et qui porte un regard éclairé sur l’actualité en innovation scientifique, sociale et technologique.
Le professeur Pierre Talbot, du Centre Armand-Frappier Santé Biotechnologie, a accepté de répondre à nos questions. Expert en coronavirus depuis près de 40 ans, il dirige laboratoire de neuroimmunovirologie qui s’intéresse aux liens entre les coronavirus et les maladies neurologiques.
Cela fait très longtemps que je suis fasciné par les virus et le cerveau. J’ai d’abord été initié aux coronavirus de souris lors d’un stage postdoctoral en 1981. J’ai ensuite consacré ma carrière au coronavirus du rhume, selon l’hypothèse qu’il pourrait infecter le cerveau et causer des maladies neurodégénératives ou neuro-inflammatoires. En travaillant à la frontière de la neurologie, de l’immunologie et de la virologie, mon laboratoire de neuroimmunovirologie est devenu l’un des seuls au Canada à étudier les coronavirus, en 1984.
En 2002, les phares se sont soudainement braqués sur le syndrome aigu respiratoire sévère, avec l’arrivée du SRAS-CoV-1. L’intérêt scientifique et médiatique s’est dissipé aussitôt le SRAS « disparu » quelques mois plus tard. Puis, en 2019, la COVID-19 (SRAS-CoV-2) devint la cause de la pandémie que nous subissons, entraînant des investissements massifs, notamment en recherche et en développement de vaccins. La communauté scientifique s’est mobilisée, des chercheuses et des chercheurs ont réorienté leur programme de recherche.
J’ai contribué à l’aventure par le partage d’outils et de compétences, notant au passage une augmentation impressionnante des citations des travaux de mon équipe… Rapidement, les séquelles neurologiques, qui touchent un patient atteint de la COVID-19 sur huit, ont attiré l’attention. Mes travaux se sont retrouvés dans l’actualité, même si cela fait des années que je m’y consacre.
D’un point de vue scientifique, ce n’est pas la première fois qu’on le constate : l’humanité a une forte tendance à réagir plutôt qu’à prévenir. Personnellement, la leçon que je tire de la recherche sur la pandémie actuelle est qu’il faut investir massivement et globalement dans la recherche sur les maladies infectieuses.
Ce qui a permis de développer rapidement des vaccins contre la COVID-19, ce sont les années de recherche qui avaient déjà été faites sur les coronavirus. Au moment où la communauté scientifique a eu besoin de se mobiliser, elle n’a pas eu à partir de zéro.
Lorsqu’un coronavirus se trouve dans une cellule infectée, son ARN se réplique et est traduit en protéines virales. Ces mécanismes viraux engendrent naturellement des erreurs de réplication et causent l’apparition de mutations. Si celles-ci ne sont pas avantageuses pour le virus, elles sont rapidement éliminées. Par contre, si elles donnent un avantage compétitif au virus, elles sont conservées. C’est ainsi que naissent les variants. Un bon exemple est le variant britannique du SRAS-CoV-2, qui est plus contagieux (vitesse de transmission) et probablement plus virulent (gravité de la maladie).
Notre recherche sur les conséquences neurologiques d’une infection par le coronavirus du rhume nécessite, entre autres, une approche méthodologique. Cette dernière permet d’introduire des mutations dans le génome du virus, pour ensuite caractériser ses effets sur l’infection, contribuant à notre connaissance du virus. Nous produisons donc en laboratoire un clone viral infectieux par l’intermédiaire d’une copie ADN du génome viral, insérée dans un vecteur plasmidique, lui aussi fabriqué en laboratoire. Cet outil exceptionnel nous permet de produire, à notre guise, des mutations virales, et donc des variants du coronavirus du rhume. Nous pouvons ainsi mesurer leurs effets lors d’infection de neurones in vitro ou in vivo, en le testant sur un animal de laboratoire, par exemple.
D’ailleurs, nous avons récemment réussi à démontrer un lien direct entre la neurovirulence, le clivage de la protéine S par des protéases cellulaires et l’immunité innée. Cette immunité antivirale découle de la production d’interférons, des protéines de première ligne qui aident à détecter rapidement la présence d’un virus. Cette découverte pourrait permettre d’empêcher la propagation du virus au cerveau chez les patients atteints de la COVID-19, et donc éviter les troubles neurologiques.