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L’herbe n’est pas toujours plus verte chez le voisin

Publié par Joël Leblanc

12 juin 2012

( Mise à jour : 20 juillet 2020 )

Dans son bureau du Centre Urbanisation Culture Société de l’INRS, à deux pas du quartier chinois de Montréal, le professeur Nong Zhu se penche sur les inégalités de revenus chez les immigrants du Québec. En explorant les données statistiques des vingt-cinq dernières années, cet expert poursuit un objectif : construire des modèles économiques pour expliquer — et solutionner l’intégration souvent partielle des immigrants, notamment ceux du Sud, à la société québécoise.

L’économie du Québec est en croissance. Même la crise économique mondiale de 2009, malgré une sévérité inattendue, ne l’a pas trop altérée. Avec un taux de chômage stable aux environs de 8 %, la province est prospère, et on pourrait penser que tous les citoyens tirent parti de cette situation de manière égalitaire. Or, ce n’est pas le cas. « Les immigrants du Québec sont bien plus nombreux à ne pas avoir d’emploi, précise Nong Zhu. Mes travaux visent à trouver des explications à ce désavantage des immigrants sur le marché du travail québécois. »

Lui-même venu d’ailleurs, le professeur Zhu a fait face aux problèmes d’insertion au marché de l’emploi à son arrivée au Québec. « Tout m’était inconnu, je commençais une nouvelle vie. Il m’a fallu une période de transition et, en tant que chercheur, j’ai dû réorienter mes axes de recherche. Malgré mon éducation, j’ai eu quelques difficultés, alors imaginez ce que vivent les autres arrivants…»

Pour expliquer pourquoi les immigrants triment tant pour jouer un rôle significatif dans l’économie québécoise, Nong Zhu avance deux explications. En premier lieu, des barrières telles la langue ou la culture « teintent tous les aspects de la vie des immigrants » et se révèlent particulièrement nuisibles dans un contexte de recherche d’emploi. Ces obstacles encouragent le développement d’une économie d’enclave, « c’est-à-dire de quartiers ethniques comme les quartiers chinois, où les immigrants recréent un peu leur coin de pays et où les problèmes d’assimilation disparaissent. Mais cela génère une distance avec le pays d’accueil, ce qui, à long terme, nuit à l’intégration ».

En deuxième lieu, Nong Zhu observe que les immigrants peinent à décrocher des emplois à cause de la discrimination, des préjugés. « Ça, c’est la variable invisible, celle que personne n’avoue. Il est facile de connaître des faits chiffrables comme la scolarité ou les barrières de langue, mais aucun employeur n’avouera dans un questionnaire qu’il discrimine les gens de certaines origines lorsque vient le temps d’embaucher. Ils en sont même parfois plus ou moins conscients », croit Nong Zhu.

Mieux vaut prévenir que guérir

Si les problèmes d’intégration à l’emploi des immigrants ne sont pas nouveaux, les méthodes utilisées par Nong Zhu, elles, sont innovantes. En effet, ce dernier applique des méthodes d’analyse de pointe aux données obtenues par les grandes enquêtes statistiques comme les recensements. Son champ de prédilection est l’économétrie, cet ensemble de méthodes qui observent d’abord le fonctionnement réel de l’économie afin d’en tirer des modèles prédictifs : « Je veux appliquer les plus récents développements en économétrie aux données canadiennes sur l’emploi et l’immigration », déclare-t-il.

En puisant dans les données de Statistique Canada et en appliquant ces méthodes, Nong Zhu a développé une analyse approfondie des inégalités. « On voit clairement que les revenus moyens des immigrants du Sud sont inférieurs à ceux des natifs et des immigrants des États-Unis et d’Europe de l’Ouest. Pourtant, ils ont tous reçu une certaine éducation, puisque c’est un des critères d’admission pour entrer au pays. D’ailleurs, plus le diplôme est de grade supérieur, plus le rendement relatif est faible, c’est-à-dire que l’écart est plus important entre le revenu réel et celui auquel on pourrait s’attendre avec une telle éducation. » Problème de non-reconnaissance des diplômes étrangers? « Oui, mais c’est un problème mondial, pas spécifique au Québec », mentionne le professeur.

Concrètement, par exemple, le Canada a connu une récession au cours des années 1991 à 1995, puis son économie s’est redressée de 1996 à 2006. Durant la récession, ce sont surtout les immigrants du Sud qui ont été touchés, et surtout les classes pauvres. Nong Zhu interprète la situation ainsi : « Ces immigrants sont considérés comme un réservoir de main-d’œuvre. Classiquement, ils occupent des postes subalternes ou secondaires pendant les périodes d’expansion économique mais sont les premiers à écoper pendant les récessions. »

Travailleur autonome inc.

Les observations du chercheur ont ainsi permis de repérer une tendance : une proportion de plus en plus importante d’immigrants se tourne vers le travail autonome. Il tente donc d’identifier les facteurs d’attraction et de répulsion qui font pencher vers le statut de travailleur autonome plutôt que vers celui d’employé salarié. Mais ce qui, au départ, semble une bonne alternative, ne résout pas les problèmes d’intégration, « parce que ces travailleurs autonomes offrent souvent leurs services seulement à leurs communautés spécifiques ».

Les résultats qu’obtient Nong Zhu pourraient fournir des pistes de solution. À l’aide de rapports, il fournit au ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles (MICC), de même qu’à Emploi Québec, des commentaires et des suggestions. « Par exemple, précise-t-il, le fait d’obtenir un emploi occupe une place prépondérante dans l’intégration d’un immigrant. Plutôt que de concentrer les efforts sur des prestations sociales aux gens sans occupation professionnelle, il faudrait peut-être mettre l’accent sur des mesures d’amélioration de l’accès à l’emploi. »

Autre point important : les investissements du gouvernement québécois dans l’enseignement de la langue française aux immigrants, une solution discutable à son avis. « Il faudrait peut-être plutôt faciliter l’immigration des étudiants internationaux qui sont déjà venus séjourner ici, conclut-il. Leurs diplômes sont valides chez nous, et ils sont déjà un peu intégrés. »

À la lumière des recherches menées par le professeur Zhu, il n’est pas faux d’affirmer que la réussite économique des immigrants du Sud rejaillira sur notre société. Et c’est par des travaux comme ceux de Nong Zhu que cette réussite sociale et économique pourra être atteinte. ♦

Les photos ont été réalisées dans le quartier chinois de Montréal.


Contrat Creative Commons« Nong Zhu et les inégalités de revenus chez les immigrants : L’herbe n’est pas toujours plus verte chez le voisin » de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS) est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Paternité – Pas d’Utilisation Commerciale – Pas de Modification 2.5 Canada. Les autorisations au-delà du champ de cette licence peuvent être obtenues en contactant la rédaction en chef. © Institut national de la recherche scientifique, 2012 / Tous droits réservés / Photos © Christian Fleury