Retour en haut

Ces bactéries voraces qui mangent le nitrate

Publié par Anne-Marie Simard

15 mai 2012

( Mise à jour : 19 mars 2021 )

Quand il s’agit de décontaminer un terrain ou un plan d’eau souillé par un déversement pétrolier ou toute autre substance polluante, le professeur Richard Villemur peut compter sur des alliées de taille : des bactéries. En effet, ces dernières sont capables de dévorer de grandes quantités de produits toxiques, pourvu qu’on leur donne un petit coup de pouce.

Professeur Richard Villemur. Photo : Christian Fleury

Ce microbiologiste du Centre Armand-Frappier Santé Biotechnologie a développé une expertise particulière avec le nitrate, un contaminant qui provient des déjections animales ou d’engrais chimique. Il y a quelques années, le nitrate a causé beaucoup d’inquiétudes dans les porcheries. On craignait que ce sous-produit du lisier de porc ne s’infiltre dans les eaux environnantes.

Les bactéries de Richard Villemur sont capables de transformer le nitrate en azote, un gaz inoffensif. C’est pourquoi, en 2000, le Biodôme de Montréal a fait appel à ses services pour le bassin de l’écosystème du golfe du Saint-Laurent. Des centaines de poissons, d’invertébrés et d’oiseaux y vivent et le nitrate provenant de leurs excréments s’y accumule rapidement. Les eaux du bassin sont traitées dans un bioréacteur, soit une cuve fermée contenant des bactéries, mais ce dernier ne suffit pas à la tâche.

Quand on appelle Richard Villemur en renfort, il n’arrive pas avec des bactéries dans sa valise. Il travaille plutôt avec celles qui sont déjà dans le milieu. Sa mission : les aider à mieux faire leur travail. Il cherche à les pousser jusqu’aux limites de leur performance, en leur fournissant par exemple le meilleur cocktail de nutriments.


Gloutonnerie, quand tu tiens les bactéries

Pour le microbiologiste, le bassin du Biodôme fut le point de départ d’une fascinante quête scientifique. Il fallait d’abord identifier les microorganismes qui avaient colonisé le bioréacteur. « La question de départ, c’était : “ Qui fait quoi ? ” », dit-il. Parmi le millier d’espèces de bactéries présentes dans l’eau du bassin, on en compte une vingtaine qui métaboliseraient le nitrate de façon directe ou indirecte. Les chercheurs les cultivent séparément pour voir à quelle vitesse elles le dévorent. On leur fait subir une série de tests pour identifier les conditions (pH, température, salinité de l’eau, etc.) qui stimulent au maximum leur gloutonnerie. « Un de mes étudiants a trouvé qu’elles performaient mieux avec de petites quantités d’oligo-éléments et de minéraux, comme le fer, le cuivre et le manganèse », raconte le professeur.

Toujours pour répondre à la fameuse question « qui fait quoi ? », le professeur Villemur utilise des outils de génétique de pointe. Il peut extraire en vrac le matériel génétique d’une population complète de bactéries — les vingt espèces en nomination dans la catégorie « meilleures mangeuses de nitrate ». Des techniques de séquençage à haut débit lui permettent de décoder certains gènes spécifiques en un rien de temps.

Un gène spécifique des bactéries intéresse Richard Villemur. « Certaines sections de ce gène varient beaucoup d’une espèce à l’autre, mais restent constantes pour une même espèce, mentionne-t-il. Chaque variante est en quelque sorte la signature de l’espèce. » Pour estimer la taille d’une population de bactéries, il suffit de compter le nombre de fois qu’une variante spécifique apparaît. Cette technique a permis de découvrir que deux espèces de bactéries se retrouvaient en grande majorité dans les bassins du Biodôme : les Hyphomicrobium et les Methylophaga.

En étudiant ces deux populations, l’équipe du professeur Villemur a découvert que les Hyphomicrobium travaillent de façon optimale quand la concentration saline est inférieure à 1 %. Bizarre quand on pense que celle du golfe du Saint-Laurent est de 2,8 %… Quant aux Methylophaga, elles sont au sommet de leur forme dans une plage de salinité variant entre 3 et 3,5 %. L’hypothèse du chercheur est que « Methylophaga protège Hyphomicrobium d’un choc salin en produisant un agent chimique pour la protéger ». L’altruisme existerait-t-il chez les bactéries? Richard Villemur parle plutôt de collaboration. « Dans un milieu donné, chaque bactérie a la machinerie pour tout faire, mais c’est plus efficace pour elles de se séparer le travail », fait-il remarquer.


Des labos au bassin d’eau

Dans le cas de l’expérience avec le Biodôme et à l’aide de chercheurs de l’École Polytechnique de Montréal, l’équipe a d’abord mis à l’essai ces bactéries dans un petit bioréacteur de 110 litres. Ces dernières ont passé le test haut la main. Puis est venu le temps pour elles de faire leurs preuves au Biodôme, cette fois dans un réacteur de 1 000 litres. Trois mois plus tard, les bactéries étaient dans un état de quasi-dormance et commençaient à peine à faire leur travail. En 2007, après neuf ans de recherche, le Biodôme décide de mettre fin à l’expérience. Déception. « Il aurait fallu laisser plus de temps aux bactéries pour se multiplier dans un si grand volume, plaide Richard Villemur. Notre erreur a été de ne pas accompagner le Biodôme dans la bonne marche du bioréacteur. »

L’aventure est pourtant loin d’être un échec pour le microbiologiste, car elle lui a permis, au contraire, de publier de nombreux articles scientifiques. En 2011, il a même reçu une subvention à la découverte du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG) d’une durée de cinq ans totalisant 400 000 $ pour poursuivre ses travaux, et espère bien revenir à la charge au Biodôme. Qui sait?

Richard Villemur mènent d’autres projets en parallèle. En aquaculture, il tente de voir comment contrôler les populations de bactéries qui donnent un goût terreux à la truite d’élevage. Aussi, avec le professeur Pierre Payment, un collègue du Centre INRS‒Institut Armand-Frappier, il cherche la signature biologique d’une contamination fécale humaine ou d’animaux d’élevage dans les lacs et rivières. Il travaille également sur une bactérie capable de métaboliser une nappe de pétrole répandue dans l’eau.

Le prochain rêve fou du microbiologiste? Parler aux bactéries. « Les bactéries communiquent entre elles avec des signaux spécifiques, explique Richard Villemur, et on va bientôt connaitre leur langage. » Dans la langue « bactérienne », comment dit-on : « Aidez-nous à décontaminer »?