« Nous avons localisé le suspect. Nous procédons à l’arrestation. 10-4. » Les deux agents embarquent facilement l’individu dans l’autopatrouille. Aucune résistance. Une fois à bord, coup de théâtre! L’hurluberlu neutralise les policiers, coupe le système de communication de la voiture et bousille les gyrophares… puis se sert de son nouveau véhicule de camouflage pour aller commettre d’autres crimes, incognito. Qui soupçonnerait les forces de l’ordre?
Le plus récent James Bond? Un roman d’espionnage? Non. L’infection d’un humain par le protozoaire Leishmania, qui se cache dans les sentinelles de notre système immunitaire, les macrophages. Il les met hors d’état de nuire et d’appeler des renforts puis les utilise pour infecter d’autres cellules. Quel culot!
« Les parasites sont probablement les meilleurs immunologistes au monde! », lance Albert Descoteaux, qui s’y frotte depuis 25 ans. Le professeur du Centre INRS–Institut Armand-Frappier tente de mettre au jour les plans d’invasion du protozoaire Leishmania. « Ces microorganismes sont capables d’éviter la destruction par le système immunitaire de façon très efficace », explique-t-il.
Contourner le système immunitaire
Comment cet être flagellé, des milliers de fois plus gros qu’un virus, peut-il passer inaperçu? Tout commence par une morsure de la mouche des sables : Leishmania habite son système digestif. Le moustique régurgite ses invités clandestins dans la plaie. Alertés par la blessure, les macrophages arrivent en premier sur les lieux du sinistre. Leur travail : avaler les intrus. Or, Leishmania n’est pas un indésirable comme les autres.
De petit animal mobile muni d’un flagelle – on appelle cette forme promastigote –, Leishmania perd sa queue et se métamorphose en amastigote une fois dévoré par un macrophage. Cette transformation extrême lui confère des pouvoirs tout aussi extravagants : il résiste à l’arsenal pourtant sophistiqué de destruction du macrophage, mis K.O. sans avertissement.
La forme cutanée de la maladie reste généralement localisée. Dans sa forme viscérale, elle atteint cependant des organes vitaux tels la rate et le foie : les dommages peuvent s’avérer catastrophiques, presque toujours mortels. Deux millions de personnes contractent la leishmaniose chaque année. Les espèces responsables de la forme viscérale sévissent surtout au Bangladesh, au Brésil, en Inde, au Népal et au Soudan. Les cas de leishmaniose cutanée surviennent principalement en Afghanistan, en Algérie, au Brésil, en Iran, au Pérou, en Arabie saoudite et en Syrie. D’ailleurs, des étudiants de régions où la maladie est endémique viennent régulièrement compléter un stage au laboratoire d’Albert Descoteaux, à Laval. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), 12 millions de personnes sont infectées, et ce, dans 88 pays.
Une stratégie digne des scorpions
« Je n’ai pas la prétention de guérir qui que ce soit, avertit le chercheur Descoteaux. Ça prend des gens qui travaillent à mieux comprendre le système immunitaire, parce qu’on n’en connaît pas assez, pour comprendre comment Leishmania réussit à l’éviter. » L’aura de mystère entourant le Leishmania est toujours bien opaque : « Plus on en découvre sur lui, ajoute le chercheur, plus on se rend compte de notre ignorance… » S’il existe bien quelques médicaments, de plus en plus de souches du parasite y sont indifférentes. Un vaccin? On n’y pense même pas pour l’instant.
L’équipe du professeur Descoteaux a récemment identifié une des armes secrètes de Leishmania. Surprise : le parasite utilise une molécule proche du Botox® et du venin de scorpion pour déboussoler les macrophages. Cette enzyme, véritable ciseau moléculaire, clive des protéines importantes de la membrane cellulaire des macrophages. Ce faisant, ces derniers deviennent incapables d’envoyer des vésicules remplies de microbicide – le Purell® du macrophage pour éliminer les indésirables – pour tuer le parasite.
En effet, une fois un corps étranger « avalé » par un macrophage, habituellement, des vésicules hautement chimiques fusionnent avec la vésicule contenant l’envahisseur, appelée phagosome. Ce dernier devient de plus en plus acide. Cette piscine chimique neutralise complètement l’indésirable, littéralement réduit en bouillie.
Cette étape étant court-circuitée, Leishmania prend le dessus. Les enzymes sécrétées par le parasite empêcheraient aussi le macrophage de hisser des drapeaux d’alarme à sa surface pour appeler des renforts. Le parasite se multiplie en toute impunité, envahit d’autres macrophages et répète le manège. « Cette enzyme pourrait devenir une cible thérapeutique, croit le spécialiste de la biologie des interactions hôte-pathogène. Mais encore faut-il intéresser l’industrie. »
Cette avancée découle d’une autre : il y a 15 ans, Albert Descoteaux, de concert avec son collègue à l’Université de Montréal Michel Desjardins, découvrait que la forme promastigote de Leishmania empêche les phagosomes de s’acidifier. On comprend aujourd’hui un peu mieux comment. « Cette découverte avait eu un grand impact sur la recherche, et sur ce qu’on teste aujourd’hui », mentionne le chercheur.
Faute de ressources, la recherche progresse lentement dans le domaine des « maladies tropicales négligées », comme les appelle l’OMS. Pourtant, « il y a des infections qui affectent des centaines de millions de personnes sur la planète, qui tuent un nombre incroyable de gens et on en parle très peu », déplore Albert Descoteaux, qui a la ferme intention de se dévouer encore longtemps à la compréhension de cette infection négligée. ♦
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