Grâce à une législation et à des mesures de contrôle rendues de plus en plus sévères au Québec depuis le début des années 1970, la qualité de l’eau potable est strictement contrôlée. Ainsi, les Québécois disposent, sur presque l’ensemble du territoire, d’une eau potable d’excellente qualité. De plus, le Programme d’assainissement des eaux usées, mis en place à la même période, assure la protection des cours d’eau.
Les municipalités québécoises consacrent jusqu’à 25 % de leur budget à assurer des services d’eau de qualité et à la protection de la ressource. C’est beaucoup. Et le défi qui attend les villes, dans le contexte du développement durable, est celui de devenir aquaresponsables. C’est justement à cette fin que l’Institut international de l’aquaresponsabilité municipale (iiAm), un organisme à but non lucratif fondé par des experts de l’INRS et de l’Université Laval, a été lancé en mars 2013.
Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts depuis la mise en œuvre du Programme d’assainissement des eaux du Québec (PAEQ), en 1978. Créé six ans après la Loi sur la qualité de l’environnement, qui visait notamment les industries papetière et pétrolière, le PAEQ a permis au fil des ans de réduire les émissions de déchets toxiques dans le réseau fluvial et de peaufiner le traitement des eaux usées. Si bien que près de trois décennies plus tard, « le problème de la pollution des eaux, potables ou usées, de source industrielle ou domestique, est réglé dans une proportion de 95 % », selon Jean-Pierre Villeneuve, professeur au Centre Eau Terre Environnement de l’INRS et un des experts qui collaborent aux travaux de l’iiAm. « Et en matière de gestion des eaux pluviales, le Québec s’en tire aussi très bien », ajoute sa collègue Sophie Duchesne, hydrologue spécialisée dans la gestion des eaux et des infrastructures afférentes en milieu urbain, également impliquée dans les travaux de l’iiAm.
Qu’est-ce qu’une ville aquaresponsable?
« L’aquaresponsabilité est un concept qui englobe toutes les actions qu’une ville devrait entreprendre pour garantir une saine gestion de ses ressources et de ses services d’eau sur son territoire », explique le professeur Villeneuve. Dans le monde, d’autres « regroupements de chercheurs analysent la gestion municipale de l’eau, mais jamais dans sa globalité », mentionne la professeure Duchesne.
Comment évaluer la performance et l’efficience d’une municipalité envers ses ressources en eau? Comment dresser un état des lieux et recommander les meilleures actions à entreprendre pour optimiser son aquaresponsabilité? Les experts de l’iiAm ont développé une méthodologie exhaustive qui comprend les 17 éléments caractéristiques de ce concept de développement durable. L’audit considère, pour ne nommer que quelques éléments, la protection, la conservation et l’exploitation des sources d’eau potable; la valorisation de la consommation responsable; la gestion des eaux usées en temps de pluie et de la pollution et des inondations en résultant; la formation adéquate et continue du personnel; la gestion des risques et des urgences; l’adaptation des infrastructures aux changements climatiques; le contrôle de la qualité de l’eau; l’information aux citoyens et leur accès à l’environnement aquatique; la gestion de l’eau solide (neige et glace).
Puis commence la période de l’audit basé sur cette méthodologie, qui peut s’étirer sur plusieurs mois. On interviewe toutes les personnes impliquées dans la gestion de cette ressource vitale dans la ville auditée (ex. : employés du service des ressources humaines, de l’ingénierie ou des communications, directeurs des services, maire), face à face et deux fois plutôt qu’une.
À partir des réponses obtenues, l’audit établit un constat de la situation, recommande des actions par ordre de priorité en commençant par les plus urgentes et celles qui auront le maximum d’impact, puis attribue une cote indiquant le niveau d’aquaresponsabilité – la cote maximale est AAA, et chaque élément est noté sur 5.
Une sorte de norme ISO de l’eau
Revue de littérature sur la ville auditée, analyse des éléments de l’aquaresponsabilité, considération des indicateurs de performance : en matière de gestion durable et responsable de l’eau, on ne badine pas avec les détails.
Prenons l’exemple de la Ville de Québec, qui a servi de projet pilote à l’iiAm. Quelque 2 700 questions ont été adressées à 35 personnes entre 2010 et 2011. Elle s’en est sortie la tête haute avec un A+. L’administration en place, qui a décidé de positionner Québec comme un pôle en matière d’aquaresponsabilité municipale, a d’ailleurs rendu public le rapport issu de l’exercice. Jean-Pierre Villeneuve souligne toutefois que « les villes peuvent garder confidentiels les résultats de leur audit, et qu’elles sont libres de prendre des mesures en fonction des recommandations formulées puis de reconduire l’exercice cinq ans plus tard ».
Nul n’est mieux servi que par soi-même
Pour mener à bien l’audit, l’iiAm fait donc appel à des experts locaux et externes à la Ville (ingénieurs, universitaires, par exemple) et ce sont les employés, les cadres et les gestionnaires de la Ville qui fournissent les informations nécessaires à la réalisation de l’audit. Ce mode de collaboration très participatif facilite le partage des connaissances et le transfert de l’expertise. Les recommandations issues de l’audit permettent à la ville qui les met en place d’optimiser pleinement sa performance et son efficience en gestion de l’eau afin de devenir aquaresponsable.
Pour Jean-Pierre Villeneuve, un pionnier au Québec dans le domaine de l’analyse des systèmes et de l’optimisation des ressources en eau, ce « regard objectif jeté par des experts locaux et externes ne peut que servir les villes. En effet, l’audit permet d’abord aux gestionnaires de mieux justifier auprès des élus les actions à entreprendre pour réaliser une gestion responsable de l’eau. Ensuite, leur cote d’aquaresponsabilité et les actions mises en place à la suite des recommandations de l’audit pourront jouer en leur faveur auprès des gouvernements, tant pour démontrer le respect des normes et des règlements que pour obtenir un soutien financier visant la réalisation de certaines mesures ». En ce sens, le programme international de certification d’aquaresponsabilité de l’iiAm constitue un argument de poids. Universelle, la certification est applicable à toutes les villes, de toutes les tailles, de Val-d’Or à Paris en passant par Barcelone.
Et demain maintenant
La Ville de Québec, avec son plan d’amélioration 2012-2017 d’où découlera un plan d’action, démontre que l’audit qu’a effectué l’iiAm génère des retombées concrètes. Après avoir validé son approche auprès de celle qu’on surnomme la Vieille Capitale, l’iiAm fait actuellement des démarches auprès d’autres villes québécoises, moins peuplées. « Auditer des municipalités plus petites que Québec constituera de nouveaux projets pilotes et de nouveaux défis qui permettront de valider la méthodologie et de voir, au besoin, comment l’adapter avec la réalité de ces municipalités, précise Sophie Duchesne. Les villes de quelques dizaines de milliers d’habitants, par exemple, ont vraisemblablement des ressources humaines, financières et matérielles plus modestes. Ces données devront être prises en compte dans la réalisation de l’audit. »
Une ville aquaresponsable améliore son empreinte écologique, rassemble des expertises complémentaires, met en relation une organisation et sa communauté avec son environnement et contribue à l’optimisation des ressources matérielles et financières. Sur le plan humain, l’aquaresponsabilité peut être un mode de vie. À l’échelle des villes vertes, celles d’aujourd’hui et de demain, c’est un défi à relever.