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Transport en commun : équité, emploi et mobilité à l’ère des nouvelles technologies

10 décembre 2025

Mise à jour : 9 décembre 2025

La série « Tour d’horizon en trois questions » met en valeur la recherche sous toutes ses formes et porte un regard éclairé sur l’actualité. 

Le professeur Mischa Young, expert en urbanisme, s’intéresse aux nouvelles technologies en transport et à l’avenir de la mobilité urbaine. Qu’il s’agisse d’analyser la circulation des individus ou la livraison d’objets, le spécialiste se penche sur l’arrivée massive de certaines alternatives qui ont révolutionné la manière de se déplacer en ville, comme les services de taxi Uber et Lyft, ou encore les vélos et les trottinettes électriques. 

Ces options permises par les nouvelles technologies opèrent parfois une concurrence directe face aux transports en commun – sans mentionner les problèmes de sécurité, d’inégalité, de précarité et de réglementation pouvant être associés à certaines de ces nouveautés. 

Alors que les débats entourant le développement du transport en commun sont au cœur de l’actualité, nous avons échangé avec le professeur Young pour mieux saisir les enjeux contemporains sur ces questions de mobilité contemporaine. 

Dans les dernières années, les nouvelles technologies ont révolutionné les offres de transport en zone urbaine. Pensons notamment à Uber, qui a forcé un changement de paradigme pour les taxis. Quels sont les risques et les opportunités que représentent des compagnies comme Uber pour le transport en commun?  

Depuis leur arrivée controversée au Canada en 2012, les services de covoiturage commercial, comme Uber et Lyft, et leurs impacts sur nos systèmes de transport, ont largement alimenté les débats médiatiques. Aujourd’hui présents dans plus de 140 municipalités à travers le pays, ces services représentent effectivement une menace pour les agences de transport en commun, en leur soustrayant une partie de leur clientèle. 

À Toronto, par exemple, plus d’un tiers des déplacements effectués en Uber sont considérés comme des substituts au transport en commun (Young et Farber, 2020). En plus de contribuer à la congestion urbaine, cette baisse de la demande entraîne des répercussions plus profondes : une diminution des revenus pour le service de transport public, qui risque alors de réduire son offre, pénalisant ainsi les usagers qui continuent de dépendre du transport collectif. 

Cela dit, mes recherches montrent qu’une part importante des trajets en Uber se déroule dans des secteurs ou à des moments de la journée où l’offre de transport en commun est insuffisante, et où le déplacement en voiture est nettement plus rapide. Dans ces cas, les services de covoiturage commercial peuvent jouer un rôle complémentaire en facilitant l’accès au reste du réseau de transport collectif. 

Plusieurs agences de transport en commun explorent, ou ont même déjà mis en place, des partenariats avec des compagnies comme Uber et Lyft. Le succès de ces collaborations varie selon le type de service offert, mais dépend surtout du niveau de demande. En effet, ces services attirent souvent plus d’usagers que prévu – phénomène que l’on appelle « la demande induite » par lequel une amélioration de l’offre entraîne une augmentation de la demande –, sans pour autant générer les mêmes économies d’échelle que les services de transport en commun traditionnels. Autrement dit, plus la demande augmente, plus il faut de voitures, ce qui accentue la congestion et fait grimper les frais d’exploitation. À l’inverse, une hausse de la demande sur une ligne d’autobus permet d’ajouter des véhicules, d’augmenter la fréquence du service et d’amortir les coûts sur un plus grand nombre d’usagers. 

Compte tenu de ces effets potentiels, les villes doivent réfléchir à la manière de concevoir des politiques et des réglementations adaptées afin d’encadrer ces nouveaux modes de transport et de s’assurer qu’ils s’inscrivent dans nos objectifs d’équité et de développement durable. 

Ces innovations en transport et la montée fulgurante du commerce en ligne ont transformé nos modes de vie, nos emplois et nos villes. Quelles sont vos observations sur le terrain en matière d’achat en ligne et de congestion routière? 

La pandémie de COVID-19 et les mesures de confinement qui ont suivi ont entraîné une forte augmentation du commerce en ligne. Mes recherches montrent que le nombre de personnes ayant effectué des achats en ligne au moins une fois par semaine a été presque multiplié par cinq entre l’automne 2019 (11,6 %) et le printemps 2020 (51,2 %). Ce pourcentage a légèrement diminué depuis, mais demeure bien au-dessus du niveau prépandémique. 

Cette hausse des achats en ligne a des répercussions importantes sur nos comportements de déplacement. En achetant en ligne, nous avons moins besoin de nous rendre en magasin, ce qui réduit la demande de transport en commun pour les trajets domicile-commerce, mais aussi le nombre de déplacements en voiture, contribuant ainsi à diminuer la congestion urbaine. 

Cela dit, pour arriver jusqu’à nos portes, ces achats doivent être livrés. Les camions de livraison de type FedEx ou UPS sont couramment utilisés pour effectuer cette dernière étape du processus, connue sous le nom de « dernier kilomètre » (last mile en anglais). En regroupant plusieurs livraisons, cette approche promet de réduire la congestion et les émissions, mais en pratique, ce n’est pas toujours le cas. 

Faute d’espaces dédiés à la livraison, ces camions sont souvent contraints de se stationner en double ou de bloquer des pistes cyclables et des trottoirs. Ces comportements, liés en partie à la structure salariale des livreurs qui valorise la rapidité et un nombre élevé de livraisons, mettent en danger les piétons et les cyclistes et contribuent à la congestion routière.  

Un autre facteur à considérer est le taux de retour nettement plus élevé pour les achats en ligne que pour les biens achetés en magasin. Ce taux élevé de retours génère des déplacements supplémentaires qui n’auraient probablement pas eu lieu autrement, accentuant à leur tour la congestion routière. 

En somme, la hausse des achats en ligne a clairement réduit la demande de transport en commun pour les trajets domicile-commerce, mais son effet sur la congestion routière demeure incertain. Le manque d’espaces de stationnement pour les véhicules de livraison, combiné au taux élevé de retours, limite les gains potentiels liés à la réduction des déplacements en voiture vers les commerces. 

Quelles sont les technologies qui nous attendent dans un futur rapproché, et comment vont-elles changer nos villes? De la même manière qu’Uber a bouleversé le monde du transport, y a-t-il d’autres révolutions à venir sur le marché qui vont chambouler nos habitudes?  

Il existe de nombreuses tendances à venir qui vont sans doute bousculer notre quotidien. Parmi celles-ci, une nouveauté que j’observe de près en mobilité urbaine est la compétition croissante entre les piétons et les technologies qui empiètent sur l’espace piétonnier. 

Cela inclut les formes de micromobilité électrique comme les vélos et les trottinettes, dont la popularité a fortement augmenté au cours des dernières années. Malgré des réglementations visant à limiter leur usage sur les trottoirs, on les y retrouve fréquemment, ce qui pose un clair problème de cohabitation entre les différents usagers. Mes recherches montrent qu’en contexte urbain, environ 10 % des déplacements en vélo ou en trottinette électrique se déroulent sur les trottoirs – or, ce chiffre diminue de plus de moitié lorsqu’une piste cyclable ou une autre infrastructure dédiée est aménagée. 

Ces résultats suggèrent que les usagers de micromobilité ne privilégient pas nécessairement les trottoirs par choix, mais plutôt parce qu’ils ne se sentiraient pas en sécurité sur les autres infrastructures routières disponibles. Dans ce contexte, il conviendrait de considérer l’usage des trottoirs non pas uniquement comme un comportement répréhensible, mais aussi comme un indicateur de conditions cyclables dangereuses et un outil permettant d’identifier les zones nécessitant des améliorations en matière de sécurité routière. 

Une autre technologie qui s’impose rapidement, et qui risque également de changer nos habitudes, est celle des robots de livraison autonomes. Ceux-ci apparaissent de plus en plus comme une solution aux défis du « dernier kilomètre » liés au commerce en ligne, un secteur qui ne cesse de croître d’année en année. Cependant, afin de réduire les coûts de livraison et de satisfaire le désir des consommateurs qui exigent des délais toujours plus courts, ces robots risquent d’introduire de nouvelles formes de privilège et de marginalisation. Dans les villes où ils ont déjà été déployés, des problèmes de sécurité pour les piétons ont été constatés. 

Ainsi, une adoption plus large des robots de livraison pourrait se transformer en un problème généralisé pour les piétons. Il est donc d’autant plus crucial de suivre attentivement cette bataille pour l’espace piéton et de collecter de nouvelles données afin de mieux comprendre les défis potentiels liés au déploiement de ces technologies dans nos villes.