- Recherche
L’Observatoire des réalités familiales du Québec célèbre dix années consacrées à la transmission des connaissances.
L’Observatoire des réalités familiales du Québec (ORFQ), lié à l’Institut national de la recherche scientifique, a été créé en 2015 avec le mandat de diffuser, dans un langage accessible, les résultats de la recherche sur les familles québécoises et leurs transformations.
Recomposition familiale, adoption, conciliation famille-travail, violence conjugale, immigration, diversité sexuelle et de genre, période périnatale, sont quelques-unes des réalités qui ont été mises en lumière par l’ORFQ depuis sa création.
Retour sur dix ans de recherche accessible avec la directrice de l’organisation, la professeure Maude Pugliese, basée au Centre Urbanisation Culture Société de l’INRS, experte des questions entourant la famille, les finances et les inégalités; et avec Marilyne Chevrier, coordonnatrice et responsable de la mobilisation des connaissances de l’ORFQ.
Selon vous, quels sont les éléments qui distinguent l’ORFQ d’autres organismes de recherche dans le milieu de la famille ?

Maude Pugliese (M.P.) : En fait, ce qui nous distingue, c’est justement que nous ne sommes pas un organisme de recherche à proprement parler ! En tout cas, pas si ce que l’on imagine par le mot « recherche », c’est de la production de nouvelles données scientifiques. L’ORFQ est plutôt un espace de documentation et de diffusion des connaissances déjà disponibles. Nous sommes une interface à la jonction entre différents milieux qui s’intéressent aux questions familiales. À ce titre, l’ORFQ rassemble la recherche récente, notamment des articles scientifiques, des rapports de recherche ou des thèses de doctorat, pour traduire ces nombreuses informations en formats accessibles. On privilégie donc les formats courts, sans jargon. Au début, l’ORFQ se concentrait surtout sur la rédaction d’articles de synthèse, mais, depuis quelques années, notre équipe développe aussi des contenus dynamiques et illustrés. Nous publions au minimum une trentaine de textes par année, ainsi que des infographies, des dossiers thématiques et une infolettre mensuelle. Nous sommes donc très réactifs face à des thèmes d’actualités.
Marilyne Chevrier (M. C.) : Comme nous ne sommes pas une entité de recherche traditionnelle, cela signifie également que nous ne sommes pas contraints de diffuser les recherches d’un seul groupe de recherche en particulier. Nous pouvons nous abreuver auprès d’un ensemble de recherches disponibles au Québec, parfois au Canada et à l’international. Cette indépendance est une grande force. Nos contenus sont consultés par plusieurs dizaines de milliers de personnes chaque année, de partout au Québec, voire dans la francophonie. Ces savoirs partagés permettent de nourrir l’action collective auprès des familles.
Comment l’ORFQ choisit-il ses thèmes et ses orientations ?

M.P. : L’ORFQ compte sur un comité consultatif constitué de neuf partenaires, qui sont des organisations importantes des milieux Familles au Québec. Nous consultons ces instances pour prendre le pouls du milieu : quelles sont les réalités familiales prioritaires pour lesquelles de nouvelles connaissances sont nécessaires ? Quelles sont les préoccupations des professionnelles et professionnels sur le terrain ? Ce sont les grands guides de notre organisme. L’un de nos publics les plus importants est le milieu communautaire qui dessert les familles. Pour ces entités, notre objectif est de fournir de l’information à jour, pertinente et issue de la recherche sur des thèmes qui sont d’intérêt pour eux, pour lesquels un manque de connaissances est bien présent, par exemple sur les réalités des familles immigrantes ou sur l’accès aux services sociaux de certaines familles en situation de vulnérabilité.
M.C. : Les réalités familiales et les contextes sociaux changent vite, les conditions de vie familiale se dégradent… Il y a beaucoup à faire. Nos partenaires nous permettent de fixer un cap qui répond directement à des besoins observés dans la vie quotidienne. Suivant les besoins des membres de son comité consultatif, l’ORFQ peut également être amené à bâtir des dossiers thématiques pour alimenter la réflexion et informer le public en général. Les plus récents ont porté sur la pluriparentalité, mais aussi sur les réalités des jeunes trans et non-binaires et leur famille.
L’ORFQ se penche justement sur des réalités familiales émergentes et régionales. Quel rôle joue l’ORFQ face à des domaines moins étudiés ?
M.P. : Certaines réalités émergentes – par exemple, la pluriparentalité – sont des thèmes importants pour les intervenantes et intervenants sur le terrain, mais l’on s’aperçoit que la recherche est encore en cours de construction dans ces domaines. Pour ces sujets très actuels, il faut alors travailler sur des contenus qui sont encore en train d’être analysés dans le monde universitaire. Parallèlement, les cycles de publications, dans des revues scientifiques par exemple, peuvent s’avérer assez lents, ce qui présente un enjeu pour un écosystème qui travaille avec la population au jour le jour. Dans ces cas précis, l’ORFQ propose des événements présentant les résultats de recherche en cours, que notre équipe traduit ensuite en publications illustrées. On sort des cadres des publications usuelles, tout en gardant du contenu vérifié et créé par des expertes et experts du domaine.
M.C. : Par ailleurs, au Québec, plusieurs professionnels et professionnelles travaillant auprès des familles nous ont confirmé que les réalités varient beaucoup entre les régions. Cependant, la recherche se penche surtout sur des bassins de populations à Montréal, ou sur des données agrégées au niveau provincial. Les intervenantes et intervenants en région se trouvent face à un manque de données probantes.
M.P. : L’ORFQ a donc développé un projet visant à contribuer à les accompagner ; par exemple, nous souhaitons encourager les chercheuses, chercheurs, étudiants et étudiantes de cycles supérieurs à étudier ces aspects régionaux, à poser leurs loupes sur certaines réalités familiales en particulier. En ce sens, l’ORFQ joue son rôle d’interface, en connectant les besoins du terrain aux milieux producteurs de connaissances.


Par son modèle hors norme, l’ORFQ occupe une place particulière dans le monde scientifique au Québec. En quoi votre structure s’avère-t-elle intéressante pour la relève et pour la population ?
M.P. : L’ORFQ contribue à la formation de la relève scientifique, ne serait-ce qu’à travers les stagiaires qui y sont accueillis chaque année. Les étudiantes et étudiants nous confirment que les capacités de vulgarisation scientifique sont très valorisées sur le marché du travail. La formation que nous leur offrons à l’ORFQ vient directement renforcer ces compétences transversales. À l’ORFQ, ce sont les personnes étudiantes qui effectuent la rédaction. Comme nous sommes une petite équipe et que nos rédacteurs et rédactrices étudiant.e.s et nos stagiaires doivent toucher à beaucoup d’aspects différents, cela leur permet de gagner en expérience sur plusieurs plans. Chaque texte est retravaillé avec eux, soumis à plusieurs rondes de révisions, pour leur permettre de devenir rigoureux, créatifs et efficaces.
M. C. : Par ailleurs, l’ORFQ sert régulièrement de modèle dans des cours universitaires. Plusieurs collègues s’inspirent de nos façons de faire pour transmettre des compétences en vulgarisation scientifique, dans des domaines aussi variés que la sociologie, le travail social ou encore la criminologie. Nous collaborons chaque année avec des professeures et professeurs qui proposent à leurs groupes de rédiger des textes vulgarisés selon la méthode de l’ORFQ. Nos rédactrices en chef évaluent, sélectionnent et encadrent ensuite les meilleurs pour publication. Nous recevons fréquemment des demandes de la population, du Québec, mais aussi de la France et de l’Afrique francophone, qui consultent nos contenus en ligne et qui font appel à nous pour différentes problématiques abordées dans nos textes. Nous les dirigeons alors vers les ressources appropriées. On le voit, nos contenus ont un rayonnement qui s’étend même à l’extérieur du Québec.
M. P. : Dans le contexte actuel, où l’on observe une certaine difficulté à faire circuler l’information scientifique, notamment à cause des enjeux de désinformation, c’est une grande fierté de dire que nous diffusons, chaque semaine, des connaissances accessibles, robustes et appuyées par la recherche. Ainsi, au-delà de la recherche universitaire, l’ORFQ occupe une place très particulière de passeur de connaissances, de vitrine sociale et de jonction entre les milieux. Ce rôle s’avère d’une grande pertinence dans le monde d’aujourd’hui.