- Science et société
Dans un texte d’opinion de La Presse publié le 16 février 2023, deux vice-recteurs de l’Université de Montréal appelaient le gouvernement canadien à « contrer le déclin du français en sciences ». Dans sa lettre ouverte publiée dans Le Devoir le 22 février 2023, le porte-parole du Bloc Québécois en matière d’Innovation et Sciences et député Maxime Blanchette-Joncas se désolait de la « sourde agonie du français en science ». Depuis plus d’un siècle, l’Acfas a pour mission de faire rayonner la recherche scientifique dans toute la francophonie. Plus récemment, le scientifique en chef du Québec, Rémi Quirion, de même que les Fonds de recherche du Québec (FRQ) font de grands efforts de promotion en la matière…
Toutefois, en sciences naturelles, en génie et en sciences biomédicales, la langue de publication est presque toujours l’anglais. En tant que francophone, je me désole de la disparition du français comme langue scientifique internationale. En tant que dirigeant de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS), établissement de recherche et de formation unique au Québec, je me dois pourtant de souligner que la solution proposée – inciter à publier nos articles scientifiques en français – aura pour effet inévitable de réduire considérablement le rayonnement de la science québécoise sur la scène internationale.
Durant la crise de la COVID-19, des articles scientifiques en anglais ont fait la manchette, à plusieurs reprises. Très rapidement, la validité des résultats scientifiques a été discutée, débattue, et même parfois, remise en question, dans les médias et sur la place publique.
Or, de tels textes spécialisés et difficiles à déchiffrer nécessitent bien souvent l’intervention d’autres scientifiques ou de spécialistes du domaine pour les interpréter. Tout simplement, parce qu’ils ne sont pas destinés aux journalistes et encore moins au grand public. Ils s’adressent directement aux scientifiques du monde entier.
Pourquoi? Parce que la publication n’est pas un acte en marge de la science, c’est au cœur même de l’activité scientifique : les résultats d’une recherche doivent obligatoirement recevoir l’appréciation critique des pairs, des spécialistes du domaine. Ils peuvent être réfutés ou validés, ce qui leur accorderait plus de crédibilité. Ils peuvent aussi fournir une réponse permettant à un autre laboratoire d’avancer plus loin dans ses travaux. La publication est donc essentielle à la science et à l’avancement d’une discipline scientifique. La condition est d’être lue.
Comme francophones, on peut se désoler de voir l’anglais occuper tout l’espace de la publication scientifique. Mais il n’y a pas que les francophones du Canada que cela touche. Tous les scientifiques dont la langue maternelle n’est pas l’anglais acceptent de publier leurs articles en anglais.
La science a toujours eu besoin d’une langue commune internationale. Le latin a longtemps joué ce rôle. Les ouvrages de l’anglais Newton, de l’italien Galilée et du polonais Copernic ont tous été publiés en latin. Avant la Seconde Guerre mondiale, c’est l’allemand qui servait de langue scientifique. Depuis les années 1950, il faut reconnaître que les revues scientifiques américaines se sont imposées en raison des investissements massifs en recherche aux États-Unis.
C’est donc l’anglais états-unien (et non pas celui du Royaume-Uni) qui est graduellement devenu la nouvelle lingua franca. À titre d’exemples, en 1989, Les Annales de l’Institut Pasteur, pourtant fondées au XIXe siècle, sont devenues Research In Microbiology. La revue phare de la physique, Annalen der Physik, qui avait publié en allemand les articles qui ont nobélisé Albert Einstein, n’accepte plus désormais que des manuscrits rédigés en anglais états-unien. Dans un tel contexte international, impossible de conclure qu’il s’agit principalement d’un débat linguistique canadien. Exiger que les scientifiques du Québec publient leurs articles en français pour promouvoir le français au Canada ne ferait que les rendre invisibles aux spécialistes du monde entier et empêcherait qu’on reconnaisse leurs contributions, et cela sans avoir d’impact significatif sur l’érosion de l’usage du français dans les rues de Montréal.
On a néanmoins raison de s’inquiéter du déclin du français en recherche, surtout dans les sciences naturelles, le génie et les sciences biomédicales. Il nous suffit comme scientifiques d’essayer de parler de notre domaine en français avec notre entourage ou les journalistes pour constater à quel point il est difficile de le faire sans utiliser l’anglais. Comme il ne sert plus aux articles scientifiques, le français a cessé d’évoluer au rythme de nos découvertes. Les nouveaux concepts trouvent des mots anglais pour les décrire, mais pas d’expression consacrée en français. Les étudiantes et étudiants de nos universités sont de plus en plus amenés à lire des textes en anglais alors que très peu se destinent à des carrières de recherche scientifique. Les contribuables qui ont payé pour cette science ne peuvent donc plus en entendre parler, la lire ou l’apprendre dans leur langue.
Il faut donc impérativement trouver des façons de faire évoluer le français scientifique. Pour cela, les FRQ et les universités francophones peuvent jouer un rôle en valorisant davantage la participation de leurs scientifiques à des congrès francophones comme celui de l’Acfas. Ils pourraient aussi valoriser la publication de grands ouvrages de synthèses qui remplaceraient avantageusement les compendiums de notes de cours dans l’enseignement universitaire. Enfin, ils pourraient valoriser davantage la publication en français d’ouvrages grand public. Ces trois solutions ne sont sans doute pas suffisantes, mais elles offrent un point de départ.
Toutefois, en ce qui concerne la publication d’articles scientifiques en sciences naturelles, en génie et en sciences biomédicales, nous devons accepter que nos scientifiques publient dans la langue consacrée aux échanges entre nations et que cette langue soit l’anglais… pour l’instant.