- Ma recherche en série
Quand les études universitaires sont portées par la curiosité et un désir de changer le monde, un engagement à la fois.
Thays De Oliveira apprecie la beauté du Québec. Photo © Maxime Favé
La microbiologie, l’étude des organismes microscopiques, et toutes les questions qui l’entourent m’ont toujours attiré. J’estime que ce monde invisible à l’œil nu est le centre de la vie elle-même, car les bactéries sont considérées comme la forme de vie la plus simple qui soit. Et pourtant, elles sont étonnamment complexes.
Comme j’aime résoudre des énigmes, j’ai décidé de faire un doctorat en biologie, dans le laboratoire d’Eric Déziel à l’Institut national de la recherche scientifique (INRS). J’y étudie évidemment une bactérie bien spéciale.
Mon admiration pour le travail du professeur Déziel et ma passion pour la microbiologie m’ont poussé à faire tout ce chemin depuis le Brésil, mon pays d’origine.
Savez-vous que les bactéries communiquent entre elles ? Ces tout petits organismes sont effectivement capables de se partager des informations. Pour cela, ils utilisent un « langage » qui leur est propre, basé sur la production, la détection et la réponse à plusieurs signaux chimiques dans leur environnement. C’est ce qu’on appelle le « quorum sensing », et c’est l’objet de mon projet de recherche.
Cette communication intercellulaire est « activée » lorsque la densité bactérienne dépasse un certain seuil.
La compréhension de ces signaux est extrêmement importante dans mes travaux, car les bactéries pathogènes les utilisent pour coordonner leur comportement nuisible.
Autrement dit, même si elles sont unicellulaires, les bactéries peuvent agir comme un organisme multicellulaire. C’est leur capacité à utiliser cette stratégie qui augmente le potentiel d’infection.
Au cours des dernières années, nous avons vu une augmentation des infections bactériennes impossibles à traiter. Ce scénario devrait s’aggraver dans les années à venir et pourrait causer mondialement jusqu’à 10 millions de décès par an d’ici 2050, une grande menace pour la santé publique.
Actuellement, nous disposons de deux modèles de bactéries sur lesquels nous travaillons afin de comprendre la communication interbactérienne à l’INRS : la bactérie Pseudomonas aeruginosa et celles du genre Burkholderia. Ces pathogènes sont responsables d’une proportion importante des infections acquises à l’hôpital (infections nosocomiales). Elles sont également connues pour infecter de façon chronique les poumons des personnes atteintes de fibrose kystique. Cette maladie génétique augmente l’épaisseur du mucus présent dans les poumons, les rendant donc très vulnérables à la colonisation bactérienne.
D’autre part, les infections causées par ces bactéries sont très difficiles à traiter, car elles emploient plusieurs mécanismes pour se protéger. Par exemple, elles peuvent facilement acquérir une résistance aux antibiotiques. En fait, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a récemment classé P. aeruginosa dans la catégorie des agents infectieux critiques. Ainsi, la recherche et le développement pour traiter les infections causées par cet agent pathogène sont devenus une priorité officielle.
Dans le laboratoire du professeur Déziel, nous contribuons à la recherche de nouveaux médicaments pour contrer ces bactéries avec une approche novatrice. Comme le « quorum sensing » favorise la virulence bactérienne, notre objectif est de bloquer efficacement ce système de communication. Théoriquement, cela pourrait faciliter l’éradication des bactéries par l’utilisation d’antibiotiques traditionnels. Pour y parvenir, nous devons d’abord comprendre les subtilités de ce mode de communication.
Dans le cadre de mes travaux, je m’intéresse particulièrement à la manière dont le « quorum sensing » est régulé, notamment ce qui déclenche l’expression des protéines qui modulent ce système et quand cela se produit. La compréhension de ce système nécessite l’utilisation de stratégies de biologie moléculaire, telles que la modification de l’ADN bactérien.
L’impact des modifications génétiques est évalué par la façon dont elles modifient l’expression des gènes et/ou le profil de production des molécules chimiques (le « langage » des bactéries). La détection du quorum chez P. aeruginosa est l’un des modèles les mieux étudiés, mais il reste encore beaucoup à apprendre, tant en laboratoire que dans des conditions cliniques, car nous savons qu’elle peut être déclenchée par différentes protéines dans ces contextes différents.
Comme mentionné, ce qui définit la vie m’a toujours intriguée. Heureusement, j’ai été intéressée par les coulisses qui composent cette vie. L’étude des sciences biologiques a donc toujours été une évidence pour moi. Avant d’arriver à l’INRS, j’ai étudié à l’Universidade de São Paulo, considérée comme l’une des meilleures universités du Brésil. Par contre, c’est un environnement très sélectif. Malheureusement, cette sélection se traduit par un manque de représentation noire, tant dans le corps étudiant que dans le corps enseignant. Ce manque de représentation se transpose également dans les recherches scientifiques faites sur les personnes noires, en biologie par exemple.
Face à cette réalité, j’ai commencé à m’engager dans des projets visant à stimuler l’accès de la communauté noire aux études supérieures. Parallèlement, j’ai commencé un stage au laboratoire de la professeure Regina Baldini, qui travaillait déjà sur la régulation des gènes bactériens. Ce travail m’a mené à effectuer un stage à l’INRS, alors que je faisais ma maîtrise au Brésil, avec le professeur Déziel.
En 2019, je suis revenue au Québec et j’ai commencé mon programme de doctorat dans le laboratoire du professeur Déziel. Aujourd’hui, je suis fière de représenter la communauté noire dans les études supérieures et d’enrichir sa contribution à la société.
J’espère vraiment que ce mois de février, destiné à valoriser l’histoire des Noirs au Canada, apportera plus d’équité à nous tous.