Bienvenue dans notre exposition virtuelle sur la contribution du Dr Armand Frappier et de l’Institut de microbiologie et d’hygiène de l’Université de Montréal à l’effort de guerre du Canada pendant la Seconde Guerre mondiale.
Le contexte d’avant-guerre
Avant la Seconde Guerre mondiale, le Québec cherche à se moderniser dans le domaine de la recherche scientifique. Aucun organisme dédié à l’étude de la microbiologie, de la bactériologie ou de l’hygiène n’existe dans la province, ce qui rend le Québec dépendant envers l’étranger pour l’achat de vaccins, entre autres.
Un homme va tout changer. Avec une détermination et l’élan qui deviendront sa marque de commerce, le Dr Armand Frappier réussira à convaincre le gouvernement provincial de la pertinence de créer et de soutenir un organisme québécois qui rayonnera ici et ailleurs. Avec la guerre qui se profile à l’horizon, cet organisme consolidera son statut en participant à l’effort de guerre canadien.
Biographie du Dr Armand Frappier
Né à Salaberry-de-Valleyfield en 1904, Armand Frappier s’engage en médecine après que la tuberculose emporte sa mère à l’âge de 40 ans. Après ses études en médecine, il se spécialise en bactériologie (précurseur de la microbiologie) et, grâce à des bourses comme celle de la Fondation Rockefeller, il entreprend des études supérieures à l’étranger, car le Québec n’offre pas encore ce genre de formations. Ainsi, le jeune Dr Frappier se forme auprès de prestigieuses institutions américaines (Trudeau School of Tuberculosis, Université de Rochester), mais aussi et surtout, il étudie à l’Institut Pasteur de Paris. Dès lors, il va côtoyer les célèbres découvreurs du vaccin antituberculeux (le Bacille Calmette-Guérin (BCG)), à savoir les docteurs Albert Calmette, Camille Guérin et Léopold Nègre. D’ailleurs, il ramènera avec lui, au Québec, une souche du vaccin atténué.
À son retour, la carrière du Dr Frappier s’amorce sous de bons augures.
Il fonde les laboratoires de diagnostic de l’Hôpital Saint-Luc de Montréal, puis il devient assistant-professeur au Département de bactériologie de la Faculté de médecine de l’Université de Montréal.
En s’inspirant de son apprentissage à l’étranger, le Dr Frappier offre aux étudiants en médecine, seuls habilités à s’inscrire, des cours de bactériologie qui égalent ceux des meilleures institutions de l’époque. Par ailleurs, il prend la tête du laboratoire du BCG de l’Université de Montréal. Avec le soutien du doyen de la Faculté de médecine, le Dr Télesphore Parizeau, il va orchestrer et dynamiser le premier laboratoire du BCG en Amérique du Nord (fondé en 1926) afin d’expérimenter et de préparer le vaccin contre la tuberculose. Le Dr Armand Frappier va être l’un des premiers Nord-Américains à prouver à tous ses collègues que le vaccin antituberculeux est inoffensif et efficace.
Le gouvernement du Québec et l’Université de Montréal
L’Université de Montréal et le gouvernement du Québec ont eu une influence déterminante pour l’Institut de microbiologie et d’hygiène de l’Université de Montréal. Les origines de l’Institut se situent dans le Département de bactériologie de la Faculté de médecine de l’Université que dirigeait le Dr Armand Frappier depuis 1933. C’est là que la future équipe de l’Institut s’est constituée et que s’est précisée l’idée de fonder un organisme spécialisé en microbiologie, en médecine préventive et en hygiène publique.
Le Québec avait besoin de laboratoires modernes, de former des experts dans ces domaines et de produire ses vaccins au lieu de les acheter à l’étranger ou à l’Ontario, dans les renommés Laboratoires Connaught de Toronto.
En se basant sur le modèle de l’Institut Pasteur de Paris, le Dr Frappier veut moderniser la recherche scientifique au Québec et la rendre autonome en s’autofinançant par la vente des produits qu’elle a préparés. En 1937, le premier ministre du Québec Maurice Duplessis et le ministre de la Santé, J. A. Paquette, sensibles au projet du Dr Frappier, octroient un montant de départ pour élaborer le futur Institut et promettent de les aider à se développer, ce qu’ils ne cesseront de faire au cours des ans. En avril 1938, l’Institut de microbiologie et d’hygiène de Montréal est né, une corporation sans but lucratif et sans capital-actions. L’Université de Montréal est le lieu tout désigné pour y installer ces nouveaux laboratoires. Après deux ans de pourparlers, l’Université accepte de louer des espaces dans ses futurs immeubles sur le Mont-Royal. Grâce aux apports financiers de l’Université de Montréal et du gouvernement du Québec, l’Institut de microbiologie s’installe dans l’aile H en mai 1941. En 1942, une loi spéciale affilie l’Institut à l’Université. Il devient l’Institut de microbiologie et d’hygiène de l’Université de Montréal.
L’Institut de microbiologie et d’hygiène de l’Université de Montréal
Le développement de l’Institut de microbiologie est attribuable, en grande partie, aux experts scientifiques qui, dès le début, ont fait en sorte que le rêve du Dr Frappier devienne réalité. Dès 1934-1935, le Dr Frappier va être accompagné par des étudiants, des médecins, des vétérinaires qui vont former la première cohorte de scientifiques de l’Institut. Beaucoup ont effectué leurs études supérieures aux États-Unis ou en Europe, à l’instar d’Armand Frappier, ou dans des établissements reconnus comme l’Hôpital St-Luc ou l’École vétérinaire d’Alfort (France). Parmi eux, citons : Victorien Fredette, le premier assistant du Dr Frappier, Lionel Forté, Jean Tassé, Maurice Panisset, Jean Denis, Vytautas Pavilanis, Paul Marois ou encore Adrien Borduas.
L’équipe de l’Institut de microbiologie, qui va s’accroître au fil des ans, tire sa force de son interdisciplinarité en terme de recherche, comme le montrent les différents services de l’Institut.
Ainsi, la Section des recherches en microbiologie, hygiène publique et médecine préventive regroupe des services, à la fois multidisciplinaires et complémentaires, parmi lesquels on compte le Service du BCG, le Service de la diphtérie, le Service des vaccins, ou encore le Service de dessiccation du sérum humain.
Tous explorent des champs de recherches aussi variés que la tuberculose expérimentale, la variole, la gangrène gazeuse ou les effets préventifs du vaccin BCG dans le traitement de la leucémie. Ces recherches diversifiées vont amener la production d’une multitude de produits biologiques, dont le vaccin du BCG, les anatoxines diphtériques et tétaniques, le sérum normal de cheval ou les vaccins antivarioliques et antityphoïdiques. D’autres sections de l’Institut se concentrent sur la préparation des produits biologiques, l’enseignement spécialisé de la microbiologie ou sur les œuvres de médecine préventive, comme la vaccination par le BCG.
L’expertise, le dévouement et la productivité du personnel choisi par le Dr Frappier vont contribuer à la notoriété incontestable de l’Institut de microbiologie au niveau local, national et international.
L’effort de guerre
La guerre, c’est beaucoup une question de matériel : les armes, les munitions, l’équipement radio, le pétrole pour faire fonctionner les moteurs des avions, des chars d’assaut ou des sous-marins. Mais la guerre reste une affaire très « humaine ». Il faut nourrir les soldats, les vêtir, les chausser, même veiller à leur moral. Mais surtout, il faut les soigner quand ils tombent sur le champ de bataille.
C’est dans ce domaine que va s’illustrer Armand Frappier. Avec son équipe et le soutien de la Croix-Rouge canadienne et du gouvernement du Canada, il mettra son jeune Institut au service de l’effort de guerre des Alliés. En très peu de temps, d’importantes quantités de produits sont envoyées pour soigner les blessés en Europe, avec au premier chef des milliers de bouteilles de sang desséché. C’est cet exploit que nous vous racontons ici.
Contexte
Lorsque la Deuxième Guerre mondiale éclate, le Canada veut organiser ses services médicaux militaires pour anticiper l’afflux de blessés en provenance des théâtres d’opérations. Puisque des réserves de sang seront nécessaires en grande quantité pour les soigner, le Conseil national de recherches du Canada créé des comités de recherche sur le sang, sa conservation, son stockage, mais aussi sur ses dérivés et substituts, afin de cerner quelle stratégie devrait adopter le pays.
Affiche produite par la Croix-Rouge pendant la Seconde Guerre mondiale Source : Archives de la Croix-rouge canadienne. Ampoule de sérum humain liquide pour transfusion d’urgence. Source : Fonds de l’Institut Armand Frappier Travailleuses de la Croix-rouge canadienne remplissant des boites de denrées. Source : Archives de la Croix-rouge canadienne
À la suite des expériences du Dr C. H. Best de l’Université de Toronto, les autorités canadiennes optent, à la fin 1940, pour la préparation du sérum normal humain, un dérivé du sang. Comme il est nécessaire d’avoir de grandes quantités de sang pour sa préparation, on met en place le premier programme national de don de sang. La Société de la Croix-Rouge canadienne, responsable de la collecte de sang, va établir des cliniques spécialisées sur tout le territoire pour accueillir les dons de sang qui se feront de manière volontaire et sans rétribution. Le sang collecté sera acheminé à Toronto. Dans les Laboratoires Connaught, on procèdera à son traitement jusqu’à l’obtention du sérum normal humain, sous une forme liquide et desséchée. Il sera ensuite envoyé sur les champs de bataille pour venir en aide aux soldats canadiens et alliés.
Rapidement, on pressent et l’on observe que les dons vont être nombreux et que les laboratoires subventionnés par le gouvernement à Toronto ne vont pas être suffisants. La perspective de répartir les tâches avec un autre centre de traitement du sang est envisagée.
Selon la Croix-Rouge et certains de ses comités, dont le Comité du service de dons de sang, il serait judicieux que celui-ci soit situé dans l’est du Canada, pour recevoir les dons de cette partie du pays. Aussi, l’Institut de microbiologie et d’hygiène de l’Université de Montréal se positionne comme le candidat idéal.
L’Institut de microbiologie et d’hygiène de l’Université de Montréal
D’après le Dr Frappier, le jeune Institut de microbiologie peut jouer un rôle majeur dans l’effort de guerre que va fournir le Canada. Son expertise et celles de ses collègues, les recherches qu’ils ont menées et notamment celles sur le BCG, la confiance du Conseil national de recherches du Canada qui s’est traduit par des subventions de recherches, mais aussi le soutien de l’Université de Montréal qui va héberger les nouveaux locaux de l’Institut de microbiologie, sont autant d’acquis qui seront déterminants dans l’implication patriotique à venir.
À partir de la fin 1941, la Société de la Croix-Rouge canadienne va préconiser, auprès du gouvernement fédéral, l’autorisation d’un deuxième centre canadien pour traiter le sang des donneurs afin de ne pas risquer une pénurie de sérum et aussi pour délester les Laboratoires Connaught de Toronto qui traitent alors tous les dons du Canada. De plus, un centre dans l’est du pays pourrait prendre en charge les dons provenant de la province du Québec ou des Maritimes. Selon la Croix-Rouge canadienne, ce centre devrait être l’Institut de microbiologie, car il présente tous les avantages techniques et une position géographique stratégique.
Il faut encore un an et l’intervention de l’ancien premier ministre du Canada, Richard Bedford Bennett, avant que le ministère des Pensions et de la Santé nationale autorise un deuxième centre à traiter le sang pour les besoins des soldats. Les Laboratoires Connaught vont fournir une aide technique et matérielle à l’Institut de microbiologie, qui va commencer, en octobre 1943, par séparer le sérum du sang, avant d’effectuer le processus complet jusqu’à dessiccation, comme on le fait à Toronto. La livraison du matériel et des équipements a accusé un retard important. Des coûts se sont également ajoutés. Cela fait en sorte que la production de sérum humain desséché ne débute qu’en mars 1944 et qu’il ne sera prêt à être expédié qu’en septembre.
Un des principaux enjeux médicaux de la Deuxième Guerre mondiale est de sauver le plus de soldats possible, et cela signifie avoir rapidement accès à de grandes quantités de sang.
Le sang et ses substituts
Cependant, certaines des opérations médicales qui permettraient de sauver plus de vies, comme la transfusion sanguine, comportent de nombreuses contraintes. Cette technique, en effet, permet de restaurer le volume sanguin des blessés, à la suite de blessures graves. Or, dans les années 1940, la compatibilité entre les groupes sanguins recèle encore certains mystères entraînant l’échec, parfois tragique, de certaines transfusions, même entre patients supposément compatibles. Autre obstacle, à l’époque le sang ne se conserve qu’au maximum deux semaines et suivant des conditions atmosphériques particulières. Son transport et son stockage étant très difficiles, la solution qui retient l’attention des scientifiques est celle des substituts du sang, comme le plasma ou le sérum.
À la différence du sang, le plasma et le sérum ne présentent pas d’incompatibilité entre donneur et receveur, car ils sont débarrassés des cellules sanguines responsables des réactions immunitaires. Aussi dès la fin des années 1930, des comités sont mis en place et on étudie les substituts sanguins en Grande-Bretagne, aux États-Unis et au Canada, avec le Dr Best de l’Université de Toronto. Préférés au sang, ces substituts commencent alors à être produits à grande échelle. De plus, on utilise sur eux une technique encore nouvelle à l’époque, la lyophilisation, afin de les déshydrater, dans le vide et dans le froid. Plus légers que le sang liquide, ces produits se transportent plus facilement. Ils peuvent aussi se conserver sur de longues périodes et être entreposés sous toutes les conditions atmosphériques. On peut les administrer aux patients immédiatement, avec l’ajout d’eau stérile. Tout comme le sang, ils rétablissent le volume sanguin perdu et évitent ainsi les chocs traumatiques chez les blessés.
Les laboratoires Connaught
Les laboratoires de recherche médicale Connaught de l’Université de Toronto ont des objectifs similaires à ceux de l’Institut de microbiologie. Fondés en 1914, ces laboratoires souhaitent développer la recherche en médecine préventive et en hygiène publique, mais aussi promouvoir l’enseignement de ces domaines. Suivant le modèle de l’Institut Pasteur de Paris, la recherche et l’enseignement sont financés grâce à la vente de produits biologiques, ce qui inspirera également l’Institut de microbiologie.
Un des édifices faisant partie des Laboratoires Connaught, dans les années 1940. Source : Archives Sanofi pasteur Canada Équipement de production dans une des salles des Laboratoires Connaught. 1923. Source : Archives de l’Université de Toronto.
À la suite des recherches du Dr C. H. Best de l’Université de Toronto, les laboratoires Connaught bénéficient de l’aide du gouvernement fédéral et de la Société de la Croix-Rouge canadienne, afin de produire, dès janvier 1941, le sérum normal humain desséché à destination des soldats canadiens et alliés. Les dons de sang, qui permettent de préparer le sérum humain, ne vont cesser d’augmenter tout au long de la guerre, obligeant les laboratoires Connaught à augmenter, à plusieurs reprises, les espaces dédiés à l’effort de guerre et à acquérir de nouveaux équipements afin d’être plus productifs. En plus de produire le sérum humain desséché, ils préparent la pénicilline à destination des Forces armées. Ils continuent néanmoins à produire d’autres produits biologiques, comme le vaccin typhoïde-paratyphoïde ou encore l’insuline, et à conduire leurs recherches en médecine préventive et en hygiène publique.
Les laboratoires de Toronto fournissent, pendant tout le conflit, une productivité élevée et soutenue comme le montrent les chiffres de l’année 1944. Cette année-là, les laboratoires Connaught reçoivent 868 684 dons de sang et de sérum à traiter. Ils expédient, dans les réserves médicales à Ottawa et directement sur le front, en Grande-Bretagne, 184 436 bouteilles de sérum humain desséché. Après la guerre, ils poursuivent leurs activités de recherche et de développement avec, entre autres, le fractionnement du sang et la lutte contre la poliomyélite.
Mentors et partenaires
Pendant l’ébauche du projet de fondation d’un Institut de microbiologie, mais aussi durant toute la guerre, le Dr Frappier et l’Institut de microbiologie vont établir des relations avec de nombreux autres instituts et laboratoires, notamment américains et français, comme l’Institut Pasteur de Paris, qui offrirent leur support au jeune institut de Montréal.
Le Dr Frappier et par la suite, nombre de ses collègues de l’Institut de microbiologie, vont aller se perfectionner aux côtés des célèbres découvreurs du vaccin BCG, les Drs Albert Calmette et Camille Guérin.
À Paris, étudiant auprès de celui qui va devenir son mentor et le futur conseiller scientifique de l’Institut, le Dr Léopold Nègre, le Dr Frappier va développer une expertise unique alliant le savoir-faire pasteurien et américain pour façonner le futur Institut de microbiologie.
L’Institut Pasteur va s’avérer être le modèle sur lequel vont se baser les laboratoires de microbiologie modernes, dont l’Institut de microbiologie : recherche en médecine préventive et en hygiène publique, enseignement et production de produits biologiques sont les piliers du modèle fondé par Louis Pasteur en 1887.
Le Dr. Camille Guérin, un des co-découvreurs du vaccin contre la tuberculose. Source : Wellcome Library, Londres Photographie autographiée du Dr. Léopold Nègre, de l’Institut Pasteur, un des mentors d’Armand Frappier. Source : INRS, Fonds Armand Frappier Louis Pasteur et son épouse. Source : INRS, Fonds Institut Armand-Frappier
Ainsi, tous ceux qui auront séjourné à l’Institut Pasteur de Paris vont former des liens privilégiés, et cette grande « famille pasteurienne » va entretenir durablement cette collaboration et ce partage d’expériences. Pendant la guerre, le Dr Frappier va aussi bénéficier de l’appui d’autres partenaires scientifiques, comme le Dr Denstedt, de l’Université McGill, qui sera d’ailleurs conseiller technique au Service de dessiccation du sérum.
Une collaboration internationale entre les experts se met également en place. Ces derniers échangent autour des sujets d’études lors des rencontres de comités internationaux. De plus, on partage les techniques et méthodes pour faire avancer la science, comme le démontrent les stages et voyages d’études effectués par des chercheurs de l’Institut de microbiologie auprès du Dr Cohn de l’Université de Harvard ou encore dans les Laboratoires d’hygiène de l’État de New York. D’ailleurs, le Service de dessiccation de l’Institut de microbiologie tirera profit de ces séjours afin d’améliorer ses techniques de préparation du sérum.
Le Service de dessiccation du sérum humain de l’Institut de microbiologie et d’hygiène
Le Service de dessiccation, supervisé par le Dr Frappier et Jean Tassé, intervient en tant que service de séparation du sérum pour les laboratoires Connaught de l’Université de Toronto. À force de perfectionnement et d’observation des diverses méthodes utilisées dans les laboratoires américains et aux laboratoires Connaught, l’équipe du Dr Frappier procède, à partir de mars 1944, au traitement complet du sang recueilli par la Croix-Rouge canadienne jusqu’à la production de sérum desséché. La première dessiccation du sérum humain réalisée à Montréal a lieu le 29 mars 1944.
Les experts de l’Institut de microbiologie vont standardiser les méthodes de préparation du sérum et vont œuvrer, jour et nuit, aux côtés des bénévoles de la Croix-Rouge canadienne pour augmenter leur production.
Grâce à eux, le Service de dessiccation va expédier plus de 2000 caisses contenant des dizaines de milliers de bouteilles de sérum desséché. Des donneurs de sang ont participé massivement au programme national de don de sang. Grâce à leur générosité, plus de deux millions de dons de sang ont été récoltés pendant la guerre dans tout le Canada. Leur geste héroïque a permis de produire des centaines de milliers de bouteilles de sérum desséché qui ont sauvé la vie à des milliers de soldats canadiens et alliés.
À la fin de la guerre, les autorités fédérales font don de tous les équipements et appareillages du Service de dessiccation à l’Institut de microbiologie. L’ancien service dédié à l’effort de guerre va s’orienter vers le fractionnement du sérum, dont les protéines comme la gammaglobuline, participent à la prévention de certaines maladies comme la poliomyélite ou la rougeole. Il participe à la prévention de certaines maladies comme la poliomyélite ou la rougeole. Il va également être utilisé pour lyophiliser des vaccins et des antibiotiques, comme la pénicilline, pour des firmes pharmaceutiques.
Étapes pour la préparation du sérum humain desséché
Sous la supervision de Jean Tassé, le Service de dessiccation de sérum normal humain de l’Institut de microbiologie regroupait plusieurs secteurs d’activité, chacun représentant une étape dans la préparation du sérum desséché. Le processus débute par des étapes préliminaires relatives à la collecte du sang avec les bénévoles de la Société de la Croix-Rouge canadienne : préparation stérile du matériel qui allait être utilisé lors des prélèvements sanguins (bouteilles en verre), expédition dans les diverses cliniques de la Croix-Rouge et retour du sang embouteillé à l’Institut de microbiologie.
Après coagulation, le sang des donneurs est centrifugé pour que le sérum se sépare du plasma (partie liquide du sang) et des cellules sanguines (globules blancs, globules rouges et plaquettes). Le sérum de plusieurs donneurs est mélangé et des tests permettent de vérifier la stérilité.
Dans l’étape suivante, le même sérum est filtré, purifié et détoxifié pour enlever les éventuelles bactéries restantes. De nouveau, d’autres tests de stérilité sont effectués. Alors seulement, le sérum entre dans la phase qui le transforme dans sa forme finale déshydratée. Celle-ci commence par la mise en bouteille du sérum et la vérification de la stérilité. Ces bouteilles, qui seraient employées lors de la transfusion pour les blessés, sont ensuite congelées à basse température (- 40 °C). À cette étape, le sérum congelé pouvait être entreposé pour une utilisation ultérieure ou pouvait être desséché par lyophilisation. D’autres tests de stérilité et de toxicité sont réalisés sur le sérum sec avant d’étiqueter et d’empaqueter les bouteilles de sérum desséché dans des boîtes en bois avec des nécessaires à transfusion. En parallèle, d’autres boîtes contenant des bouteilles d’eau stérilisée servant à reconstituer le sérum qui sera administré aux blessés par transfusion sont préparées. Le sérum normal humain desséché est fin prêt à être expédié aux forces alliées sur les champs de bataille.
Les autres productions de guerre et les expéditions de produits biologiques
Malgré la priorité de l’effort de guerre, les chercheurs de l’Institut continuent à mener leurs recherches dans les champs de l’hygiène publique et de la médecine préventive, avec un accent particulier mis sur les études relatives à la médecine militaire. Ils expérimentent sur les corps pyrogènes qui rendent le sérum humain toxique, sur la gangrène gazeuse chez les blessés de guerre. On étudie aussi l’origine virale du cancer, les différents modes de vaccination du BCG et les allergies que le vaccin provoque chez les patients.
De ce fait, l’équipe du Dr Frappier va élaborer d’autres produits biologiques en plus du sérum humain, comme les anatoxines diphtérique et tétanique, le vaccin antivariolique ou la pénicilline.
Les acheteurs de ces produits sont aussi variés que les ministères de la Santé fédéral et provincial, les armées alliées et même les Forces françaises libres. Ainsi, depuis 1941, l’Institut de microbiologie expédie au Québec, au Canada et en Europe, des vaccins et des sérums. L’exportation de produits biologiques atteindra son paroxysme à partir de la fin de 1944, avec les envois de sérum humain desséché.
Dès lors, le Service de dessiccation du sérum humain va travailler sans relâche pour rattraper son retard vis-à-vis des laboratoires Connaught et envoyer le plus rapidement possible du sérum desséché aux blessés. Des milliers de bouteilles de sérum humain desséché vont être expédiées en Europe grâce aux donneurs de sang canadiens, mais aussi étrangers. En 1945, des milliers de dons de plasma offerts par les citoyens américains de l’État du Vermont ont permis à l’Institut de microbiologie d’envoyer encore plus de sérum et de plasma desséchés aux combattants des Forces françaises libres et des armées alliées.
Les affinités culturelles et historiques qui existaient entre les Français et les Canadiens français se sont aussi manifestées dans l’aide apportée par le Dr Frappier aux soldats français blessés, grâce aux envois de sérum humain desséché au Dr Mérieux de l’Institut Mérieux de Lyon.
L’après guerre : progrès scientifiques et rayonnement international
Dans les années d’après-guerre, les progrès réalisés par le Dr Frappier et son équipe contribuent à améliorer de la santé publique, surtout au Québec. Propulsé par l’élan que lui donne son rôle en temps de guerre, l’Institut de microbiolgie devient un joueur majeur dans les domaines de la recherche et de l’enseignement en microbiologie et en hygiène publique, et cela bien au-delà des frontières du Québec et du Canada.
Pour le travail accompli tout au long de sa carrière, le Dr Frappier récoltera de nombreux honneurs et deviendra l’un des scientifiques canadiens les plus connus.
Amélioration de la santé publique et de la médecine préventive
Le programme de dons de sang a connu un tel succès pendant la guerre que la Croix-Rouge canadienne envisage, dès la fin 1944, la possibilité de donner à tous les citoyens canadiens des transfusions sanguines gratuites. De cette façon, tout le monde aurait accès à ce système national de distribution du sang au sein des établissements de santé du pays qui désireraient participer au projet.
À cette époque, les conditions dans lesquelles se déroulaient les transfusions de sang étaient précaires. Il fallait moderniser le processus. La Croix-Rouge canadienne met en place, en octobre 1945, son service national de transfusion sanguine et l’implante progressivement dans toutes les provinces.
Première vaccination contre l’influenza. On y voit le Dr. Vytautas Pavilanis administrant le vaccin au Dr. Jean Tassé. Photo prise dans les laboratoires de Laval, en 1957. Source : Fonds de l’Institut Armand-Frappier Photographe : André-Paul Cartier Départ d’une expédition pour Saint-Augustin, dans le Golfe du Saint-Laurent, au début des années 1950. L’Institut y envoie une équipe sous la direction des docteurs Vytautas Pavilanis et Jean Tassé pour faire des relevés suite à une épidémie de poliomyélite. Source : Fonds de l’Institut Armand-Frappier Photographe : Richard Arless Associates
L’expertise des médecins comme le Dr Frappier va être mise à profit pour stériliser les équipements médicaux et améliorer les méthodes en vigueur dans les hôpitaux et les cliniques de la province de Québec. Celles-ci présentaient de sérieuses lacunes à l’origine de nombreuses contaminations du sang ou du sérum humain en 1943.
Le Dr Frappier et d’autres collègues vont ainsi visiter les institutions sanitaires québécoises pour former le personnel hospitalier et infirmier, et participer à la standardisation des procédés de stérilisation afin d’améliorer la situation sanitaire de la province.
Dans les années d’après-guerre, l’Institut de microbiologie transforme ses activités relatives à l’effort de guerre. Par exemple, le Service de dessiccation du sérum devient un laboratoire de fractionnement du sang.
Le Dr Frappier organise d’autres laboratoires, tournés vers l’innovation, comme le laboratoire de la poliomyélite inauguré en 1956 par le premier ministre Maurice Duplessis. Dès lors, l’Institut de microbiologie s’engage sur des sujets de recherche avant-gardistes, entre autres, dans les domaines de la virologie et de l’immunologie. En terme de production, de nouveaux vaccins commencent à sortir des laboratoires de l’Institut, dont les vaccins antipolio Salk et Sabin ou encore le vaccin contre la grippe.
La médecine préventive et l’hygiène publique, au Québec, entrent dans l’ère de la modernité.
Émancipation de la bactériologie au Québec
Les progrès scientifiques réalisés pendant l’effort de guerre se prolongent en temps de paix et se matérialisent dans une volonté commune d’améliorer la santé publique au Canada et surtout au Québec. Ce courant général de réforme sanitaire et sociale incite le Québec à prendre des mesures pour se moderniser.
Cette modernisation se manifeste par des initiatives comme le projet de fonder une école d’hygiène au sein de l’Institut de microbiologie. C’est au Dr Frappier et à d’autres acteurs publics influents (Chambres de commerce de Montréal, ministre provincial de la Santé) que l’on doit l’origine de ce projet. Selon eux, il est temps que le Québec modernise ses secteurs de la santé, qu’il puisse être autosuffisant dans la production de produits biologiques nécessaires aux besoins sanitaires et qu’il puisse former ses propres scientifiques au lieu qu’ils étudient à l’étranger (États-Unis ou Toronto).
Le Dr. Armand Frappier administrant un vaccin à un jeune enfant lors d’une mission contre la tuberculose chez les autochtones Cris de la région de Mistassini. 1948. Source : Fonds Institut Armand-Frappier Le laboratoire des travaux pratiques des hygiénistes à l’École d’hygiène de l’Université de Montréal. 1945. Source : Fonds Institut Armand-Frappier Photographe : C. A. Barbier
La mise en place d’un enseignement spécialisé de l’hygiène publique et de la médecine préventive va apporter plusieurs bénéfices à la province.
L’enseignement au sein de l’École d’hygiène sera donné en français et de nouvelles carrières scientifiques et spécialisées dans l’hygiène vont s’ouvrir et moderniser le paysage scientifique québécois.
Ces experts pourront produire ce dont la province a besoin en matière de santé publique. De plus, les profits tirés de la vente de ces produits biologiques « retourneront à la science » et viendront alimenter les recherches et l’enseignement.
L’École d’hygiène s’inscrit donc dans la microbiologie moderne initiée par l’Institut Pasteur de Paris. Outre la volonté de favoriser des carrières scientifiques en français et de renforcer le savoir-faire canadien-français, la fondation de l’École d’hygiène répond à certains buts que s’était fixé l’Institut de microbiologie, à savoir rendre la province économiquement plus autonome dans le domaine scientifique et favoriser l’enseignement spécialisé.
Avec l’accord de l’Université de Montréal et le soutien financier du gouvernement provincial, l’École d’hygiène est fondée à la fin de l’année 1945 et débute ses activités en 1946. Le Dr Frappier en sera le doyen (1945-1965) et l’Institut de microbiologie lui fournira ses locaux et ses experts pour l’enseignement et la recherche.
Reconnaissance de l’œuvre du Dr Armand Frappier et de l’Institut de microbiologie et d’hygiène de l’Université de Montréal
Dès les années d’après-guerre, l’Institut de microbiologie et d’hygiène de l’Université de Montréal possède déjà une renommée qui dépasse les frontières du Québec et du Canada. Grâce au rôle joué pendant la Seconde Guerre mondiale, un vaste réseau commence à se tisser depuis l’Institut, tant avec des organismes publics d’ici ou d’ailleurs, qu’avec des institutions de recherche comme l’Institut Pasteur ou les laboratoires Connaught de l’Université de Toronto.
Ce jeune Institut attire l’attention. Dans une correspondance de 1945, Frappier avoue « qu’il ne se passe pas une journée sans que nous recevions quelque distingué visiteur ». L’effort de guerre de l’Institut contribue certes à son rayonnement, car cela le place dans une position privilégiée vis-à-vis des gouvernements alliés. Mais c’est surtout le dynamisme de son directeur qui en assure la visibilité.
Avec l’aide de sa fidèle équipe de collaborateurs, le Dr Frappier positionne l’Institut comme un joueur important dans le secteur de la recherche en médecine préventive et en hygiène publique.
Lors d’une réception en son honneur, Armand Frappier montre le certificat de l’Ordre du Canada qu’il a reçu en 1969. On le voit en compagnie de son collègue Victorien Fredette, portant la médaille de l’Ordre. Source : Fonds Institut Armand-Frappier Remise du buste en bronze de Louis Pasteur à Armand Frappier. On le voit sur la photo en compagnie de son épouse Thérèse Ostiguy. Le buste est une des rares copies permises par la famille Pasteur. Le 9 septembre 1964. Source : Fonds Institut Armand-Frappier
Comme directeur de l’Institut, Armand Frappier siège sur de nombreux comités, par exemple le Conseil national de recherches du Canada au sein duquel il est membre du comité consultatif sur la recherche médicale. Il s’établit notamment comme un expert incontournable en matière de lutte à la tuberculose, entre autres auprès de l’Organisation mondiale de la santé. Il est invité à de nombreux rassemblements scientifiques partout dans le monde, dont les congrès d’académies de médecine prestigieuses en France, en Pologne, en Allemagne ou en Hongrie.
Le rôle de pionnier du Dr Frappier dans la recherche en microbiologie et sa contribution à l’amélioration de la santé publique lui vaut de nombreux honneurs, et ce, dès le début de sa carrière jusqu’à ses derniers jours. Il est le récipiendaire d’une cinquantaine de médailles comme celle d’Officier de l’Ordre de l’Empire britannique, de titres honorifiques comme des doctorats honoris causa de grandes universités, de reconnaissances comme le Prix Jean Toy de l’Académie des sciences de France ou bien du titre de « Grand Montréalais » de la médecine. Les gouvernements du Québec et du Canada reconnaissent aussi sa contribution en faisant de lui un Compagnon de l’Ordre du Canada, en 1969, et Grand Officier de l’Ordre national du Québec, en 1985.
La reconnaissance et les honneurs reçus par Armand Frappier témoignent de façon éloquente de la marque qu’il a laissée dans l’histoire comme l’un des plus grands scientifiques du XXe siècle au Canada.
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- Traitement des archives : Laura Rosello, François Cartier, Caroline Charette, Marilou Fortin, Catherine Dugas
- Conseiller scientifique : Professeur Pierre Payment
Remerciements
Bibliothèque et Archives Canada, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, M. Michel Fortin et Mme Maude Côté à l’INRS, le Musée Armand-Frappier et Mmes Guylaine Archambault et Martine Isabelle, la Fondation universitaire Armand-Frappier, Archives de la Croix-Rouge canadienne et M. Robert Gourgon, la Division de la gestion des documents et des archives de l’Université de Montréal et Mmes Diane Baillargeon et Monique Voyer, les Archives de l’Université de Toronto. Cette exposition virtuelle a été réalisée grâce à l’aide financière de Patrimoine canadien via le Fonds communautaire de commémoration des guerres mondiales.
Le traitement des archives Armand Frappier a été rendu possible grâce au soutien financier de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et de son programme de Soutien au traitement des archives.