Quand on lui demande pourquoi elle a choisi une carrière en sciences, la professeure Aïcha Achab répond sans hésiter : « le hasard » !
Ne sachant quelle orientation prendre après avoir choisi de ne pas poursuivre ses études dans le domaine pharmaceutique, elle rencontre une amie nommée Salima qui l’incite à s’inscrire à un programme de sciences naturelles à l’Université d’Alger. C’est à cette université qu’elle découvre la géologie et les sciences de la Terre. « Merci à Salima », conclut-elle!
Elle complète à l’Université d’Alger une licence en sciences de la Terre, un DEA en géologie structurale puis un doctorat de 3e cycle en palynologie à la fin des années 1960. Le doctorat est réalisé au sein de la Société nationale de recherche et d’exploitation du pétrole en Algérie (aussi connue comme la SN-REPAL) ou elle commence sa carrière comme ingénieure palynologue.* Elle traverse la Méditerranée peu après pour travailler à Paris et effectuer des mandats au Centre national de la recherche scientifique (CNRS). C’était la période juste avant le premier choc pétrolier mondial, de 1973. Pour les géologues œuvrant dans ce domaine, c’est une période difficile.
C’est donc de l’autre côté de l’Atlantique qu’Aïcha Achab poursuit sa carrière. On l’informe que l’INRS est en voie de créer un groupe de recherche (le « Groupe pétrole », qui devient ensuite l’INRS-Pétrole) pour répondre aux besoins de l’exploration pétrolière qui démarre au Québec. Or, on y cherche justement un palynologue !
Qui plus est, le hasard joue en faveur de la jeune géologue algérienne, car le directeur de ce nouveau groupe de recherche est Michel Desjardins, qu’elle avait connu à la SN-REPAL. Ce dernier tente de mettre en place un laboratoire de géologie pétrolière pour répondre aux besoins de l’exploration pétrolière au Québec. Ce laboratoire doit réunir plusieurs disciplines des sciences de la Terre, comme la stratigraphie, la paléontologie, la sédimentologie, la géologie de la matière organique, la géologie des argiles et la géochimie organique. Le Québec ne possédant pas toute l’expertise pour constituer un tel groupe, M. Desjardins doit trouver ses chercheurs au-delà des frontières de la province.
C’est ainsi que commence la carrière de Aïcha Achab à l’INRS. D’abord à titre de stagiaire puis d’associée de recherche, elle devient professeure à l’INRS-Pétrole en 1976. Elle met sur pied un laboratoire de palynologie avec John Utting, un géologue anglais récemment arrivé d’Afrique et qui rejoindra plus tard la Commission géologique du Canada.
Bien qu’ayant développé une solide expertise scientifique, l’INRS-Pétrole demeure très vulnérable aux fluctuations pétrolières des années 1970. Le centre n’a pour ainsi dire qu’un seul client, la SOQUIP (la Société québécoise d’initiatives pétrolières, fondée en 1969), une dépendance qui s’avère risquée. Le conseil d’administration de l’Institut commande donc un mémoire sur les orientations futures du centre et la nécessaire diversification des activités de recherche. Le mémoire est déposé en novembre 1979, son acceptation donne naissance, le 15 septembre 1981, après deux ans de travail et de consultations, au Centre INRS-Géoressources: « l’INRS-Pétrole est mort, vive l’INRS-Géoressources !» proclame alors Michel Desjardins. À l’axe pétrole, s’ajoute alors un nouvel axe sur les ressources minérales.
Les activités du centre, jusqu’alors axées sur les travaux en laboratoire et l’analyse de données pour l’industrie, se diversifient avec l’embauche de nouveaux spécialistes. De plus, la dimension terrain devient partie intégrante des différents projets.
Inauguration du Centre Géoscientifique le 6 novembre 1989
Le deuxième directeur de l’INRS Géoressources, Robert Lamarche, travaille fort pour négocier avec la Commission géologique une entente de partenariat créant le Centre géoscientifique de Québec (CGQ). La nomination de ce dernier au poste de sous-ministre marque un tournant dans la carrière d’Aïcha Achab. En effet, elle devient directrice de ces deux centres en 1988. Le partenariat CGC-INRS-Géoressources est un exemple unique d’association entre un organisme fédéral et un établissement universitaire. La mise en commun des ressources permet d’élargir la programmation et de répondre à un large éventail de problématiques géoscientifiques. Pour Aïcha Achab, la mise sur pied du CGQ est un travail éreintant, mais passionnant. « Ma priorité était de concilier les deux types de cultures et de développer un esprit d’équipe pour que le partenariat fonctionne », mentionne-t-elle. Une belle réussite quand on sait que ce partenariat perdure encore aujourd’hui. En rétrospective, elle affirme qu’il s’agit d’une de ses réalisations dont elle est la plus fière, surtout qu’elle n’avait pas vraiment de formation en gestion.
Au fil des ans, elle occupe d’autres fonctions, comme membre du Comité de gestion et du Comité des programmes de la Commission géologique du Canada ou membre du conseil de l’Association géologique du Canada. Sa présence à l’Assemblée des gouverneurs de l’Université du Québec de 1982 à 1985 lui permet aussi d’en apprendre beaucoup sur l’UQ et sur les caractéristiques spécifiques à chacune des institutions du Réseau.
Son engagement et ses travaux de recherche lui valent de nombreux prix, comme la Médaille Ambrose de l’Association géologique du Canada pour ses services rendus à la communauté géoscientifique canadienne, de même que le Prix Planète Bâtisseur de l’INRS en 2018.
À la retraite depuis janvier 2006, elle demeure professeure associée au Centre Eau Terre Environnement (ETE) de l’INRS. Elle consacre alors une bonne partie de son temps à travailler avec plusieurs collègues de la CGC à l’écriture de l’ouvrage Quatre milliards d’années d’histoire – Le patrimoine géologique du Canada. Peu après sa publication en 2014, ce livre reçoit le prix de la publication de l’année de l’Association of Earth Science Editors.
Quand on lui demande comment, avec le recul, elle apprécie l’évolution de l’INRS, elle mentionne comment cette institution a réussi à s’épanouir malgré les adversités et les doutes initialement exprimés dans le milieu universitaire. « Ceci, dit-elle, est dû à deux choses : le génie de ceux qui ont créé l’INRS avec son mandat unique et la structure de fonctionnement inédite qui a su s’adapter aux différents défis et assurer une longévité à l’INRS ».
Lorsqu’on lui demande enfin quels conseils elle donnerait aux jeunes qui veulent faire carrière en sciences, particulièrement les jeunes femmes, elle répond : « qu’elles oublient qu’elles sont femmes et qu’elles fassent ce qui leur plaît. Je ne me suis jamais posé la question : « est-ce que j’ai le droit de faire ça ? ». J’ai fait ce que je pensais bon et je suis contente que les institutions pour lesquelles j’ai travaillé m’aient permis de le faire. Merci à l’INRS ! ».
* La palynologie est l’étude des palynomorphes c’est-à-dire des restes d’organismes microscopiques à parois organiques, comme le pollen ou les spores. L’étude de leurs fossiles sert entre autres à caractériser et dater les sols et les sédiments, ce qui est essentiel en stratigraphie et utile entre autres à la prospection pétrolière.