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Et si les ordinateurs permettaient de toucher et de manipuler des objets avec la même facilité avec laquelle on tient une conversation par vidéo ? Et si un ingénieur autant qu’un médecin pouvait réaliser une procédure à distance, avec les mêmes sensations au bout des doigts que s’ils étaient sur place ?
les robots assistants naviguant dans différents environnements pour leurs propriétaires se multiplieront avec l’avènement de l’Internet tactile et immersif. Photo: Adobe Stock
Voilà la promesse de l’Internet immersif et tactile, la prochaine grande étape de la vie numérique. Le professeur de l’INRS Martin Maier est déjà à pied d’œuvre pour donner vie à cette nouvelle connectivité aux dimensions spectaculaires dont les impacts se feront sentir partout dans nos vies.
Dans son laboratoire, l’Optical Zeitgeist Laboratory, le professeur Maier repense le rôle des réseaux optiques et leur arrimage à la technologie. Dans le cas de la communication tactile, quelques millisecondes font obstacle à l’essor de la technologie : le délai entre le départ et l’arrivée de l’information est trop long. Le bout des doigts, très sensibles, ressent un décalage entre leur action et la rétroaction et cela embrouille l’utilisateur. Il s’agit de la même confusion que lors d’une conversation où on perçoit un délai.
On nomme ce phénomène la latence. Elle a été réduite pour que les conversations ne soient pas décalées de façon irritante, mais on la perçoit toujours en réalité virtuelle, ce qui cause de l’inconfort. Le professeur Maier explique que jusqu’à présent, le développement des réseaux s’est concentré sur leur capacité à transmettre une grande quantité d’information. Maintenant que de grandes quantités de données peuvent circuler, l’ennemi du développement des technologies numériques devient la latence.
Pour ressentir la texture des objets et les manipuler efficacement, les réseaux sont un peu trop lents et ont besoin d’un coup de pouce. Pour que l’interaction tactile semble naturelle, la latence doit être réduite entre une et dix millisecondes. C’est un temps très bref qui sépare le moment où la main pose une action et le moment où elle en ressent la rétroaction. Dans ce laps de temps, les données sont transmises à l’instrument d’interface, à l’ordinateur, au réseau, au robot qui pose un geste. Ce geste génère une nouvelle information qui fait le chemin inverse. Actuellement, il y a quelques millisecondes de trop au fil d’arrivée et Martin Maier a trouvé une façon de réduire la latence sous le seuil des dix millisecondes.
L’outil privilégié pour assister les réseaux est un algorithme d’intelligence artificielle qui devance légèrement le retour de l’information : « Du côté de l’utilisateur, on anticipe juste un peu le résultat de ses mouvements. On adoucit la sensation de rétroaction pour que le cerveau ne perçoive pas que le mouvement est transmis par une interface, mais qu’il le comprenne comme la réalité, illustre le professeur Maier. Car au bout du réseau, l’action se produira pour vrai, qu’il s’agisse d’une opération chirurgicale ou de la manipulation d’un instrument de mesure. »
Grâce à cette astuce, l’obstacle de la latence est contourné, sans être complètement réglé. Pour réduire les délais encore davantage, il faudra améliorer l’organisation des réseaux. Le modèle actuel contraint les données à voyager par certaines routes centralisées qui ne sont pas optimales. Un peu comme sur un réseau routier congestionné, les données perdent du temps. Heureusement, le réseau 5G sera bientôt déployé et il apportera plus de souplesse dans les parcours des données. À l’image des applications mobiles de navigation qui recalculent le trajet pour faire gagner du temps pour les automobilistes, le 5 G gèrera en temps réel le trafic pour plus de fluidité.
Une fois le sens du toucher numérisé, la réalité virtuelle sera encore plus difficile à départager du réel. De la même façon, les robots assistants naviguant dans différents environnements pour leurs propriétaires, de formes et de tailles variées, se multiplieront. Quelle place occupera l’humain dans ce nouvel écosystème technologique ?
« J’espère que nous irons dans la direction de l’augmentation de nos capacités et de notre champ d’action plutôt que vers l’automatisation, résume Martin Maier. C’est un travail d’équipe entre les humains, les robots et les machines que nous visons. »
Selon lui, chacune des étapes technologiques franchies par les humains a amené une crainte de la désuétude qui ne s’est pas concrétisée de façon aussi dramatique qu’on l’imaginait : « Que font les humains quand une machine prend leurs emplois ? Ils créent de nouveaux emplois. La créativité définit les humains ! Mais dans le cas présent, je crois que les changements convergent pour que les humains profitent pleinement des nouvelles possibilités ! ».
L’article Towards Immersive Tactile Internet Experiences : Low-Latency FiWi Enhanced Mobile Networks With Edge Intelligence, par Martin Maier et Amin Ebrahimzadeh (J. Opt. Commu. Netw. 11 (4) B10-B25 (2019)) a figuré parmi les articles recommandés par l’Optical Society of America en mars 2019 et les plus téléchargés du Journal of Optical Communications and Networking. Martin Maier, Amin Abrahimzadeh et Mahfuzulhoq Chodhury ont également publié un article sur les perspectives et les défis de l’Internet tactile dans la revue multidisciplinaire IEEE Access intitulé The Tactile Internet : Automation or Augmentation of the Human.