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L’Arctique se réchauffe de deux à trois fois plus vite que le reste de la planète à cause de l’augmentation des gaz à effet de serre. Cependant, ce réchauffement peut être exacerbé ou atténué par les variations naturelles du climat. Une de ces fluctuations est contrôlée par les températures des eaux de surface dans l’Atlantique Nord, qui alternent entre une phase chaude et froide sur un cycle de 60 à 80 ans. En remontant 3000 ans en arrière, des géologues ont pu mesurer ces fluctuations de la température des eaux de l’Atlantique Nord. Constat général : l’Atlantique Nord vient de connaître sa décennie la plus chaude depuis 3 millénaires.
Les mesures de la température des eaux de surface remontaient seulement à un siècle. Par conséquent, on ne savait que peu de choses sur la durée exacte du cycle de l’oscillation atlantique multidécennale (OAM) et la manière dont il influence le climat de l’Arctique. Une équipe de recherche, dirigée par le professeur Pierre Francus de l’Institut national de recherche scientifique (INRS), François Lapointe, diplômé au doctorat de l’INRS, et Raymond Bradley, professeur à l’University of Massachusetts Amherst, a reculé de quelques millénaires afin de mieux saisir ces variations.
« Nos données représentent la première reconstitution des températures de surface de l’Atlantique sur les trois derniers millénaires. Cela permettra aux climatologues de mieux comprendre les mécanismes à l’origine des changements à long terme du comportement de l’océan Atlantique », explique le professeur Francus au sujet de cette recherche dont les résultats viennent d’être publiés dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences of the USA (PNAS).
C’est un protocole unique à l’INRS qui a permis d’obtenir des résultats plus précis et plus anciens par l’analyse chimique et granulométrique de varves, des couches sédimentaires qui se déposent au fond d’un lac. Cette technique a permis de retracer les couches du printemps année après année. Ces dernières sont riches en titane et en sédiments fins et correspondent aux importantes fontes de neige qui ont eu lieu lorsque les eaux de l’Atlantique Nord étaient plus froides. À l’inverse, lorsque les températures sont plus chaudes (phase chaude de l’OAM), des systèmes de haute pression atmosphérique l’emportent sur la région. Ces conditions de ciel dégagé favorisent une diminution du couvert neigeux et un contenu plus faible en titane dans la couche de sédiments du printemps.
La dernière phase chaude de l’OAM a commencé en 1995 et se poursuit actuellement. Les résultats montrent que le réchauffement dans la région de l’Arctique canadien et du Groenland est intensifié par une fréquence plus élevée des systèmes de haute pression atmosphérique. « Les températures maximales ont pu atteindre 20 degrés Celsius pendant plusieurs jours sur Ellesmere, l’île canadienne près du Pôle Nord », souligne François Lapointe, premier auteur de l’article. Il a constaté l’ampleur de ces changements lors de ses nombreux travaux de terrain dans l’Arctique canadien au cours de la dernière décennie.
Combinées avec l’augmentation globale des températures, ces conditions atmosphériques favorisent un ensoleillement constant en été et ont mené à des impacts irréversibles sur la fonte des glaciers, des calottes glaciaires et du pergélisol au cours des dernières années.
« Si cette phase chaude se poursuit, on peut s’attendre à des conditions climatiques qui entraîneront une fonte encore plus importante dans les prochaines décennies. Dans le scénario d’un retour à la phase froide de l’OAM, on devrait alors s’attendre à une atténuation du réchauffement en Arctique », précise François Lapointe.
Les données de l’étude permettront aux climatologues d’intégrer dans leurs modèles l’influence des températures de l’Atlantique et les interactions océan-atmosphère pour générer de meilleures prédictions climatiques. « En 2019, la calotte glaciaire du Groenland a perdu plus de 500 milliards de tonnes de masse, un record ! Cela a été associé à des conditions atmosphériques de haute pression persistante sans précédent. De telles conditions ne sont pas correctement prises en compte par les modèles climatiques actuels. Ils sous-estiment ainsi les effets potentiels du réchauffement futur dans les régions arctiques. Nos données pourraient pallier ce problème », conclut le professeur Francus.
Apprenez-en plus sur les recherches du professeur Francus.
Publié dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences of the USA (PNAS), l’article « Annually resolved Atlantic sea surface temperature variability over the past 2900 years» est paru le 12 octobre 2020. Les auteurs sont François Lapointe (INRS et University of Massachusetts Amherst), Raymond S. Bradley (University of Massachusetts Amherst), Pierre Francus (INRS), Nicholas L. Balascio (College of William and Mary), Mark B. Abbott (University of Pittsburgh), Joseph S. Stoner (Oregon State University), Guillaume St-Onge (UQAR), Arnaud De Coninck (INRS) et Thibault Labarre (INRS).
Cette étude a été possible grâce au soutien logistique du Programme du plateau continental polaire de Ressources naturelles Canada et au soutien financier du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG), de la National Science Foundation (États-Unis), des bourses du Fonds de recherche Nature et technologies du Québec (FRQNT) et de la Fondation W. Garfield Weston (Ontario).