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La « destruction créatrice », un concept lancé par l’économiste autrichien Joseph Schumpeter, est le processus qui caractérise le monde du travail en ces temps de pandémie. « Des emplois vont disparaître, et d’autres vont apparaître. La hiérarchie des métiers sera modifiée tant sur le plan de la rémunération que de la hiérarchie symbolique, selon leur utilité. De nouvelles idées vont surgir et les façons de faire vont changer », avance le professeur Mircea Vultur, spécialiste du travail et de l’insertion professionnelle à l’Institut national de la recherche scientifique (INRS).
La COVID-19 a bouleversé le marché du travail. Le professeur Mircea Vultur s’attend à une modification dans la hiérarchie des emplois. Ces emplois pourraient être réévalués en fonction de leur degré d’utilité sociale et de leur pénibilité. Il rappelle les propos du premier ministre François Legault sur la hausse de rémunération de certaines catégories d’emplois indispensable pour encourager le personnel à rester. « Les emplois les plus sollicités seront revalorisés tant sur le plan de la rémunération que du prestige. Par exemple, les aide-soignants, les préposés aux bénéficiaires et les employés d’épiceries sont déjà mieux payés qu’avant la COVID-19 », soutient-il.
Le chercheur entrevoit un changement de mentalité avec une modulation des salaires selon la contribution sociale. « L’idée sera de payer l’individu selon l’utilité réelle du travail fourni plutôt que selon son utilité symbolique. Nous serons peut-être amenés à accorder moins d’importance aux diplômes et aux qualifications de très haut niveau, et plus d’importance aux gens qui se trouvent en bas de l’échelle du système d’emploi, car sans eux, la société ne fonctionne pas. Cette crise due à la pandémie est un révélateur de ce constat », ajoute le professeur Vultur.
La pandémie de la COVID-19 partage des similitudes avec la peste noire du 14e siècle en ce qui concerne certaines modifications de la structure économique. « L’épidémie de peste a conduit à une refonte du système de production et à une réduction des inégalités avec une augmentation de la rémunération pour les moins bien payés. Par exemple, à l’époque, ce sont les ramasseurs de corps (les «crocheteurs») qui se sont enrichis. Aujourd’hui, ce sont les employés de services essentiels et le personnel soignant qui pourraient bénéficier des augmentations de leur rémunération », rapporte-t-il.
Ce sont les périodes de crise qui permettent de mieux voir resurgir les inégalités souvent cachées en temps de croissance économique. « Les personnes ayant un statut socioéconomique plus élevé traversent la crise avec plus de facilité, car elles peuvent faire du télétravail et être protégées des risques. Ceux qui gagnent moins d’argent et qui se trouvent dans des services essentiels sont frappés de plein fouet. Ils n’ont pas vraiment le choix d’aller travailler au front s’ils veulent payer leur nourriture et leur loyer », souligne le professeur Vultur.
Il insiste sur une catégorie d’emploi qui passe à travers les mailles de protection des politiques d’urgence et dont le travail quotidien devient plus intense et plus pénible dans cette période : les livreurs. « Même s’ils sont essentiels en ce moment, les livreurs ne bénéficient pas d’une rémunération plus élevée ni d’une augmentation de prestige. Parce qu’obligés de livrer en respectant la distanciation sociale, ils sont encore plus déshumanisés qu’avant, perçus comme un instrument », déplore-t-il.
En plus de montrer les inégalités, la pandémie sert de moteur de changement. Le confinement a forcé les entreprises et les établissements à adopter le télétravail. « Plusieurs employeurs mettaient la pratique de côté de peur que leurs employés soient moins productifs. Aujourd’hui, ils réalisent que l’efficacité ne dépend pas du lieu de travail. À la maison, ça peut être plus efficace puisque les travailleurs sont plus reposés et ça élimine du temps de déplacements », avance le chercheur. Il s’attend à ce que plusieurs entreprises accordent plus de place au télétravail après la crise.
La production sera aussi modifiée par la pandémie. « On veut ramener la production ici afin d’être plus autonome pour les médicaments, l’équipement de protection et l’alimentation par exemple, remarque le professeur Vultur. Cette relocalisation va nécessairement augmenter le coût de la vie, car c’est plus coûteux de produire au Québec qu’en Chine ou ailleurs. Pour les pays moins développés, le risque de ce mouvement de relocalisation est de plonger un nombre important des travailleurs de ces pays qui n’auront plus d’emploi vers une pauvreté plus accentuée ».
Pour le professeur Vultur, c’est encore trop tôt pour savoir si les changements dus à la pandémie seront positifs ou négatifs. Chose certaine, la société ne reviendra pas en arrière.
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