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Infertilité masculine : un besoin criant de recherche  

20 octobre 2023 | Julie Robert

Mise à jour : 7 mars 2024

La professeure Géraldine Delbès figure parmi un groupe international de scientifiques qui alertent sur le manque de connaissances entourant la fertilité masculine.

Spermatozoïdes microscope

Photo : Adobe Stock

Un couple sur six est touché par l’infertilité, selon l’Organisation mondiale de la santé. Dans la moitié des cas, les hommes sont en cause. Alors que l’infertilité masculine augmente dans le monde, 26 spécialistes à l’international dont trois chercheuses canadiennes rappellent que les hommes ont droit d’avoir accès à des diagnostics efficaces et à des traitements ciblés. Dans la plupart des cas, ils sont malheureusement inexistants.

Le manque de connaissances sur les causes de l’infertilité masculine, associé à des outils cliniques limités, a des conséquences. Son traitement passe par des interventions médicales sur les femmes : des procédures de procréation médicalement assistée invasives et risquées.

Dans un rapport de consensus publié dans la revue Nature Reviews Urology, un groupe mené par l’Université de Melbourne, a formulé 10 recommandations susceptibles d’améliorer la santé des hommes et de leurs enfants, et de réduire la charge pesant sur leurs partenaires féminines.

La professeure Géraldine Delbès, chercheuse en toxicologie de la reproduction, à l’Institut national de la recherche scientifique (INRS) a participé au rapport en tant que coauteure, aux côtés de la première auteure, la professeure Sarah Kimmins du Centre de recherche du CHUM (CRCHUM), et de la Dre Jacquetta Trasler de l’Institut de recherche du Centre universitaire de santé McGill (IR-CUSM), également coauteure.

Dans son laboratoire au Centre Armand-Frappier Santé Biotechnologie, à Laval, la professeure Delbès s’intéresse, depuis plusieurs années, à la toxicité de substances environnementales et médicales sur le développement des cellules germinales mâles.

Géraldine Delbès

« Plusieurs paramètres liés à la santé reproductive des hommes convergent et révèlent une baisse progressive de la fertilité. Toutefois, le milieu médical est mal équipé pour diagnostiquer et traiter de manière adéquate les problèmes liés à la reproduction masculine. Les méthodes actuelles sont basées sur des techniques dépassées »

Professeure Géraldine Delbès, chercheuse spécialisée en toxicologie de la reproduction à l’INRS

Mode de vie et environnement, des éléments clés

« Le déclin rapide de la fertilité masculine ne peut s’expliquer par la génétique seule. Des études indiquent que des facteurs environnementaux jouent un rôle déterminant, explique Sarah Kimmins. C’est le cas de l’exposition grandissante aux perturbateurs endocriniens, des produits chimiques que nous côtoyons au quotidien et qui persistent dans l’environnement ».

L’une des principales recommandations du rapport est de sensibiliser le public, par le biais de campagnes de santé publique, à ces choix de vie qui mettent en péril la fertilité des hommes.

« Comme il faut des mois pour fabriquer des spermatozoïdes, les hommes devraient envisager d’adopter un mode de vie sain bien avant de penser à fonder une famille », dit la Dre Jacquetta Trasler.

Un besoin urgent de meilleurs diagnostics et traitements

Les hommes sont déclarés infertiles sur la base de leurs antécédents familiaux, d’un examen physique, de profils hormonaux et d’une simple analyse de sperme qui n’a pas changé depuis plus de 50 ans.

« En effet, peu de biomarqueurs sont disponibles et ceux qui sont utilisés se basent sur des connaissances dépassées concernant la reproduction », confie la professeure Delbès.

Selon la chercheuse, il n’y a pas eu beaucoup de progrès au niveau clinique en reproduction et c’est un domaine de recherche qui est malheureusement sous-financé.

« La manière de pallier les défaillances des gamètes masculins dans le cadre de la procréation médicalement assistée repose en grande partie sur des traitements destinés aux femmes. La situation doit changer ! Nous avons besoin de plus de ressources pour répondre à ce signal d’alarme et nous devons également mieux informer et sensibiliser la population, en particulier les jeunes. »

Géraldine Delbès

À propos des 10 recommandations

1. Les gouvernements, les systèmes de santé, les compagnies d’assurance et le public doivent comprendre et reconnaître que l’infertilité masculine est une pathologie courante et grave et que les patients ont droit à des diagnostics pertinents et à des traitements ciblés ;

2. Établir un réseau mondial de registres et de biobanques contenant des informations cliniques et de mode de vie standardisées, ainsi que des tissus provenant d’hommes fertiles et infertiles, de leurs partenaires et de leurs enfants. Le connecter aux systèmes nationaux de données sur les soins de santé ;

3. Mettre en œuvre des protocoles et des mesures incitatives pour normaliser la collecte de tissus dépersonnalisés et de données cliniques/mode de vie ; 

4. Financer davantage de recherches collaboratives internationales pour comprendre les interactions et les impacts des facteurs génétiques, du mode de vie et de l’environnement sur la fertilité masculine dans différentes populations ;

5. Intégrer le séquençage génomique dans le diagnostic de l’infertilité masculine ;

6. Développer des tests diagnostiques supplémentaires pour améliorer le diagnostic et la cause de l’infertilité masculine ;

7. Tester rigoureusement l’impact sur la fertilité masculine des composés — en particulier des perturbateurs endocriniens — présents dans les produits, sur le lieu de travail et dans l’environnement. Mettre en œuvre des réglementations et des politiques et développer des solutions de remplacement sécuritaires ;

8. Tester rigoureusement les stratégies d’assistance médicale à la procréation avant de les intégrer dans la pratique clinique ;

9. Des campagnes d’éducation publique pour promouvoir la discussion sur l’infertilité masculine et l’engagement dans la recherche de la santé ;

10. Améliorer la formation des professionnels de la santé afin de promouvoir la santé reproductive masculine tout au long de la vie.

À propos de l’étude

L’article « Frequency, morbidity and equity—the case for increased research on male fertility », a été publié en ligne le 12 octobre 2023 dans la revue Nature Reviews Urology

Les 26 auteurs de l’article sont des leaders mondiaux dans les domaines de l’andrologie, de la gynécologie, de l’urologie, de la biologie cellulaire, de l’endocrinologie, des risques environnementaux, de la pathologie, de la médecine de la reproduction, de la procréation médicalement assistée, de l’oncologie, de la génétique, de la pédiatrie, de la pharmacologie et de la thérapeutique.

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