- Science et société
La directrice scientifique du FRQNT, Janice Bailey, était l’invitée d’honneur de l’INRS pour une conférence. Entretien avec une scientifique accomplie et un modèle de leadership féminin.
Janice Bailey, directrice scientifique du FRQNT, se livre sur sa vision de l’excellence en recherche et la place des femmes en sciences, lors d’une conférence à l’INRS (Photo: amelieshoots)
Janice Bailey, directrice scientifique du Fonds de recherche du Québec – Nature et technologies (FRQNT), est une source d’inspiration pour beaucoup d’étudiantes, d’étudiants et de ses pairs. De passage à l’INRS pour une présentation virtuelle dans le cadre du cycle de conférences Armand-Frappier en toxicologie et en pharmacologie, elle est revenue sur ses travaux phares en santé environnementale et a partagé sa vision de l’excellence en recherche au Québec. Plus de 70 personnes, membres du personnel administratif ainsi que des corps professoral et étudiant de l’INRS et d’autres universités québécoises, y ont assisté.
Nous avons profité de l’occasion pour lui poser quelques questions sur la place des femmes en sciences et sa vision de la recherche, à ce moment précis de sa carrière.
Il faut changer les mentalités en ce qui a trait à la place des femmes en recherche. Depuis maintenant 10 ans, au Québec, le pourcentage de femmes qui sont professeures ou qui font des demandes de subvention dans le domaine des sciences, des technologies, de l’ingénierie et des mathématiques (STIM) n’a pas beaucoup bougé. J’aimerais pouvoir dire que le taux de participation à nos programmes de subvention est le même pour les hommes et les femmes, mais, malheureusement, il y a encore trop peu de femmes. Et c’est encore pire dans le milieu de l’industrie. De plus, très peu de réseaux stratégiques sont dirigés par des femmes.
On a toujours mis la pression sur les femmes pour régler les problèmes de parité. Je crois que nous devons impliquer nos collègues masculins. Ils font partie intégrante du problème et des solutions pour un changement de culture. Nous devons entamer une cocréation et une coconstruction des notions d’équité, de diversité et d’inclusion.
Combien de fois ai-je assisté à des panels de discussion sur la place des femmes en sciences devant un public strictement féminin. Comment peut-on opérer un véritable changement sans que tout le monde soit assis à la table ?
Il faut actualiser notre définition de l’excellence en recherche au Québec. Il faut qu’elle soit plus globale, plus réelle, moins élitiste. Nous devons également valoriser des indicateurs plus importants que les indices de citations des revues scientifiques, comme le dialogue ou l’engagement social.
Nous avons amorcé une réflexion au Fonds de recherche du Québec afin de refléter la diversité des parcours d’études ainsi que les besoins et les préoccupations de la société. Il y a une vraie volonté de valoriser les parcours différents et les nouvelles idées.
Je crois profondément que l’excellence en recherche ne peut être atteinte que s’il y a une vraie diversité dans les travaux. Pour faire de meilleurs articles, de meilleures études, ça prend plusieurs méthodologies, différents points de vue, des personnes d’origine ethnique différente, une variété de participantes et de participants, des collaborations avec d’autres universités en région ou dans les grandes villes.
Les scientifiques ont besoin de travailler de façon collective. C’est toute la force du FRQNT, qui favorise beaucoup le maillage intersectoriel en recherche.
Il y a de plus en plus d’inquiétudes concernant les produits chimiques présents dans l’environnement et les effets néfastes qu’ils pourraient avoir sur la santé humaine. On commence à parler du taux de fertilité qui chute chez l’humain, mais aussi chez les animaux.
Les femmes sont très sensibilisées à ce que l’exposition à ces produits peut faire sur la fertilité, mais aussi sur la santé des enfants. Mais qu’en est-il du père ?
La santé des hommes a peu souvent été mise sous la loupe des scientifiques, et sa contribution à la santé de leurs futurs enfants est beaucoup moins connue. Lorsque je travaillais à l’Université Laval, une grande partie de mes recherches portait justement sur l’effet de l’environnement sur la reproduction et la santé masculines ainsi que sur le développement des générations à venir.
Il y a 20 ans, nous nous questionnions déjà sur l’effet de certaines substances chimiques comme les insecticides (le DDT en particulier) largement utilisés en agriculture et les biphényles polychlorés (PCBs), sur le fonctionnement du système reproducteur masculin.
Nos études sur les rongeurs ont montré que l’exposition des pères aux contaminants environnementaux avait un effet sur les enfants très tôt, in utero, et que cela causait des problèmes au niveau du tractus génital et de la fonction reproductrice chez le mâle. Nos travaux les plus récents ont montré un effet à long terme sur les paramètres de la fertilité masculine, et cela sur quatre générations.
Finalement, je trouve que la nature est très égale. Elle est en train de nous dire que, biologiquement, du point de vue de la descendance, les mères ne sont pas plus importantes que les pères.
En tant que société, nous acceptons beaucoup de choses en médecine préventive chez la femme concernant les problèmes de fertilité. Pourquoi ne pas transposer ça aux hommes ? Est-ce que la qualité des spermatozoïdes pourrait, un jour, devenir un biomarqueur pour des problèmes de santé se développant plus tard chez l’homme ?
Nous avons besoin de sociologues qui se penchent sur l’acceptabilité sociale des problèmes liés à la reproduction. De manière générale, il faut continuer à sensibiliser la population à l’effet des contaminants environnementaux sur la santé reproductive. Les avancées dans ce domaine soulignent l’urgence de la crise environnementale qui, selon moi, est une des plus grandes crises mondiales.
Pour la doctorante Rhizlane El omri, assister à la présentation de Janice Bailey est une occasion en or, puisqu’elles travaillent sur des thématiques de recherche similaires.
« Voir une femme avec une telle carrière scientifique qui occupe un poste de haute responsabilité au FRQNT, est une source d’inspiration et une illustration de la compétence des femmes. »
Rhizlane El omri, doctorante en biologie
En effet, l’étudiante au laboratoire de la professeure Géraldine Delbès, travaille sur la reprogrammation épigénétique de la cellule germinale mâle et l’effet de la diète maternelle ou de l’environnement chimique. Les données de recherche produites par l’équipe de Janice Bailey, renforcent les hypothèses de son projet sur la sensibilité de l’épigénome de la cellule germinale mâle aux expositions environnementales précoces.
Étudiante au doctorat en biologie, Josianne Bienvenue-Pariseault bénéficie d’un financement du FRQNT depuis le début de sa maîtrise. Étudiante au laboratoire de la professeure Cathy Vaillancourt, elle s’intéresse à l’effet protecteur de la mélatonine sur les pathologies de grossesse qui affectent le placenta.
« C’est une approche intéressante de redéfinir la notion d’excellence en recherche. Tout le monde n’arrive pas avec le même bagage, et c’est un milieu hautement compétitif. Il faut aller au-delà de la performance et valoriser les parcours différents. »
Josianne Bienvenue-Pariseault, doctorante en biologie
Le doctorant Alec McDermott travaille dans le laboratoire de la professeure Isabelle Plante et se penche sur l’effet des retardateurs de flammes bromés sur la santé de la femme. Ces polluants environnementaux qui se retrouvent dans plusieurs objets de la vie courante influenceraient le développement précoce des glandes mammaires et le risque de cancer du sein.
« C’est motivant de voir une femme à la tête du FRQNT qui est loin d’avoir une vision conservatrice de la recherche et qui déploie ses efforts pour un meilleur arrimage entre la recherche fondamentale, les sciences de la santé et les sciences sociales dans le but de promouvoir une recherche diversifiée et multidisciplinaire. »
Alec McDermott , doctorant en biologie