- Ma recherche en série
Dans le nord, c’est toujours l’aventure. Malgré ma courte expérience, j’ai déjà eu l’occasion de goûter au misiraq (huile de phoque fermentée), de descendre un rapide en canot à reculons, de jouer au bingo par la radio, d’échantillonner dans le blizzard, sous les yeux d’un troupeau de bœufs musqués, de plumer des lagopèdes et d’entendre parler des Big Foot…
Les recherches de ma thèse de doctorat en sciences de l’eau portent sur l’habitat de l’omble chevalier. Ce poisson de l’Arctique est très important dans l’alimentation et la culture inuites. Il fait partie de la vie courante dans le nord. L’omble chevalier est pêché toute l’année : l’hiver et le printemps sur la glace des lacs, et l’été en mer. À l’automne, au moment de la reproduction, ses œufs sont utilisés pour faire un délicieux dessert aux petits fruits, le suvalik.
Mon directeur de recherche, André St-Hilaire, m’avait suggéré trois projets potentiels, dont celui sur l’habitat de l’omble chevalier qui intégrait l’utilisation des savoirs traditionnels inuits. C’était le projet le moins bien défini, mais c’était mon coup de foudre, même s’il ne remportait pas la liste des « pour » et des « contres » rationnels pour chaque projet. En effet, j’ai un grand intérêt pour les milieux nordiques et la culture inuite depuis longtemps.
L’objectif de ma recherche est de modéliser l’habitat des ombles chevaliers, c’est-à-dire de comprendre leurs préférences pour certains sites et de les lier aux caractéristiques physiques des rivières. Dans les trois communautés avec lesquelles je travaille (Kangiqsualujjuaq, Tasiujaq et Kangirsuk), les stocks d’ombles chevaliers diminuent. À cause du changement climatique qui affecte déjà le nord, leur habitat en rivière subit de nombreuses modifications.
Les Inuits rapportent des journées très chaudes en été qui ne sont pas favorables aux jeunes ombles. Les communautés observent aussi, lorsque les ombles remontent le cours d’eau afin de se reproduire, des débits plus faibles à l’automne, plus de roches dans les rivières, plus d’algues et de végétation en berge… Jusqu’à présent, leur habitat est relativement méconnu (dans la littérature scientifique du moins). En étant capable de le modéliser, on peut éventuellement déterminer les sites les plus critiques et les plus favorables, et prédire leur évolution dans le temps.
L’hiver dans cette région, le travail de terrain est encore plus inattendu. Il faut un plan A, un plan B, un plan C… et beaucoup de souplesse. Mais tout finit par fonctionner. Lors de mon premier jour d’échantillonnage hivernal, à -20 °C, un beau soleil et beaucoup de vent, mes mesures dans le premier trou de la glace ont été un succès : profils verticaux physico-chimiques, prélèvement d’eau avec une filtration, vidéo sous-marine. Au deuxième trou, situé à quelques secondes de motoneige plus loin, les piles de la caméra GoPro étaient vides. L’instrument servant à faire les profils était figé dans la glace et inutilisable. La sonde de mon thermomètre s’est dessoudée et, en voulant au moins tenter de prélever un peu d’eau, la seringue servant à la filtration s’est brisée en deux. Les jours suivants, j’ai appris à garder mes instruments au chaud ou, à tout le moins, à les empêcher de geler avant le 4e ou 5e trou.
Toujours à l’occasion d’une expédition hivernale, par une suite de circonstances dont la pandémie faisait partie, j’ai dû prendre la décision impromptue d’aller faire des relevés sur un site pendant trois jours. Le tout a été rapide. J’ai organisé mon matériel très hâtivement (incluant le plan A, B, C,…). Mon guide a été encore plus rapide que moi, puis nous sommes partis.
Jusqu’à présent, le travail de terrain en milieu nordique m’a permis de vivre des aventures mémorables, mais surtout de faire des rencontres extraordinaires.
Véronique Dubos, étudiante au doctorat en sciences de l’eau
Alors que nous étions à 20 minutes du village, sur un trajet de près de 3 h de motoneige, je me suis rendu compte que j’avais complètement oublié d’apporter de la nourriture ! Je pensais qu’il fallait faire demi-tour, mais non ! Mon guide Elijah a simplement répondu tranquillement : « No problem, we’re gonna have country food » (pas de problème, nous allons chasser). Trois jours à ne manger que du lagopède et de l’omble chevalier (bien sûr !), crus ou cuits directement sur le poêle à bois, avec du Crisco, un peu de sel et la banique qu’il avait apportée. J’ai compris que les chasseurs inuits n’avaient aucun problème pour survivre dans la toundra l’hiver. Ce qui n’était pas mon cas. Seule, j’en aurai eu tout au plus pour quelques heures…
D’ici la fin de l’hiver nordique, en mai, je me prépare à envoyer des instruments à Kangiqsualujjuaq et Kangirsuk. Le travail de terrain à distance, réalisé par des chasseurs locaux lorsqu’ils vont installer leurs filets, permet d’avoir des relevés sur plusieurs lacs durant la saison. C’est d’autant plus pertinent cette année, avec la pandémie qui nous empêche d’aller dans le nord. Encore une fois, je dois m’adapter et être prête à modifier mes plans.
La richesse et la diversité de mes apprentissages, sur le plan scientifique, sont vraiment remarquables. Mais ce que j’apprends sur le terrain, d’un point de vue humain, est rare.
Véronique Dubos
Je suis tout à fait consciente que les gens que je rencontre, les paysages que je découvre, la culture à laquelle je suis initiée font maintenant partie intégrante de mon parcours et de ma sensibilité en tant que scientifique. Ce sera un plaisir d’y retourner très bientôt !