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Nick Revington : logements étudiants, location, achat, quelles perspectives pour les jeunes ?

28 septembre 2023 | Alexandra Madoyan Trautmann

Mise à jour : 29 août 2024

La série « Tour d’horizon en trois questions » met en valeur la recherche sous toutes ses formes et porte un regard éclairé sur l’actualité.

Enjeux liés au logement de la population étudiante et des jeunes adultes.

Nick Revington s’intéresse aux enjeux liés au logement du point de vue des jeunes adultes.

Professeur à l’INRS depuis 2020, Nick Revington s’intéresse aux enjeux liés au logement du point de vue des jeunes adultes. La vie en communauté, les résidences étudiantes, la volonté d’accès à la propriété ou encore la studentification du tissu urbain sont autant de sujets qui rythment ses travaux de recherche.

Par ses travaux, le professeur Revington, affilié au Centre Urbanisation Culture Société, se penche sur les changements sociaux, économiques et environnementaux causés par une surreprésentation d’un groupe dans une zone particulière de la ville. Les étudiantes et les étudiants en sont un exemple.

Avec l’inflation, le phénomène d’embourgeoisement et la crise du logement qui touchent le Québec, ces questions sont brûlantes d’actualité. Le professeur Revington fait le point sur ces réalités qui façonnent de plus en plus notre quotidien.

Nick Revington, professeur au Centre Urbanisation Culture Société
Le professeur Nick Revington. Crédits : Wendy Shepherd

Actuellement, il est beaucoup question du manque de logements abordables pour les personnes à faible revenu, pour les nouvelles arrivantes et les nouveaux arrivants au Canada, pour les étudiantes et pour les étudiants. Cégeps et universités se questionnent de plus en plus sur notre capacité à accueillir leurs futurs membres étudiants de l’international et à bien les loger. Quel est l’impact de cette pénurie sur ce groupe de la population et sur les universités québécoises et canadiennes à l’avenir ?

Il y a un risque bien réel que le manque de logements abordables nuise à l’attractivité des établissements postsecondaires au Québec et au Canada. Cet automne, certaines universités canadiennes ont été contraintes de demander aux étudiantes et étudiants qui n’avaient pas encore trouvé un logement de reporter le début de leurs études à moyen et à long terme.

Pendant longtemps, Montréal a tiré avantage de son abondance de logements locatifs très abordables. Le coût peu élevé de ses loyers représentait un précieux atout par rapport à d’autres grandes villes canadiennes pour les attirer. Ce n’est plus le cas.

Parallèlement, à travers le Canada, les établissements universitaires dépendent de plus en plus des revenus générés par les frais de scolarité plus élevés des étudiantes et étudiants internationaux. Ainsi, toute réduction des effectifs étrangers aura un impact budgétaire non négligeable sur ces établissements… et donc sur leur fonctionnement.

En même temps, le discours observé récemment, qui voudrait que les étudiantes et étudiants internationaux et la population immigrante soient responsables en tout ou partie de cette crise du logement, est dangereux. Si ces groupes devenaient les boucs émissaires de la crise du logement, les universités pourraient être la cible d’un contrecoup réactionnaire et xénophobe. Ceci risquerait d’avoir des impacts très sévères sur le tissu et sur la mixité sociale du Canada.

De plus, si les universités doivent prendre en charge elles-mêmes la construction de nouvelles résidences étudiantes, il revient alors aux gouvernements provinciaux d’assurer qu’elles aient des incitatifs et des financements suffisants pour ce faire.

Au bout du compte, il ne faut pas perdre de vue l’un des impacts les plus importants de la situation : celui qui fait pression sur les étudiantes et étudiants eux-mêmes. La précarité résidentielle et la santé mentale pèsent lourdement sur cette population.

En tant que société, nous avons la responsabilité – et les moyens – de nous assurer que tout le monde soit logé adéquatement, y compris les étudiantes et étudiants québécois, canadiens et internationaux. Il ne nous manque que la volonté politique.

Vos travaux se penchent entre autres sur un phénomène appelé studentification. Pourriez-vous revenir sur ce concept, sur vos observations sur le terrain et sur les impacts de ce phénomène sur l’identité des villes ?

La studentification, mot-valise anglais d’« étudiant » (student) et de gentrification (ou embourgeoisement), est un processus de changement urbain menant à la concentration d’une population étudiante dans certains quartiers d’une ville, surtout près des universités.

Elle est souvent associée à des problèmes de voisinage que l’on impute à la population étudiante : vandalisme, bruit, problèmes de stationnement, mauvais entretien des logements et de l’espace public… Cela peut mener d’autres résidentes et résidents à quitter le quartier. À titre d’exemple, avec l’ouverture du nouveau campus MIL de l’Université de Montréal, on a observé le déplacement dans les quartiers adjacents de ménages à faible revenu et issus de l’immigration dû à la concurrence avec la population étudiante dans le marché locatif.

Cependant, il faut garder à l’esprit que la présence étudiante n’a pas que des impacts négatifs. Cette population typiquement jeune contribue également à la convivialité urbaine. Dans certaines villes, la revitalisation urbaine est axée sur le développement de logements et de commerces privés qui visent la population étudiante. La ville de Montréal, notamment, tire beaucoup de fierté de son classement pérenne parmi les meilleures villes étudiantes au monde. La contribution économique de cette population est énorme. Et n’oublions pas que ce ne sont pas tous les étudiantes et étudiants qui ont des comportements répréhensibles.

Si la studentification est en partie le résultat d’une hausse des effectifs étudiants et un manque de places dans les résidences universitaires ou collégiales, elle est également façonnée par divers acteurs. Les propriétaires, les promoteurs immobiliers, les agences de location, les établissements d’enseignement postsecondaire et la réglementation urbaine peuvent tous contribuer à diriger la population étudiante vers certains segments du marché locatif. Ceci s’explique par plusieurs facteurs, qui peuvent aller de l’effet inattendu des pratiques institutionnelles – comme les recommandations des services aux étudiantes et étudiants de privilégier tel ou tel quartier –, jusqu’à la discrimination pure et simple envers cette population.

Mes recherches ont justement montré comment ce processus contribue à l’exploitation des étudiants. Ainsi la comparaison de la studentification au phénomène de l’embourgeoisement peut s’avérer trompeuse, puisqu’on sait que la studentification peut avoir des impacts négatifs sur la population étudiante elle-même.

Comment voyez-vous l’avenir pour les jeunes qui souhaiteront accéder à la propriété dans les grands centres du Québec et du Canada ? Selon la tendance actuelle, qui seront les propriétaires de demain ?

Selon les tendances actuelles, on risque de voir dans les grands centres urbains que l’accession à la propriété sera réservée à une tranche encore plus privilégiée de la population : celle qui peut bénéficier d’un soutien parental pour acheter une maison, qui hérite de la maison familiale, ou qui se retrouve parmi les ménages avec les revenus les plus élevés. Cela aurait tendance à renforcer des inégalités sociales, surtout dans un contexte où nos politiques publiques visent non seulement à favoriser l’achat immobilier, mais aussi à faire en sorte que la propriété soit un actif financier important qui permettra aux ménages de combler les lacunes de l’État-providence, qui est d’ailleurs en recul.

Avec la crise actuelle du logement, on est en train de voir la contradiction au cœur de ce modèle. Comment peut-on garantir que la propriété demeure un actif rentable pour les ménages-propriétaires, tout en restant abordable pour ceux qui souhaitent y accéder et pour les locataires ?

La majorité des ménages au Québec, comme dans le reste du Canada, sont des propriétaires ; d’un point de vue électoral, il est donc très difficile d’intervenir sur le marché pour baisser les prix des maisons afin de les rendre abordables, parce qu’effectivement, on éliminerait une grande partie du patrimoine de cette majorité de la population.

Il faudra trouver des solutions qui permettront aux ménages de se loger adéquatement, dans des logements abordables et sécuritaires, mais aussi avec une stabilité qui pour l’instant ne se trouve qu’avec l’achat d’une propriété. Il faudra sans doute une composante beaucoup plus importante de logements sociaux.

À ce chapitre, le logement social n’est pas forcément incompatible avec l’accession à la propriété, contrairement à la croyance populaire. Singapour en est une excellente illustration. Le gouvernement singapourien construit des logements sociaux vendus sur des baux de 99 ans. Des subventions permettent même aux ménages à faible revenu d’en bénéficier. Le taux d’accession à la propriété dans la cité-État est donc d’environ 90 %, tandis qu’à peu près 80 % de la population vit dans un logement social.

Mais pour le Québec et le Canada, il faudra aussi des solutions qui dépassent le domaine du logement. Par exemple, un système de régime de retraite amélioré permettrait aux ménages de ne pas dépendre autant du logement comme filet de sécurité sociale. Ainsi, l’accession à la propriété resterait une option attirante, mais sans se voir accorder la même importance qu’aujourd’hui.