Perspectives improbables : Le sociofinancement par abonnement transforme-t-il le métier d’artiste?
Perspectives improbables
Perspectives improbables : Le sociofinancement par abonnement transforme-t-il le métier d’artiste?
17 juillet 2025
Mise à jour : 17 juillet 2025
La série « Perspectives improbables » braque les projecteurs sur des sujets de recherche inusités qui marquent l’esprit et invitent à la réflexion.
Alors que l’industrie musicale est touchée par les nouvelles habitudes de consommation culturelle, comme le streaming et la prévalence des plateformes YouTube et TikTok, les artistes sont à la recherche de nouvelles avenues pour vivre de leur talent. Parmi les possibilités qui s’offrent à eux, le sociofinancement par abonnement gagne du terrain.
C’est à cette forme émergente de financement que la doctorante Elsa Fortant de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS) consacre ses travaux, en s’intéressant au cas du site Patreon, créé en 2013 par un musicien. L’étudiante se demande comment cette plateforme reconfigure la façon dont travaillent les musiciennes et musiciens, et surtout, comment elle influence les relations entre les fans et les artistes. Si les campagnes de sociofinancement par objectif, hébergées par des sites comme La Ruche, Kickstarter ou encore GoFundMe, sont courantes, le public est moins habitué au sociofinancement par abonnement. Avec cette deuxième option, les artistes créent une page personnelle sur une plateforme – ici, Patreon – via laquelle les fans leurs verseront une somme mensuelle et sans échéance fixe, sous forme d’abonnement.
Quand les admirateurs permettent une stabilité
Au-delà de l’aspect communautaire et solidaire, la doctorante relève certains écueils dans cette nouvelle forme de sociofinancement. « Ce système reproduit les dynamiques et les inégalités qui existent à l’extérieur du Web : quelques artistes privilégiés comptent sur l’appui de beaucoup de contributeurs, avec des sommes allant au-delà du salaire minimum mensuel. En contrepartie, la majorité des artistes va récolter quelques centaines de dollars par mois au maximum. » De plus, la plateforme, qui prélève un pourcentage de chaque transaction, peut décider à tout moment de changer les règles en défaveur des artistes.
« Durant la pandémie, avec l’annulation de leurs concerts et de leurs activités, énormément de musiciennes et musiciens ont passé le cap du sociofinancement en ligne. Ils se sont alors tournés vers leurs fans pour retrouver une forme de stabilité dans leurs revenus »
Elsa Fortant, doctorante à l’INRS
Payer pour être bénévole
De surcroît, cette nouvelle forme de sociofinancement vient avec son lot de gestion ; la mise à jour d’une page Web et l’animation d’une communauté demandent un investissement conséquent aux artistes. Cet aspect paradoxal retient l’attention de la doctorante : avec Patreon, les artistes ont accès à une base d’adeptes plus investis pour générer du revenu, mais doivent y consacrer davantage de temps pour leur proposer toujours plus de contenu exclusif, comme des vidéos ou des événements, afin d’attirer et de conserver les abonnements.
Certains artistes vont même faire appel à leur communauté pour les soutenir bénévolement, par exemple pour administrer leur page ou pour organiser des activités. « Il ne s’agit pas de bénévolat traditionnel, car les fans ont payé pour soutenir l’artiste. Ne finit-on pas par acheter son privilège? Comment se décrit le statut social dans ces communautés, à mesure qu’on se procure un abonnement plus cher? », se questionne la jeune chercheuse. Pour approfondir ces réflexions, elle a réalisé des entrevues semi-dirigées avec des artistes et des modérateurs bénévoles issus de Patreon.
Créer des liens entre théorique et pratique
Elsa Fortant remarque un intérêt grandissant des professionnelles et professionnels du milieu culturel envers le sociofinancement par abonnement, qu’il s’agisse d’agences d’artistes ou d’associations professionnelles. Selon elle, le sociofinancement par abonnement pourrait s’imposer comme une alternative viable.
Consciente qu’elle évolue dans un milieu de recherche encore niché, l’étudiante trouve indispensable de vulgariser sa recherche par des conférences, des ateliers ou des articles destinés au grand public. « Il faut faire le pont entre le terrain d’un côté, et la connaissance générée dans le milieu académique de l’autre, surtout dans un domaine encore méconnu. C’est important pour donner du sens à la recherche. »
Par ailleurs, ses travaux pourraient interpeler l’équipe de Patreon ou de plateformes semblables, en leur permettant de mieux comprendre les répercussions que le sociofinancement par abonnement peut avoir sur le travail de création et sur l’évolution du métier de musicien.
Elsa est titulaire d’une maîtrise en communication spécialisation journalisme de l’École des nouveaux métiers de la communication en France et d’une maîtrise en sociomusicologie de l’UdeM.