- Publications de l'INRS
La professeure Denise Helly propose un ouvrage sur le traitement historique et juridique des propos discriminatoires au Canada et aux États-Unis.
Propos discriminatoires, humiliants, haineux… que ce soit envers les membres de minorités ethniques, religieuses ou sexuelles, de telles déclarations occupent aujourd’hui un espace remarqué sur les plateformes numériques. Pourtant, depuis plus d’un siècle, les cours suprêmes des États-Unis et du Canada traitent du sujet. Sous le couvert de la liberté d’expression, la parole raciste et haineuse est alimentée, depuis très longtemps, par les mouvements d’extrême droite.
Sous le titre Liberté d’expression c. égalité – Les propos haineux. Doctrines, débats, lois en Amérique du Nord 1919-2022, Denise Helly et Ahmed-Mahdi Benmoussa proposent une analyse historique et juridique de cette parole violente, souvent haineuse.
« La transformation des lois est reliée à l’évolution de la société. Dans la première partie de l’ouvrage, nous voulions aborder l’histoire des aspects juridique et intellectuel des propos haineux. Puis, comme les moyens de communication ont évolué, il nous est apparu évident d’aborder la haine en ligne et les lois qui en découlent ou qui devraient en découler, notamment au Canada », indique Denise Helly, professeure à l’INRS et spécialiste entre autres des questions de crime haineux, de discrimination et de liberté d’expression.
Les législations sur les propos haineux sont toutes fédérales. Dans cet ouvrage, la professeure Helly et son collègue Ahmed-Mahdi Benmoussa proposent une description de l’évolution juridique du concept de propos illicite, raciste et/ou haineux, des années 1920 à nos jours; ils donnent de nombreux exemples de cas portés devant les tribunaux au Canada et aux États-Unis. Le « c. » du titre fait d’ailleurs directement référence à ces cas. En effet, dans la langue juridique, l’anglais « versus », ou ses abréviations « v. » ou « vs. », se traduit par « contre», ou son abréviation « c. ».
Les coauteurs brossent un portrait des plaintes portées en justice dans les deux pays et l’évolution de leur traitement. Au fil des ans, on assiste ainsi au Canada, à la différence des États-Unis, à une condamnation nette des propos haineux.
La chercheuse rappelle que dès les années 1950, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, des juges et universitaires nord-américains ont posé la question de savoir si la liberté d’expression avait préséance sur le droit à l’égalité de traitement. Au Canada, ce n’est que 40 ans plus tard que des décisions marquantes sont prises en matière de sanction des propos haineux. La Cour suprême présente alors une conception de la liberté d’expression tenant compte du principe d’égalité et de la protection de la réputation sociale d’un individu ou d’un groupe, de même que de la paix sociale.
« À partir des années 1990, il sera plus facile, légalement du moins, de traiter des causes contre des antisémites ou des suprématistes. Il y aura désormais une limite à la liberté d’expression : celle de ne pas ostraciser des membres de minorités raciales, sexuelles ou religieuses et d’hypothéquer leur participation à la vie sociale et politique du Canada. »
— Denise Helly, professeure à l’INRS
Ces limites concernent également les autres catégories de groupes identifiables protégées par la Charte canadienne et la Charte québécoise.
Les juristes de l’époque ne pouvaient encore deviner la suite de l’histoire, soit l’apparition des réseaux sociaux et, par conséquent, de nouvelles plateformes de paroles.
En 2015, les résultats d’une étude commandée par CBC sont frappants : les propos haineux dans les réseaux sociaux et les blogues montrent une augmentation de 300 % pour les termes liés à l’idéologie suprémaciste et de 200 % pour les termes islamophobes. En 2020, le nombre de crimes haineux en ligne atteint des sommets. En pleine pandémie de COVID-19, ce sont les membres de la communauté asiatique qui sont les principales victimes. Les personnes élues au sein des gouvernements municipal, provincial ou fédéral commencent également à figurer parmi les victimes à l’échelle du Canada.
Dans la deuxième partie de l’ouvrage, la professeure Helly et son collègue brossent un dur portrait de la réalité. Des propos haineux à la désinformation, en passant par la question de la responsabilité des grandes plateformes numériques, les exemples sont nombreux. Néanmoins, « le Canada se met à jour lentement sur la législation de la haine en ligne. À partir de 2019, le gouvernement a présenté la Charte canadienne du numérique et d’autres mesures, mais depuis l’échec du projet de loi C-36, aucune loi sanctionnant les propos haineux, qui concernent essentiellement les minorités religieuses, sexuelles et racisées, n’a été déposée », souligne Denise Helly.
Formée en sociologie, en anthropologie, en science politique et en sinologie, Denise Helly a pour champs d’intérêt de recherche les multiples facettes de l’insertion sociale et de l’acceptation des minorités ethniques et religieuses. Ses recherches portent sur les législations sur la haine en ligne et sur le traitement par les juges québécois de demandes de divorce par des immigrés de confession religieuse minoritaire. Elle effectue également des travaux sur les conflits culturels sur les campus nord-américains. Elle est professeure au Centre Urbanisation Culture Société de l’INRS.
Détenteur d’un baccalauréat en philosophie et en science politique ainsi que d’une maîtrise en philosophie de l’Université Laval, Ahmed-Mahdi Benmoussa a collaboré à différents projets de recherche universitaires au Québec et au Canada avant de rejoindre le secteur public québécois à titre de professionnel. Il est aujourd’hui consultant dans le secteur privé.