« M’entendez-vous bien? » Même au bout d’une connexion Internet à haute vitesse, la voix du professeur José Azaña du Centre Énergie Matériaux Télécommunications de l’INRS reste un peu lointaine. Or, avec la technologie qu’il met au point dans son laboratoire de Montréal, « vous pourriez m’entendre comme si j’étais à côté de vous ! », m’assure-t-il. En effet, José Azaña développe actuellement les composantes d’un ordinateur aussi rapide que l’éclair : l’ordinateur optique.
Un peu plus d’un tiers de seconde : voilà la vitesse fulgurante à laquelle un ordinateur optique pourrait recevoir et comprendre une émission de télévision d’une heure qu’on regarde sur un site Internet comme Tou.tv ou tout autre de diffusion en temps réel. Soit 10 000 fois plus rapidement qu’avec nos ordinateurs conventionnels. Et tout ça, en haute définition s’il vous plaît !
Qu’il s’agisse de la voix d’un interlocuteur sur Skype ou d’une émission télévisée, les données informatiques circulent sous la forme d’électrons. « Même les appareils les plus simples comme le téléphone cellulaire utilisent l’électronique », souligne José Azaña. Une technologie ayant cependant été exploitée au maximum de ses capacités. « Il y a quelques années, nous pensions avoir atteint la limite de l’électronique, mais les gens ont continué à pousser la technologie », explique le professeur et chercheur. Mais à l’ère de l’Internet mobile et des micro-ordinateurs de poche, la course pour une technologie plus efficace commence.
Une idée lumineuse
« Et si on utilisait les photons – la lumière – plutôt que les électrons ? », proposaient quelques « illuminés » dans les années 70. Ce fantasme se matérialise aujourd’hui dans les laboratoires de photonique puisqu’on utilise de plus en plus la fibre optique, qui véhicule l’information par le truchement de la lumière. Mais la fibre optique ne suffit pas : « Il faut transporter l’information, mais aussi la traiter, explique José Azaña. Nous pouvons envoyer de l’information très rapidement avec la fibre optique, mais on ne s’en rend même pas compte puisqu’on doit ensuite la traiter électroniquement, ce qui ralentit tout le processus ». Imaginez-vous circuler sur une autoroute ultramoderne à cinq voies dotée d’entrées et de sorties à une seule voie : bonjour les bouchons de circulation !
Comme des voitures quittant cette autoroute, l’information transportée dans une fibre optique doit ensuite se diriger dans un système électronique moins efficace – le processeur de votre ordinateur, par exemple – où elle est traitée « et [où], se désole José Azaña, vous perdez les avantages de la photonique ! Alors, nous nous sommes dits : “ Essayons de traiter l’information directement sous forme lumineuse, dans la fibre elle-même ” ». L’équipe de José Azaña travaille donc à partir des mêmes matériaux que ceux utilisés en électronique, comme les semi-conducteurs. Ainsi, de nombreuses percées de ces dernières années, en miniaturisation pour ne citer que celle-ci, peuvent être récupérées. Par exemple, pour une période de temps égale à celle d’un processeur électronique, on pourrait traiter, grâce à un processeur optique, jusqu’à 10 000 fois plus d’informations. Un avantage important dans des domaines où des quantités considérables de données sont prises en compte, comme l’astronomie, la physique nucléaire ou la biologie, lesquels nécessitent l’utilisation de superordinateurs.
Un circuit à la fois
La grande percée de l’équipe du professeur Azaña réside en l’élaboration du premier circuit capable de calculer une dérivée à partir d’influx de photons plutôt que d’électrons. La dérivée est une opération mathématique de base pour l’informatique. Le circuit imaginé par l’ingénieur en télécommunications s’insère directement dans la fibre optique. « Ça a l’air d’une fibre optique ordinaire, mais la lumière est traitée en traversant des sections modifiées de la fibre», précise-t-il. Comme le signal ne quitte pas la fibre, il ne perd pas en puissance. »
Son équipe souhaite maintenant mettre au point des circuits pour calculer les intégrales, une autre opération mathématique majeure pour l’informatique. « L’électronique, c’est comme les Lego©, illustre José Azaña. Chaque bloc – les rouges, les bleus, les verts – accomplit différentes fonctions mathématiques simples comme les additions, les multiplications, les dérivées ou les intégrales. Ces blocs sont élémentaires, mais ils peuvent servir à bâtir une voiture. » Avec son équipe, il souhaite optimiser les différents « blocs » déjà au point et en dessiner de nouveaux. Et un jour, les assembler…
À quand l’ordinateur tout optique ? José Azaña confie qu’il caresse ce rêve ultime, bien que « pour certaines applications, il se peut que l’électronique demeure plus rapide, moins chère et plus efficace ». Mais une chose est certaine, l’ordinateur optique verra le jour avant son concurrent quantique, autre espoir de l’informatique, qui pourrait lui aussi utiliser les photons au détriment des électrons.