Ce n’est certainement pas en tant que spécialiste ni de l’histoire ni de l’architecture universitaire que je formule aujourd’hui mes réflexions sur l’université du XXIe siècle. Je le ferai plutôt à partir de ma propre expérience d’universitaire de près de 45 ans, d’abord comme étudiant, puis comme professeur-chercheur, administrateur universitaire et, aujourd’hui, en tant que chef du seul établissement universitaire intersectoriel du Québec. Forcément, ces expériences ont dirigé mes réflexions sur les tensions, les défis et les enjeux auxquels l’université fait face au XXIe siècle.
Origines de l’université de recherche nord-américaine
Née au Moyen Âge, l’université demeurera longtemps un lieu réservé à l’enseignement. On y enseigne alors essentiellement le droit, la médecine et la théologie, et ce jusqu’au XIXe siècle. La recherche n’a alors pas sa place à l’université. Elle est plutôt le propre d’académies royales ou nationales qui s’équiperont d’appareils, d’instruments et de laboratoires de recherche ainsi que de revues savantes et d’amphithéâtres pour la présentation de leurs discours.
Cette séparation entre l’enseignement et la recherche n’est pas un hasard. Elle est fondée, à tort ou à raison, sur le postulat que l’enseignement est incompatible avec l’activité de recherche, comme le prétendait un grand penseur des Lumières, Nicolas de Condorcet (Gingras, 2003).
Il faudra la contribution de Wilhelm von Humboldt, diplomate et ministre de l’Éducation allemand, pour affirmer le contraire, soit que la réunion des fonctions d’enseignement et de recherche améliore la qualité de ces deux activités. Humbolt réforme en conséquence l’Université de Berlin (maintenant Humboldt-Universität zu Berlin) en 1810, créant ce qu’il est maintenant convenu d’appeler l’université de recherche, composée des premiers professeurs-chercheurs et professeures-chercheuses.
Les universités britanniques et nord-américaines ont été très fortement influencées par cette réforme allemande. Depuis la fondation de la première université de recherche aux États-Unis, la Johns Hopkins University, l’ensemble des universités nord-américaines a maintenant pris la forme de l’université de recherche allemande. Alors que cette fusion de la recherche et de l’enseignement fait l’unanimité en Amérique du Nord, elle demeure partielle en Europe. Par exemple, l’Allemagne, malgré la réforme de ses universités, crée les Instituts Max-Planck en 1948, haut lieu de recherche pure, sans enseignement. En France, en 1939, l’État conçoit le CNRS, une collection de chercheurs de grand calibre qui n’ont aucune obligation d’enseignement. Cette division entre recherche et enseignement, qui persiste dans certains pays, dénote peut-être l’existence d’une tension bien réelle entre les deux types d’activités, tension qu’il vaut la peine d’explorer ici.
Le savoir divisé en disciplines
Toutes les universités de recherche reposent sur une division des catégories du savoir : les disciplines. La plupart de ces établissements ont une collection de départements semblables: départements de biologie, d’histoire, de philosophie, etc. Ces départements disciplinaires sont ensuite regroupés en grandes familles, soit les facultés de science, de médecine, de sciences humaines, etc.
Le lien entre l’université et la discipline n’est donc pas un hasard et, selon Isabelle Fortier (p.1, 2002) : « […] la discipline s’est instituée au cours du XIXe siècle avec l’avènement des universités modernes […] ».
Pour Laure Endrizzi (2017): « [L]’enseignement supérieur s’incarne dans un système de disciplines qui s’impose à la fois comme une organisation naturelle des connaissances et comme un mode de répartition du travail entre communautés de chercheurs et d’enseignants.»
Au moins trois facteurs favorisent le maintien de l’organisation disciplinaire de l’université de recherche : l’enseignement au premier cycle, l’évaluation par les pairs et la recherche libre.
Ce texte a été publié dans le cahier scientifique no 188 de l’Association francophone pour le savoir (Acfas) : L’université du XXIe siècle : Enjeux, défis et prospectives. Ces actes du colloque ont été présentés lors du 87e Congrès de l’Acfas tenu à l’Université du Québec en Outaouais, les 29 et 30 mai 2019. L’INRS remercie l’Acfas pour les droits de reproduction.