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Montréal, une métropole sur le fil de fer

Publié par Marianne Boire

13 mars 2013

( Mise à jour : 29 octobre 2020 )

Congestion routière, corruption municipale, problèmes de gouvernance : Montréal n’a pas la cote ces temps-ci. Et pourtant, d’un point de vue scientifique, la ville la plus peuplée du Québec va au contraire plutôt bien, puisqu’elle réussit envers et contre tous à maintenir son statut de métropole économique et culturelle. Mais pour combien de temps encore?

Professeure et ancienne directrice du Centre Urbanisation Culture Société de l’INRS, Claire Poitras, spécialiste d’histoire urbaine, analyse les transformations de Montréal à partir d’une perspective historique. Et en dépit des récentes réalisations montréalaises telles que la revitalisation du Quartier des spectacles, elle s’inquiète de voir la métropole perdre certaines de ses exclusivités économiques et culturelles au profit d’autres municipalités environnantes. Les banlieues et quartiers DIX30 de ce monde menacent-ils l’avenir de la métropole?

D’une décennie à l’autre, Montréal se transforme sous l’effet des mouvements de population. Au début des années 1930, par exemple, la ville aux cent clochers a connu une première baisse démographique lors d’un retour des jeunes hommes vers les fermes des comtés ruraux environnants. Une trentaine d’années plus tard, un nouvel exil s’est entamé lorsque les ménages des quartiers centraux ont commencé à migrer vers les banlieues. Pendant de longues années, cet exode résidentiel n’a pas réellement menacé le monopole économique, industriel et culturel de Montréal, puisque les nouveaux résidents des banlieues continuaient à se rendre quotidiennement en ville pour travailler, consommer et se divertir. Or, ce n’est plus le cas aujourd’hui, explique Claire Poitras, car les anciennes villes-dortoirs sont devenues des milieux de vie à part entière avec des quartiers industriels, des espaces commerciaux recherchés et des lieux de divertissement prisés. Le quartier DIX30 de Brossard — qui combine développement résidentiel, commercial, économique et culturel — illustre parfaitement cette nouvelle réalité.

« Montréal n’a plus l’exclusivité en termes de diversité commerciale et culturelle, soutient Claire Poitras. Il n’y a donc plus vraiment de raison de venir au centre-ville. » Les banlieues ne sont d’ailleurs pas les seules à faire compétition à Montréal : ses propres arrondissements lui font également concurrence, en voulant eux aussi offrir à leurs résidents une vie culturelle et économique de qualité, avec des théâtres de quartier par exemple.


Montréal, une ville où il fait bon vivre malgré tout

Résultat de cette concurrence féroce que la banlieue livre à la ville-centre : l’exil des familles se poursuit. Et même si le phénomène est moins important qu’il ne l’a été au début des années 1960, les jeunes ménages continuent à migrer vers les banlieues, attirés par les propriétés à moindre prix et par une meilleure qualité de vie, notamment en ce qui concerne la verdure et la sécurité. Bien dommage, soutient Claire Poitras, car Montréal est une ville où la qualité de vie est exceptionnelle, comme en témoignent de nombreuses recherches d’études urbaines. Scrutée depuis des décennies par des chercheurs du Centre Urbanisation Culture Société, la ville de Montréal surprend en effet à bien des égards pour la qualité de vie qu’elle offre à ses citoyens, quand on la compare à d’autres cités nord-américaines de dimension semblable.

« Pour une ville de sa taille, Montréal est tout de même très sécuritaire. Et en dépit du fait qu’elle constitue comme toutes les grandes villes une plaque tournante qui accueille beaucoup de nouveaux arrivants, on y retrouve relativement peu de graves problèmes sociaux liés à l’immigration ou à de grandes inégalités économiques. »

Claire Poitras


Un découpage de territoire à revoir

Mais y a-t-il lieu de s’inquiéter de cette décentralisation du cœur de Montréal vers les agglomérations et les banlieues? Certainement, répond la chercheure, tout en précisant qu’il s’agit d’un point de vue et non pas d’un principe scientifique reconnu : « Une ville comme Montréal a tout avantage à conserver un centre-ville fort. C’est vrai qu’il existe de très grandes villes comme Los Angeles ou Houston qui n’en ont pas vraiment, mais elles sont résolument polycentriques et les déplacements y sont essentiellement effectués en automobile. À l’heure du développement durable et de la lutte aux changements climatiques, est-ce vraiment le type de ville qu’on souhaite? » D’autant plus que l’exode des Montréalais vers la banlieue a également d’autres répercussions environnementales très concrètes, soutient-elle, en impliquant un étalement urbain qui ne cesse de gruger les espaces naturels et agricoles de la région.

Pour sauver Montréal, Claire Poitras plaide pour un changement de paradigme : « L’enjeu, c’est le découpage du territoire. Il faut reconnaître que Montréal ne se résume pas à l’île de Montréal, mais à la grande région de Montréal. Et cette région existe comme région socioéconomique depuis longtemps. Mais en quelques décennies, on a rétréci son espace et son aire de rayonnement, avec la mise en place des régions administratives comme la Montérégie, Laval et Lanaudière. »

Citant en exemple certains illogismes, comme le fait que la Ville de Longueuil ne fait pas partie de la région administrative de Montréal, mais de la Montérégie, Claire Poitras soutient que ce découpage cause de nombreux défis supplémentaires à la grande ville, puisque chaque région administrative tente de s’autonomiser face à la région métropolitaine. 

Claire Poitras est photographiée sur l’avenue Laval au centre-ville de Montréal, une artère bordée de maisons du XIXe siècle.

Scrutée depuis des décennies par des chercheurs de l’INRS, la ville de Montréal surprend à bien des égards pour la qualité de vie qu’elle offre à ses citoyens, quand on la compare à d’autres cités nord-américaines de dimension semblable

Détail d’une clôture en fer sur le terrain d’une résidence de l’avenue Laval, à de Montréal


Un enjeu provincial

Malgré ces mises en garde, Claire Poitras refuse de tenir un discours alarmiste. Rappelant la création de la Communauté métropolitaine de Montréal qui a accouché d’un Plan d’aménagement et de développement en 2012, elle pense qu’une meilleure concertation régionale demeure possible. Mais tout de même, l’équilibre entre la ville-centre et ses banlieues demeure fragile, et il n’est pas exclu que la métropole perde sa notoriété sur la scène internationale, ce qui aurait forcément un impact sur l’ensemble de la société québécoise.

« Dans le contexte mondialisé actuel, c’est dans les métropoles et les grandes régions urbaines que se joue une bonne partie de l’avenir d’une nation, rappelle Claire Poitras, et le déclin d’une métropole peut signifier la perte de compétitivité d’un État-nation. Si Montréal entre dans une nouvelle phase de déclin, c’est tout le Québec qui en sera affecté. » Le Québec sera-t-il sensible aux défis que traverse sa métropole? Souhaitons que la sagesse triomphe des habituelles chicanes de clochers, qui minent plus souvent qu’autrement les diverses négociations régionales et intermunicipales.




Cet article a été publié initialement dans le webzine PlanèteINRS.

Photos © Christian Fleury