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On parle beaucoup des fameuses mutations du virus qui ont engendré la COVID-19, mais aussi de celles qui pourraient lui succéder. Ces mutations peuvent persister ou disparaître et c’est le processus de la sélection naturelle qui s’en chargera. Or, jusqu’ici, on parle peu de la sélection naturelle comme facteur pouvant agir sur le virus. La sélection, un processus intimement lié à notre environnement et à nos comportements, jouera en fait un rôle fondamental dans l’avenir de ce virus qui bouleverse nos vies.
On présente le coronavirus de la COVID-19 comme si c’était un objet inerte, homogène et uniforme. La réalité est que nous combattons aujourd’hui une espèce biologique constituée d’individus, des virions qui, de manière tout à fait naturelle, varient légèrement les uns des autres.
On présente le coronavirus de la COVID-19 comme si c’était un objet inerte, homogène et uniforme. La réalité est que nous combattons aujourd’hui une espèce biologique constituée d’individus, des virions qui, de manière tout à fait naturelle, varient légèrement les uns des autres.
L’objectif d’un virus est le même que tout objet biologique : persister dans le temps. Chaque virion transmet ses gènes à la génération suivante. Ceux qui y arrivent moins bien finissent par disparaître, ceux qui réussissent le mieux restent avec nous. Les générations se suivent à un train d’enfer et cela permet une évolution rapide sous les pressions de la sélection naturelle. Notre comportement pourrait très bien avoir un effet sur cette évolution.
Bien que ce qui nous préoccupe le plus de ce virus est la maladie qu’il cause, il faut savoir que son objectif n’est pas de nous rendre malades, mais bien de nous utiliser pour faire des copies de lui-même. Si la maladie qu’il induit chez nous à cause de son mode de vie parasitique nuit à sa persistance, alors les variantes qui nous rendent moins malades finiraient par prendre le dessus sur les plus virulentes.
Au cours des millions de générations, chaque coronavirus injecte son ARN dans la machinerie de la cellule hôte, la contraignant à lui fabriquer de nouveaux virions qui finiront par la tuer. L’objectif du virion est de se répliquer rapidement afin d’atteindre un nombre suffisant de copies dans l’hôte pour devenir contagieux et permettre à l’hôte d’en infecter un autre. Les versions plus lentes seront larguées par les plus rapides qui finiront par dominer l’hôte infecté. Mais aussi rapide soit-il, si l’hôte meurt avant d’avoir pu en infecter un autre, les virions meurent avec lui : ils auront échoué.
Lorsque le virus a besoin de son hôte pour rejoindre de nouvelles cibles d’infection, un virion trop agressif n’a pas d’avenir. Il y a donc une tension : le virion doit être assez rapide pour prendre le dessus sur ses compétiteurs à l’intérieur de son hôte, tout en le gardant suffisamment mobile pour qu’il puisse infecter de nouvelles victimes. Le coronavirus de la COVID-19 peut même aider à sa propagation en manipulant son hôte en le faisant tousser et éternuer. Plus le virus a besoin de son hôte pour se propager, plus il devra le ménager.
Sachant cela, pourrions-nous envisager de donner un coup de main aux versions moins virulentes et les aider à gagner contre celles qui nous causent plus de souffrance ? En forçant les individus symptomatiques à s’isoler des autres, on empêche cette version du virus de proliférer, de faire de nouvelles victimes.
En réduisant les contacts entre les individus par la distanciation sociale indépendamment de leurs symptômes dans la population en général, on favorise sans le vouloir la propagation des versions virales qui causent moins de symptômes de la maladie. On crée un environnement qui favorise les virus qui prennent davantage soin de leur hôte s’ils espèrent gagner à la course de la propagation en permettant à la personne infectée de demeurer active et mobile encore plus longtemps pour arriver à infecter un nouvel hôte. Ainsi, les mesures de distanciation sociale ont pu avoir un effet sur l’évolution des virus en favorisant le succès des variantes asymptomatiques.
À l’inverse, les agents pathogènes qui n’ont pas besoin de leur hôte pour se propager, notamment la malaria qui utilise des vecteurs comme les moustiques, ou le choléra qui fait usage des cours d’eau, ont tendance à évoluer vers une très haute virulence, puisque la contamination peut se faire même à partir d’hôtes totalement inconscients et immobiles.
Dans des situations où les malades se retrouvent concentrés dans des endroits fréquentés de manière assidue par de nombreux hôtes potentiels, le virus a moins besoin de l’activité de l’hôte pour se propager. C’est le cas par exemple dans les milieux de soins comme les CHSLD et les hôpitaux où les infirmières, médecins et préposés sains passent forcément d’un individu à l’autre. Dans une telle situation, les versions plus virulentes du virus, qui rendent l’hôte si malade que ses déplacements sont fortement réduits, peuvent néanmoins être propagées par la mobilité du personnel soignant. Il se peut très bien que les environnements de soins favorisent sans le vouloir l’émergence de versions plus virulentes du coronavirus, un peu à l’image des maladies nosocomiales comme le Clostridium difficile.
Pour l’instant, nous semblons tenir pour acquis que les variations dans l’intensité des symptômes d’un individu ne dépendent que de sa condition de santé et de sa génétique. Certes, il y a du vrai dans cela, mais si nous tenions aussi compte de la variation dans le virus, ne pourrions-nous pas envisager des campagnes qui viseraient à favoriser les variantes moins virulentes ? Il serait intéressant de savoir, par exemple, si les coronavirus qui infectent des personnes asymptomatiques sont moins virulents que ceux qui causent des symptômes plus sévères. Nous pourrions alors chercher à accroître les versions bénignes du virus qui, en même temps, nous immuniseraient contre les versions plus virulentes.
Les vaccins que nous cherchons à préparer visent à éliminer sans discrimination les versions virulentes et moins virulentes du virus. En produisant plutôt des vaccins qui cibleraient les facteurs de virulence du coronavirus, pourrions-nous nous débarrasser des versions dangereuses tout en préservant les versions bénignes qui pourraient nous offrir une protection immunitaire à long terme ? Les approches et les questions soulevées par un point de vue évolutif sont nombreuses. Je ne prétends pas qu’elles sont la solution à la pandémie, mais je crois qu’il vaudrait peut-être la peine d’intégrer un peu d’évolution dans notre arsenal scientifique pour lutter contre cette maladie.
Luc-Alain Giraldeau explique que nos comportements peuvent avoir une influence sur les versions du virus qui seront favorisées par la sélection naturelle à l’émission Les années lumière de Radio-Canada. Vous pouvez écouter son entrevue avec Sophie-Andrée Blondin au lien suivant : https://ici.radio-canada.ca/premiere/emissions/les-annees-lumiere/segments/entrevue/172280/virus-coronavirus-cvid-sras-cov-2-evolution-virions
Ce texte est inspiré de l’essai « Plague time : The new germ theory of disease » de Paul W. Ewald 2000. Anchor Books New York
3 septembre 2024
Mieux se préparer aux futures pandémies