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La révolution inachevée du partage des tâches

12 février 2019 | Amélie Daoust-Boisvert

Mise à jour : 17 septembre 2020

La «  révolution inachevée  » du partage des tâches domestiques, lorsqu’elle sera complétée, fera reculer le divorce et augmenter la fertilité. C’est ce que certains avancent, et la professeure à l’Institut national de la recherche scientifique (INRS) Maude Pugliese et ses collègues d’autres universités Ana Fostik, Maude Boulet et Céline Le Bourdais, ont voulu mettre cette hypothèse à l’épreuve en dirigeant la plus récente édition des Cahiers de recherche sociologique, publiée la semaine dernière.

Les huit études dévoilées à cette occasion touchent plusieurs enjeux actuels, dont le lien entre le partage équitable des tâches et le désir de fonder une famille, la répartition de la garde des enfants après une séparation et le regard des femmes qui fréquentent des hommes plus jeunes quant à la capacité parentale de ces derniers.  

La révolution inachevée du partage des tâches

Les femmes ont investi massivement le marché du travail depuis les années 1970, déstabilisant la structure traditionnelle des rôles de genre. Cependant, la transformation sociale est encore partielle : les femmes prennent toujours en charge la majorité du travail domestique et de la charge mentale. Des chercheurs avancent depuis quelques années que ce caractère inachevé de l’évolution des rôles traditionnels des hommes et des femmes engendre du stress, de la fatigue et des insatisfactions au sein des unions. Cela expliquerait qu’elles soient devenues plus instables et que le nombre d’enfants par femme soit plus faible qu’auparavant.

« Les différentes recherches pointent vers l’idée que plus d’égalité semble favoriser la pérennité du couple et le désir d’enfant, mais avec des nuances »

Maude Pugliese

Or, les chercheurs avancent aussi qu’à mesure qu’elles acquièrent du pouvoir économique, les femmes refuseraient de s’engager dans des unions peu égalitaires. Selon cette logique, lorsque la transition vers l’égalité réelle sera complétée, les parents pourraient se remettre à faire plus d’enfants. Les directrices du numéro baptisent ce courant la « théorie de la révolution des rôles de genre ». Nous voulions vérifier si cette idée s’incarne dans le vécu des couples d’aujourd’hui, explique Maude Pugliese.

Le choc du premier bébé

Constat général : un partage plus égalitaire semble effectivement engendrer un effet positif. « Les différentes recherches pointent vers l’idée que plus d’égalité semble favoriser la pérennité du couple et le désir d’enfant, mais avec des nuances », observe Maude Pugliese.   

Les couples où les hommes et les femmes assument des rôles plus « traditionnels » paraissent plus rapidement disposés à fonder une famille, constatent d’abord les professeurs à l’INRS Laurence Charton et Nong Zhu. Mais l’arrivée d’un premier bébé accentue ensuite les inégalités domestiques à la défaveur des femmes et crée des tensions, observent-ils également. Conséquence : les tensions réduisent fortement les intentions d’avoir un 2e ou un 3e enfant surtout pour les femmes.   

Et quand le couple prend fin, que se passe-t-il ? Le chercheur postdoctoral à l’INRS David Pelletier et ses collaborateurs constatent que la prise en charge des enfants au lendemain d’une séparation revient encore beaucoup aux mères. Par contre, les mères qui travaillent à temps plein et les pères ayant un diplôme universitaire pratiquent davantage la garde partagée. Cela est compatible avec l’hypothèse voulant que des rôles économiques plus symétriques dans le couple favorisent une division plus égalitaire des responsabilités parentales après la rupture.  

Milaine Alarie, chercheure postdoctorale à l’INRS, s’est penchée sur l’expérience de femmes fréquentant des hommes plus jeunes qu’elles. Elle constate que la question des enfants complique souvent le développement de relations durables avec leurs partenaires plus jeunes. 

À trente ans, elles craignent que leur partenaire ne soit pas prêt à fonder une famille avant que leur fertilité ne décline. À 40 ou 50 ans, d’autres enjeux surgissent. Elles se demandent si elles souhaitent devenir « belles-mères » des enfants de leur conjoint ou si elles vont empêcher un homme sans enfant d’en avoir. Toutefois, pour les femmes dans la trentaine qui ne sont pas interpellées par la maternité, les relations avec des hommes plus jeunes sont souvent perçues comme allégeant la pression sociale relative à la formation de famille.  

Plusieurs autres facteurs que le partage des tâches jouent sur la stabilité des couples et les dynamiques familiales, précise Maude Pugliese. De plus, le fait d’assumer un rôle traditionnellement féminin ou masculin ne constitue pas une source de tension pour tous. C’est pourquoi l’égalité économique homme-femme ne peut à elle seule transformer les dynamiques des familles, constate-t-elle.    

Du chemin parcouru

Selon Statistique Canada, 77,5 % des femmes de 25 à 54 ans travaillaient en 2015, contre seulement 48,7 % en 1976. Pendant ce temps, les pères n’ont pas rattrapé les mères dans leur prise en charge du travail domestique. En 2015, seulement 39 % du nombre total d’heures de travail domestique effectuées par les parents pouvait être attribué aux pères contre 61 % aux mères. En 1986, les pères prenaient en charge 25 % du temps de travail domestique.   Les pères du Québec participent davantage à l’entretien ménager comme le ménage et la vaisselle que les hommes du reste du Canada.    

À propos de ce numéro

La chercheuse Maude Pugliese est la directrice scientifique de ce numéro entièrement consacré au partage des tâches dans les familles, conjointement avec la professeure à l’Université McGill Céline Le Bourdais, la professeure à l’ENAP Maude Boulet et la chercheuse postdoctorale à l’Université McGill Ana Fostik.