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Pour la première fois au Québec, une étude s’intéresse à l’influence de la mobilité géographique sur la reproduction des inégalités sociales à travers plusieurs générations.
La complémentarité des expertises au sein de l’équipe de recherche a permis de jeter un regard nouveau sur l’un des mécanismes pouvant sous-tendre la mobilité sociale au Québec, soit la mobilité géographique.
Publiée dans la revue PERSPECTIVES du Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO) en septembre 2023, l’analyse a été menée par les professeurs Xavier St-Denis et Yacine Boujija de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS) et par la professeure Marie Connolly de l’École des sciences de la gestion de l’UQAM.
« La complémentarité des expertises au sein de notre équipe nous a permis de jeter un regard nouveau sur l’un des mécanismes pouvant sous-tendre la mobilité sociale au Québec, soit la mobilité géographique. Ce facteur n’avait jusqu’ici pas reçu autant d’attention que d’autres vecteurs de mobilité sociale telle que la participation aux études postsecondaires », indique Xavier St-Denis, professeur à l’INRS, spécialiste des inégalités sociales.
Cette étude est la toute première à se pencher sur l’influence de la mobilité géographique sur la transmission intergénérationnelle du revenu, au Québec. L’équipe de recherche a utilisé la Base de données sur la mobilité intergénérationnelle du revenu (BDMIR) de Statistique Canada pour tirer ses conclusions, en suivant le parcours de jeunes Québécois jusqu’à leur trentaine.
Ces données permettaient de documenter approximativement 1,4 million de trajectoires personnelles. Les statistiques récoltées représentent un véritable trésor d’informations, y compris sur les conditions socioéconomiques des familles au sein desquelles les individus ont grandi. C’est cette caractéristique des données qui a ouvert la porte à une analyse intergénérationnelle.
La migration géographique interne représente tout changement du lieu de résidence habituel à l’intérieur d’un même pays. Dans le cas qui nous intéresse ici, elle désigne les déménagements entre régions métropolitaines, agglomérations urbaines ou régions rurales au Québec. La mobilité sociale, enfin, désigne la relation entre le statut socioéconomique des parents et celui atteint par leurs enfants une fois devenus adultes. Une relation forte traduit un faible niveau de mobilité sociale : les enfants nés dans les familles les moins privilégiées tendent alors à se retrouver à leur tour en situation de faible revenu une fois devenus adultes.
« Selon notre recherche, la mobilité géographique pourrait être un vecteur potentiellement important de mobilité sociale au Québec – mais seulement pour une partie de la population »
Yacine Boujija, professeur à l’INRS et démographe.
D’après les résultats, la probabilité d’une première migration géographique au Québec est liée à la fois à l’âge et à la région d’origine des jeunes ; cette probabilité atteindrait un sommet à 23 ans en moyenne.
Sur la période observée, les jeunes vivant en dehors des grands centres urbains auraient été plus susceptibles d’avoir recours à la migration interne que les jeunes issus des sept régions métropolitaines de recensement, soit Montréal, Québec, Ottawa-Gatineau, Sherbrooke, Saguenay, Trois-Rivières et Drummondville. Généralement, les migrations géographiques internes peuvent être motivées par la participation aux études postsecondaires ou à l’emploi, souvent dans le but d’améliorer les conditions de vie.
Les résultats de l’étude semblent bien supporter l’idée selon laquelle la mobilité géographique pourrait aider les jeunes à gravir l’échelle sociale au Québec. « Cependant, nos résultats mettent aussi en lumière la situation socioéconomique désavantageuse à laquelle sont confrontés ceux qui ne désirent pas ou ne peuvent pas quitter les régions où ils ont grandi, relativement à ceux qui migrent vers les grands centres », explique le professeur Boujija.
Malgré des initiatives visant à améliorer l’égalité des chances de tous les jeunes, la transmission des inégalités d’une génération à l’autre s’est exacerbée dans les dernières décennies au Québec.
En suivant ces différentes trajectoires, les chercheurs observent que le statut socioéconomique des jeunes habitant une zone rurale à 16 ans et ayant grandi dans une famille moins aisée s’est détérioré entre les années 1960 et les années 1980. Ceci est d’autant plus vrai lorsqu’ils ne migraient pas vers une autre région au cours de leur vie. Le manque de mobilité sociale les touchait particulièrement. À l’inverse, le statut des jeunes ayant grandi dans des familles plus aisées s’est amélioré sur la même période.
Si cette étude ne prétend pas faire la lumière complète sur le phénomène, elle offre toutefois une meilleure compréhension de la réalité québécoise en matière de migration géographique et de parcours de vie des jeunes.
« Le gouvernement du Québec a déjà mis en place différents outils pour favoriser l’égalité des chances au sein de la population, comme l’accès au cégep et la création d’un réseau d’universités publiques. Et pourtant, nos analyses démontrent que la transmission des inégalités d’une génération à l’autre s’est accrue avec le temps. »
Marie Connolly, professeure à l’École des sciences de la gestion de l’UQAM.
« Notre analyse ne nous permet pas d’identifier un lien de cause à effet entre migration et mobilité sociale, mais nos résultats suggèrent qu’il existe un lien entre les deux phénomènes. Il serait intéressant de continuer à investiguer cette relation afin de déterminer dans quelle mesure la mobilité sociale pourrait être soutenue par des politiques d’incitation à la mobilité géographique », conclut la professeure et économiste Marie Connolly.
Les trois chercheurs voient également dans cette première étude une invitation à approfondir des questions majeures pour les futures générations : si la mobilité géographique interne – ou, au contraire, « l’immobilité » géographique – semble avoir un impact sur le niveau de vie à l’âge adulte, comment s’assurer d’offrir les mêmes chances à tous les jeunes ? Comment bâtir une société où la mobilité sociale demeure possible pour les nouvelles générations ?
L’article « Monter dans le train et gravir l’échelle sociale. Le rôle de la mobilité géographique dans la lutte contre les inégalités au Québec » a été publié dans la revue PERSPECTIVES du mois de septembre par Yacine Boujija, Marie Connolly et Xavier St-Denis. https://doi.org/10.54932/DZVN3538
Cet article est une version courte d’un rapport complet publié en juin 2023 et signé par les mêmes auteurs : Boujija, Y., Connolly, M. & St-Denis, X. (2023). Mobilité géographique et transmission intergénérationnelle du revenu au Québec. (2023RP-11, Rapports de projets, CIRANO.) 47 pages. https://doi.org/10.54932/KLJI2908
Les trois chercheurs ont reçu un soutien financier du Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO) pour la réalisation de ces travaux.
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