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Mario Polèse, professeur à l’INRS, publie The Wealth And Poverty of Cities

7 octobre 2019 | Julie Robert

Mise à jour : 17 février 2021

Échange avec Mario Polèse, professeur émérite à l’Institut national de la recherche scientifique (INRS) et auteur du livre The Wealth And Poverty of Cities : Why Nations Matter, qui vient d’être publié par la prestigieuse maison d’édition universitaire britannique Oxford University Press.

Mario Polèse, professeur émérite à l’Institut national de la recherche scientifique
Mario Polèse, professeur émérite à l’INRS. Crédit photo : Christian Fleury


Parlez-nous de votre nouvel ouvrage The Wealth And Poverty of Cities? En quoi est-ce une nouveauté sur le sujet? 

Mario Polèse, professeur à l’INRS, publie The Wealth And Poverty of Cities
The Wealth And Poverty of Cities par le professeur émérite Mario Polèse

Mario Polèse : Il existe une vaste littérature sur les villes dans une perspective sociologique et économique. Ce qui distingue ce livre des autres ouvrages est le sous-titre : Why Nations Matter (Pourquoi les nations sont-elles importantes?). C’est là que réside toute la spécificité de cet ouvrage.  En général, lorsqu’on parle d’une ville, nous attribuons sa réussite ou son échec à la manière dont elle est gérée et à son économie. Or, dans mon livre, je pars dans une direction diamétralement opposée. Si je devais le résumer en une pensée, je dirais que les villes sont finalement les enfants des sociétés qui les ont vus naître.  

La façon dont les villes sont gouvernées, conçues ou configurées, dépend largement des lois, des normes et des valeurs nationales. Si la ville française est si différente de la ville américaine, cela ne tient pas aux maires, mais au cadre régimentaire et aux traditions nationales en matière d’urbanisme.  En passant d’une ville à l’autre, de New York, à Port-au-Prince, en passant par Montréal,  Toronto, Paris et Buenos Aires, j’explique à plusieurs reprises en quoi la ville est « l’enfant des pratiques, des lois et de normes nationales ».   

Là où cela devient particulièrement intéressant pour le lecteur canadien ou américain, c’est lorsque j’essaie d’expliquer pourquoi les villes canadiennes (dans ce contexte le Québec ne se distingue pas des autres provinces) sont différentes des villes américaines.  Pourquoi une ville comme Détroit n’existe pas au Canada? Pourquoi Montréal n’a-t-elle pas d’inner cities (centres-villes défavorisés) ou de ghettos à l’américaine?   

Au fil des pages, je tente d’expliquer pourquoi, malgré des apparences extérieures très semblables, notre culture politique concernant la gestion des villes au Canada diffère de celle des villes américaines.     


Pouvez-vous nous donner un exemple précis de différence entre une ville américaine et canadienne?

M.P. :  Penchons-nous par exemple sur le financement des écoles primaires. Aux États-Unis, sauf exception, l’école primaire est gérée à partir des impôts fonciers locaux. À Montréal, imaginons que la municipalité de Wesmount finance directement ses écoles primaires. Les enseignants seraient mieux payés qu’à Montréal-Nord; il en résulterait d’importantes disparités. C’est l’un des éléments qui a provoqué le phénomène du « White Flight » dans les années 1950-1970, aux États-Unis, c’est-à-dire la fuite des Blancs des classes moyennes du centre-ville vers les banlieues, à la recherche d’écoles primaires de qualité.   

Ce contexte crée un cercle fiscal vicieux car, au fur et à mesure que les classes moyennes désertent les centres urbains, la base fiscale de la municipalité diminue, de pair avec la qualité des écoles, provoquant d’autres mouvements migratoires. Ce qui nous ramène au fait que les villes américaines ne sont pas seulement racialement, mais aussi socialement plus ségréguées que les nôtres.   

C’est un exemple parmi tant d’autres qui illustre comment les normes nationales ou provinciales peuvent expliquer pourquoi les villes, d’un État à l’autre ou d’une province à l’autre, sont très différentes. Ça tient beaucoup moins que nous le pensons à des facteurs locaux.    


Dans votre livre, vous décortiquez plusieurs métropoles à travers la planète, certaines ayant mieux réussi que d’autres. Pouvez-vous nous citer un exemple d’échec et un modèle de réussite? 

M.P. : J’ai pris la ville de Buffalo située dans l’ouest de l’État de New York, comme exemple archétype d’une ville américaine en déclin et qui reste encore aujourd’hui, si je peux me permettre l’expression, « dans le trou ». C’est surprenant de voir comment cette ville continue à stagner d’un point de vue économique et social dans un pays aussi prospère que les États-Unis. Cependant, Buffalo n’est pas un cas isolé; j’aurais aussi pu prendre Cleveland, Milwaukee, ou Saint-Louis, trois villes situées dans ce qu’on appelle la Rust Belt (en français : « ceinture de la rouille ») – surnom donné à cette région industrielle en déclin du Midwest des États-Unis.   

Parfois, certaines réussites voient le jour à la suite d’accidents de l’Histoire. Un cas assez intrigant est celui de la ville de Vienne qui, depuis plusieurs années, se retrouve systématiquement à la tête du classement annuel des villes les plus agréables du monde où il fait bon vivre, réalisé par l’Economist Intelligence Unit (EIU).   

D’un point de vue économique, Vienne s’en sort bien, avec un niveau de revenu par habitant similaire à New York, ce qui est extraordinaire pour une ville dont la population métropolitaine est la moitié de celle de Montréal. Comment Vienne en est-elle arrivée là?  Sa réussite est d’autant plus extraordinaire, car elle a perdu deux piliers essentiels de ce qui constitue le succès d’une métropole.   

Je m’explique.  

Jusqu’à la Première Guerre mondiale, Vienne était la ville phare et la capitale de l’empire austro-hongrois qui, à l’époque, comptait 50 millions d’habitants. Elle représente alors avec Paris, un des deux grands centres intellectuels en Europe et connaît une incroyable effervescence créatrice en s’imposant dans les domaines de la médecine, des arts et de la mode. À la suite de la guerre et de la période sombre qu’a été le nazisme, Vienne s’est retrouvée être une république chétive de 6 millions d’habitants.

En plus de l’extermination de la majorité de sa population juive, elle a perdu une bonne partie de son élite intellectuelle lors de l’indexation de l’Autriche à l’Allemagne, en 1938.  Comment s’est-elle relevée de ce traumatisme? Je ne vous en dirai pas plus! Il faut créer un peu de suspense pour les futurs lecteurs.     


Vous consacrez tout un chapitre aux villes de Montréal et de Toronto, historiquement rivales. Selon vous, est-ce que l’une a mieux réussi que l’autre? 

M.P. : Je compare souvent Montréal à Vienne. Montréal, comme Vienne, a perdu son empire, mais dans des conditions beaucoup moins dramatiques. Jusque dans les années 1950-1960, Montréal était le centre économique et la métropole du Canada. À l’époque, on l’appelait le « New York du Canada ». Cependant, le milieu des affaires était dominé par les dirigeants anglophones. Dans les années 1950, une grande entreprise francophone était un oxymore. Ça n’existait pas!   Mais dans les années 1970, le choc produit par le projet d’indépendance du Parti Québécois et la Loi 101 a conduit au départ de 200 000 élites anglophones et de leurs capitaux vers Toronto. C’est à ce moment-là que Montréal a perdu pour toujours sa place de centre financier.  

Ce sont alors succédées vingt années de misère (de 1975 à 1995) avec un taux de chômage qui dépassait souvent les 10 %, pratiquement le double qu’à Toronto. Le malheur de Montréal faisait le bonheur de Toronto.  

Montréal a dû se revirer de bord. Le Québec a investi énormément de fonds dans l’éducation. Dans la foulée de la Révolution tranquille, une classe d’hommes et de femmes d’affaires francophones a surgi et occupé la niche laissée vacante par les entreprises anglophones. Des multinationales comme Bombardier, Transat, Cascade ou SNC-Lavalin ont vu le jour et se sont soldées par un franc succès.   

Au milieu des années 1990, Montréal a réussi à se spécialiser dans de nouveaux secteurs économiques comme l’industrie pharmaceutique et l’aéronautique, et plus récemment, un secteur qui connait un succès retentissant : l’informatique et l’intelligence artificielle. Aujourd’hui, Montréal est une ville agréable avec un coût de vie moins élevé qu’à Toronto et moins d’inégalités sociales. 


Comment cet ouvrage s’inscrit-il dans votre cheminement de carrière ? 

M.P. : C’est certain que le succès de mon livre précédent The Wealth and Poverty of Regionsparu chez University of Chicago Press, m’a encouragé à me lancer dans un autre projet de livre. Celui-ci est différent. Je dirais que c’est l’un des livres les plus personnels que j’ai écrit durant ma carrière et dans lequel je partage, au fil des pages, mon opinion plus librement. C’est un ouvrage moins neutre que je me permets de livrer, en fin de carrière.  

Je tiens à exprimer mes remerciements à Oxford University Press et surtout à son éditeur David Pervin, qui a appuyé ce projet dès le départ.    


Un dernier mot à ajouter au sujet de ce livre? 

M.P. : Si quelqu’un veut comprendre ce qui fait la spécificité des villes canadiennes, voilà le livre à lire!      



À propos du professeur Mario Polèse

Membre fondateur de l’Association des économistes québécois, le professeur émérite à l’INRS Mario Polèse est un des concepteurs du programme de doctorat conjoint INRS-UQAM en études urbaines, un des premiers du genre au Québec et au Canada. Il a également occupé des fonctions au sein de l’UNESCO, de la Banque mondiale et de l’OCDE ou comme professeur invité à l’étranger. Le professeur Polèse a publié une centaine d’articles dans des revues scientifiques réputées et près d’une vingtaine de livres. Il est aussi professeur associé à l’École d’urbanisme de l’Université McGill.