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Nancy Wiscutie-Crépeau : conscientiser le public aux enjeux entourant la réconciliation dans le domaine de l’éducation 

18 janvier 2024 | Julie Robert

Mise à jour : 24 septembre 2024

La professeure de l’unité mixte de recherche INRS-UQAT partage sa vision de la réconciliation en éducation.  

La professeure Nancy Wiscutie-Crépeau

La professeure Nancy Wiscutie-Crépeau

Spécialiste dans le domaine de l’éducation autochtone, la professeure Nancy Wiscutie-Crépeau a développé une expertise en didactique des langues en contexte autochtone. Elle est notamment préoccupée par la place des langues autochtones dans la sphère scolaire. Ses travaux sont réalisés dans une perspective de décolonisation de la recherche.  

À ce titre, et en tant que membre de l’unité mixte de recherche en études autochtones INRS-UQAT, la professeure Wiscutie-Crépeau a été rédactrice invitée dans le numéro spécial de La revue de l’Association canadienne pour l’étude de curriculum (RACÉC) pour son édition 2023. Elle y cosigne le texte « La portée de la Commission de vérité et de réconciliation dans les contextes francophones canadiens »avec ses collègues Nicholas Ng-A-Fook de l’Université d’Ottawa, Jo Anni Joncas de l’Université de Sherbrooke et Laurie Pageau de l’Université du Québec à Chicoutimi. 

La chercheuse a participé à cette réflexion collective sur la portée des appels à l’action de la Commission de vérité et de réconciliation dans les milieux éducatifs francophones. 

Elle-même Anicinabekwe originaire de l’Abitibi, Nancy Wiscutie-Crépeau partage son expérience dans la rédaction de ce texte et, plus largement, sa vision de la réconciliation.

En quoi consistait votre collaboration à cette revue? Dans quel contexte s’inscrit-elle?  

Ce numéro spécial porte sur les enjeux d’autochtonisation, de réconciliation, de décolonisation et d’identités en éducation, ainsi que sur ceux relatifs aux politiques éducatives et au curriculum. L’objectif de notre collaboration était de faire état des travaux en contextes francophones canadiens afin de mieux comprendre la position particulière de ces communautés dans le projet de colonialisme de peuplement (settler colonialism) canadien.  

Les contributions qui s’y trouvent présentent des recherches émergentes réalisées sur différents territoires traditionnels autochtones au Québec, de même que des réflexions d’ordre théorique proposées par des chercheurs en contextes québécois, albertain et saskatchewanais. 

L’idée derrière cette collaboration était spécifiquement d’observer ce qui se fait en matière de réconciliation avec les Peuples autochtones dans les contextes francophones, car en réalité, on en sait très peu à ce sujet. 

En effet, quand on aborde la question de la réconciliation dans les écrits scientifiques en éducation au Canada, c’est souvent dans un contexte anglophone. Pourtant, plusieurs réflexions pertinentes ou travaux en contextes francophones, tant au Québec que dans le reste du Canada, méritent qu’on y porte un regard en raison des enjeux spécifiques qu’elles présentent.  

Au Québec, comme le souligne le professeur Dwayne Donald dans une entrevue réalisée avec lui pour cette publication, les communautés francophones, qui existent depuis plusieurs générations, ont mené des luttes identitaires qui sont profondément liées avec cet endroit qu’on appelle aujourd’hui le Québec, ce qui complexifie les relations entre les Québécois et les Peuples autochtones.   

C’est pourquoi une réflexion individuelle et collective est nécessaire pour déterminer comment cheminer ensemble vers la réconciliation, comment transformer, en tant que société québécoise, les relations avec les Peuples autochtones pour que celles-ci soient plus équilibrées et dans le respect de leurs droits les plus fondamentaux.  

Photo : Nancy Wiscutie-Crépeau

D’ailleurs, la Commission de vérité et de réconciliation énonce un principe qui porte sur l’éducation soutenue du grand public au sujet des impacts des pensionnats, des droits des Peuples autochtones et de leurs contributions historiques et contemporaines à la société. Je pense que les enseignantes et enseignants ont un rôle très important à jouer dans le processus de réconciliation. Ils ont, eux aussi, des engagements à prendre.  

En recherche et en formation, on devrait développer le réflexe de réfléchir à notre positionnalité, c’est-à-dire comment chacun d’entre nous se situe dans le contexte sociohistorique actuel. Cette réflexion sur notre héritage colonial est nécessaire si on veut transformer nos relations et comprendre la complexité des enjeux qui entourent la vérité et la réconciliation. Accorder une place aux savoirs autochtones dans nos travaux de recherche comme en enseignement ne se fait pas n’importe comment. 

Qu’avez-vous retiré de cette expérience de rédactrice invitée? Qu’en est-il de votre réflexion en tant que chercheuse et personne autochtone?   

C’était en fait ma première expérience en tant que rédactrice invitée et j’ai apprécié cette collaboration. Quand on m’a approchée pour collaborer dans le cadre de cette publication, je me suis demandé quel pourrait être mon apport puisque je ne travaille pas sur la réconciliation en tant que telle.  

Toutefois, en tant que personne autochtone formée en éducation et enfant d’une mère ayant fréquenté un pensionnat pendant une dizaine d’années, je me sens concernée par ce qui se passe aujourd’hui en éducation en matière de vérité et de réconciliation. Cette contribution était une occasion d’en connaître davantage sur cet aspect. 

Aussi, j’ai trouvé que ce projet représentait une façon de créer des liens avec mes collègues qui s’intéressent à ces questions et surtout de contribuer à mieux faire connaître l’état d’avancement de ce qui se passe dans les contextes francophones en ce qui concerne la réconciliation. Il nous reste encore un long chemin à parcourir dans ce processus, et connaître la vérité est une étape incontournable et préalable à la réconciliation. 

Vos recherches portent entre autres sur la place des langues autochtones dans l’espace scolaire. En quoi le thème de ce numéro spécial sur la réconciliation dans les contextes francophones canadiens fait-il écho à vos travaux?   

Dans le domaine de la recherche, il y a un travail important à faire avec les communautés autochtones pour changer les pratiques, c’est-à-dire pour décoloniser nos façons de faire. Nous sommes appelés en tant que chercheurs à nous adapter aux communautés et à être à l’écoute des préoccupations qu’ont les Peuples autochtones, ce qui veut dire que nos projets doivent partir de la base et avoir des retombées concrètes pour les communautés avec lesquelles on collabore. Nos travaux devraient également favoriser un dialogue entre les savoirs scientifiques et les savoirs autochtones, dans le respect de leur manières de connaître et d’être. 

La réconciliation, de mon point de vue, implique aussi des actions réparatrices. Réalisant des travaux qui soutiennent la réappropriation d’une langue autochtone dans un contexte scolaire par exemple, c’est une façon de contribuer à réparer ce qui a été brisé. Rien n’est parfait dans ce travail, mais je considère que ces actions permettent de faire avancer certaines des aspirations qu’ont les Peuples autochtones, dont l’accès à une éducation de qualité pour les prochaines générations. 

Bref, je pense que la réconciliation ne se limite pas qu’à poser des actions dans le cadre de notre profession. Cela va beaucoup plus loin. Il faut aussi vivre la réconciliation et lui donner un sens dans chacune de nos vies.