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Sophie Duchesne : repenser la gestion de l’eau en milieu urbain

12 août 2025

Mise à jour : 12 août 2025

La série « Tour d’horizon en trois questions » met en valeur la recherche sous toutes ses formes et porte un regard éclairé sur l’actualité

Professeure Sophie Duchesne experte en hydrologie et en infrastructures urbaines

Le Québec connaît de plus en plus d’épisodes de pluies torrentielles et d’orages violents durant la saison estivale. Si cette réalité n’était pas courante voici encore quelques décennies, elle risque de devenir la nouvelle norme – conséquence directe des changements climatiques.  

Or, les infrastructures et les aménagements des villes n’ont pas été pensés pour répondre à ces événements extrêmes. Afin d’affronter les pluies diluviennes, les municipalités doivent revoir leurs façons de bâtir, notamment grâce aux données et aux avancées permises par la recherche, une alliée indispensable dans ce processus. 

À l’Institut national de la recherche scientifique (INRS), la professeure Sophie Duchesne dédie ses travaux aux questions entourant la gestion de l’eau en milieu urbain, comme l’eau potable et les eaux pluviales et usées. La spécialiste s’intéresse plus particulièrement au renouvellement des infrastructures, à l’impact des fortes pluies sur les réseaux et aux meilleures pratiques à adopter pour construire des villes plus résilientes. 

Basée au Centre Eau Terre Environnement de l’INRS, Sophie Duchesne est responsable du Laboratoire de gestion hydraulique des réseaux de distribution de l’eau potable et titulaire de la Chaire de recherche municipale en gestion durable de l’eau soutenue par la Fédération québécoise des municipalités (FQM) 

Pour mieux comprendre les enjeux que connaissent les municipalités québécoises en matière de gestion de l’eau, la professeure Duchesne répond à nos questions. 

Dans quelle mesure les infrastructures urbaines en matière d’écoulement des eaux ne répondent-elles plus aux besoins actuels lors de fortes pluies? 

Les infrastructures urbaines de gestion des eaux pluviales, comme les réseaux d’égout pluviaux, ont été conçues sur la base de l’analyse des observations de pluie du passé. Or, en raison des changements climatiques, on s’aperçoit que le régime des pluies a déjà commencé à changer et l’on sait que ce changement se poursuivra au cours des prochaines années. Une pluie extrême que l’on pouvait observer une fois tous les 10 ans en moyenne, à la fin du 20e siècle, pourrait dorénavant se produire deux fois plus souvent. C’est donc dire que les refoulements d’égout et les inondations de surfaces urbaines surviendront de plus en plus fréquemment. 

Au Québec, le dérèglement climatique cause non seulement une intensification des événements pluvieux extrêmes, mais également une hausse de la quantité de pluie totale tombée en une année ainsi qu’une augmentation des épisodes de pluie en périodes hivernale et printanière. Combinés à un sol gelé et à la fonte du couvert neigeux, ces événements peuvent aussi causer des dégâts importants en milieu urbain. 

En plus des changements climatiques qui entraînent des modifications importantes dans le régime pluvieux, les villes se développent souvent plus rapidement et sur un plus grand territoire que ce qui était prévu lorsque les infrastructures de gestion des eaux pluviales actuellement en place ont été conçues.  

Or, le développement urbain s’accompagne presque toujours d’une minéralisation des surfaces par l’ajout de toitures, de rues, de trottoirs et de stationnements. Ces surfaces imperméables, contrairement aux surfaces naturelles qui sont perméables, empêchent l’eau de s’infiltrer dans le sol. Ainsi, dès qu’il pleut en ville, la pluie tombe, s’accumule et s’écoule sur des surfaces qui ne permettent pas à l’eau de s’infiltrer, ce qui engendre d’énormes quantités d’eau à transporter vers des endroits où elle ne nuira pas aux activités humaines. Plus la ville s’agrandit et plus les surfaces imperméables s’étendent, plus la quantité d’eau générée par la pluie augmente et, par conséquent, plus le risque d’inondations urbaines dues à la pluie s’accroît.  

On parle de plus en plus des concepts de « ville éponge » ou de « parc éponge ». Dans le cadre de vos travaux, vous étudiez ces pistes de solutions et vous avez participé à l’étude de tels espaces. En quoi ces concepts viennent-ils modifier l’idée que l’on se fait d’une ville aujourd’hui? 

Le concept de « ville éponge », qui peut se décliner en « parc éponge », « rue éponge » ou « stationnement éponge », signifie que l’on souhaite transformer la ville afin que la pluie qui y tombe soit en mesure de s’infiltrer dans le sol. La ville agit ainsi comme une « éponge », à l’intérieur de laquelle l’eau peut s’accumuler, plutôt que comme une immense surface imperméable qui génère de grandes quantités d’eau à gérer dès qu’il pleut. Bien sûr, cela ne signifie pas que toutes les surfaces de béton ou d’asphalte doivent être éliminées de nos villes, mais plutôt que les eaux de pluie qui ruissellent sur ces surfaces imperméables devront être dirigées vers des endroits où elles pourront s’infiltrer. Traditionnellement, ces eaux de ruissellement étaient toutes canalisées vers des réseaux souterrains de conduites, via les bouches d’égout. Dorénavant, on tente d’acheminer une partie de ces eaux vers des surfaces perméables, comme des jardins ou des plates-bandes. 

Par exemple, dans le cas d’un parc éponge, les rues adjacentes au parc sont reprofilées afin que les eaux de ruissellement qui y sont générées lors d’une pluie soient dirigées vers le parc. Ce parc est pensé avec des aménagements particuliers qui favorisent la rétention temporaire de l’eau et son infiltration dans le sol, par exemple avec des petites digues pour retenir l’eau à des endroits où le sol est très perméable. Lors de pluies plus abondantes, les eaux excédentaires peuvent être relâchées vers le réseau souterrain de conduites, mais à un rythme beaucoup plus lent et en moins grande quantité que s’il n’y avait pas de parc éponge. En prime, lorsqu’il fait beau, les citoyens peuvent profiter du parc pour diverses activités sportives et récréatives, ou tout simplement pour relaxer ! 

Le principe est le même pour les rues et stationnements dits « éponges ». Dans ce cas, on aménage des espaces végétalisés en bordure ou au centre de la rue ou du stationnement, vers lesquels les eaux de ruissellement provenant des surfaces imperméables sont dirigées. Ces espaces sont communément appelés « systèmes de biorétention ». En choisissant judicieusement les espèces de végétaux (vivaces, arbustes et arbres) qui y sont plantées, on favorise non seulement la rétention et l’infiltration d’une partie des eaux pluviales, mais également son « évapotranspiration », soit son transfert vers l’atmosphère. Ceci réduit d’autant plus les quantités d’eau pluviale dirigées vers les égouts souterrains, tout en contribuant au rafraîchissement des quartiers urbains en période estivale.  

En tant que chercheuse, vous accompagnez activement les municipalités et les instances gouvernementales dans leurs efforts d’adaptation face aux changements climatiques. Comment cette recherche bénéficie-t-elle concrètement aux citoyennes et citoyens ?  

Ce travail d’accompagnement se concrétise par la réalisation d’activités de recherche de concert avec des municipalités et des ministères québécois ainsi que par la diffusion de nos résultats de recherche auprès d’ingénieures et ingénieurs, d’urbanistes et de gestionnaires qui pourront les mettre en application. Depuis maintenant près de dix ans, mon équipe a réalisé de nombreux projets de recherche en collaboration avec mes collègues de l’Université Laval (G. Pelletier, G. Grégoire et P. Lessard) et une quinzaine de municipalités québécoises.  

À titre d’exemple, nous avons installé des instruments de mesure dans plusieurs systèmes de biorétention afin de mieux comprendre comment ces systèmes permettent, en contexte québécois, de réduire les quantités d’eau pluviale rejetées vers les réseaux d’égout et d’améliorer la qualité de cette eau. Ces travaux nous ont notamment permis de constater que les biorétentions fonctionnent très bien en climat québécois, même en hiver lors des redoux hivernaux, contrairement à ce que plusieurs redoutaient. Nous avons également réalisé un mandat pour le ministère des Transports et la Mobilité durable en vue d’évaluer la performance et les avantages d’un asphalte perméable combiné à une chaussée en pierre nette comme ouvrage de gestion des eaux pluviales dans un stationnement. L’ensemble des résultats de recherche issus de ces travaux nous a permis d’émettre des recommandations pour améliorer la conception, la construction et l’entretien des divers types d’ouvrages de gestion durable des eaux pluviales en milieu urbain, dont les infrastructures végétalisées. 

Plus récemment, nous avons mis sur pied, à l’INRS, une Chaire de recherche municipale en gestion durable de l’eau soutenue par la Fédération québécoise des municipalités (FQM). Un des objectifs de cette chaire est de mutualiser les ressources et les efforts du monde municipal québécois afin que nos travaux de recherche répondent aux besoins les plus criants du plus grand nombre. Elle vise aussi à favoriser la diffusion de nos résultats de recherche vers les utilisatrices et utilisateurs locaux. Nos travaux s’attarderont sur les enjeux liés à la gestion des eaux pluviales décrits ci-haut, mais également aux problématiques d’alimentation en eau potable ainsi qu’à la préservation de la ressource eau et des écosystèmes urbains. 

Le fait de travailler directement avec des municipalités et des ministères nous permet de nous assurer que les résultats de nos recherches servent à améliorer les pratiques à très court terme, ce qui bénéficie directement aux citoyennes et citoyens des diverses villes du Québec.