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Des chercheurs de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS), dirigés par le professeur Luca Razzari, ont découvert une façon économique d’ajuster le spectre d’un laser vers l’infrarouge, une bande spectrale d’intérêt pour de nombreuses applications laser.
Ils ont collaboré avec des équipes de recherche autrichiennes et russes afin de mettre sur pied cette innovation qui fait maintenant l’objet d’une demande de brevet. Les résultats de leurs travaux viennent d’être publiés dans Optica, le journal phare de l’Optical Society (OSA).
Dans ce domaine d’étude, de nombreuses applications laser présentent un avantage considérable si la longueur d’onde de l’impulsion est située, et éventuellement ajustable, dans la région de l’infrarouge. Cependant, les technologies laser ultrarapides actuelles sont encore difficilement réglables, et les scientifiques doivent explorer divers processus non linéaires pour déplacer la longueur d’onde d’émission. L’amplificateur optique paramétrique (OPA) était jusqu’à présent le seul outil largement utilisé pour atteindre cette fenêtre infrarouge. Bien que les systèmes OPA offrent une large bande de réglage, ils sont complexes – leur fonctionnement requiert souvent plusieurs étapes – et assez coûteux.
L’équipe du professeur Luca Razzari, en collaboration avec le professeur Roberto Morandotti, a démontré que cet ajustement pour des longueurs d’onde plus vastes peut être obtenu avec un système simple et beaucoup moins coûteux : une fibre creuse (capillaire) remplie d’azote. Cette approche permet également d’obtenir des impulsions optiques plus courtes que celles du laser entrant. Les chercheurs ont pu profiter de l’expertise de l’INRS dans ce domaine, puisque le système particulier pour la fabrication de ces fibres est commercialisé par la jeune pousse de l’INRS few-cycle.
Habituellement, les fibres sont remplies d’un gaz monoatomique, tel que l’argon, permettant d’élargir symétriquement le spectre du laser, puis de le compresser en une impulsion optique beaucoup plus courte. L’équipe a découvert qu’en utilisant un gaz moléculaire comme l’azote, l’élargissement spectral était toujours possible, mais cette fois de manière inattendue.
« Plutôt que de s’étendre de façon symétrique, le spectre a été décalé de façon impressionnante vers des longueurs d’onde infrarouges moins énergétiques. Ce déplacement de fréquence est le résultat d’une réponse non linéaire, associée à la rotation des molécules de gaz. Il peut donc être facilement contrôlé en faisant varier la pression du gaz, c’est-à-dire le nombre de molécules dans la fibre. »
Le postdoctorant Riccardo Piccoli, qui a dirigé les expériences dans l’équipe du professeur Razzari
Une fois élargi vers l’infrarouge, le spectre sortant est filtré pour ne garder que la bande d’intérêt. Avec cette approche, l’énergie du faisceau laser est transférée dans le domaine spectral proche de l’infrarouge, avec une efficacité comparable à celle des systèmes OPA, et ce, dans une impulsion trois fois plus courte que celle d’entrée, sans appareil complexe ni système de postcompression.
Pour finaliser la recherche, les chercheurs de l’INRS ont joint leurs connaissances à celles de collègues autrichiens et russes.
« Nous avons mis en commun nos expertises à la suite d’une conférence durant laquelle nous avons découvert la similitude des phénomènes observés par nos groupes. »
Luca Razzari, professeur
Les chercheurs basés à Vienne, dirigés par le professeur Andrius Baltuska et le postdoctorant Paolo Carpeggiani, avaient une stratégie complémentaire à celle de l’INRS. Ils utilisaient aussi une fibre remplie de nitrogène, mais plutôt que de filtrer le spectre, ils le compressaient dans le temps avec des miroirs capables d’ajuster la phase de l’impulsion élargie. « Dans ce cas, le décalage global de l’infrarouge était moins extrême, mais l’impulsion finale était beaucoup plus courte et plus intense, ce qui convient parfaitement à la physique des attosecondes et des champs forts », explique Paolo Carpeggiani.
L’équipe basée à Moscou, dirigée par le professeur Aleksei Zheltikov, concentrait ses travaux sur le développement d’un modèle théorique capable d’expliquer ces phénomènes de décalage. En joignant ces trois approches, les chercheurs ont pu comprendre la dynamique complexe sous-jacente, en plus de parvenir non seulement à l’extrême décalage vers le rouge grâce à l’azote, mais aussi à une compression efficace des impulsions dans la bande infrarouge.
Cette équipe internationale estime que la méthode proposée a le potentiel de répondre à la demande croissante dans ce domaine, en particulier quant aux sources ultrarapides de grandes longueurs d’onde. Ces dernières sont nécessaires dans de nombreuses applications laser et liées aux champs forts, à commencer par des systèmes ajustables de qualité industrielle moins coûteux basés sur la technologie émergente du laser à l’ytterbium.
Les chercheurs ont reçu le soutien financier du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG), de Prompt, de l’Austrian Science Fund (FWF), de la Russian Foundation for Basic Research (RFBR), de la Welch Foundation et de la Russian Science Foundation (RSF).