Nicolas Doucet est un jeune chercheur entré en fonction comme professeur au Centre INRS–Institut Armand-Frappier au mois d’août 2010. Son axe de recherche : la compréhension de la dynamique moléculaire impliquée dans l’activité catalytique des enzymes, ou comment les composants de ces protéines que sont les enzymes bougent et interagissent entre elles pour permettre la catalyse, c’est-à-dire l’augmentation de la vitesse des réactions chimiques. La compréhension de ces mécanismes complexes présente un intérêt captivant : sera-t-on capable, un jour, de créer des enzymes “ à la carte ”, naturelles, biodégradables et extrêmement efficaces ? Ces catalyseurs, qui présentent d’indéniables avantages, constituent l’objectif des travaux de recherche de Nicolas Doucet et de son équipe.
Si Nicolas Doucet affirme ne pas être un scientifique « de naissance », il n’en est pas moins aujourd’hui un chercheur passionné, curieux et inspiré. « Constater que les meilleurs catalyseurs connus sont créés par le vivant a été une vraie révélation ! », avoue-t-il d’emblée.
Le vivant, impeccable et mystérieuse mécanique
Pour sa maîtrise et son doctorat, Nicolas Doucet rejoint la professeure Joelle N. Pelletier, du Département de chimie de l’Université de Montréal. Avec elle, il observe le rôle de la structure d’une enzyme sur sa fonction, plus précisément l’interaction entre le substrat (un antibiotique) et le site actif d’une enzyme (la bêta-Lactamase TEM1). En mutant plusieurs gènes de l’enzyme, ils s’aperçoivent que, même éloignés du site actif, les acides aminés mutés affectent la catalyse. Comment une altération aussi éloignée du site actif peut-elle avoir un effet ? Nicolas Doucet se penche alors sur une technique capable d’apporter des réponses : la résonance magnétique nucléaire (RMN), qui sert à caractériser de petites molécules et des protéines, leur structure, mais surtout leurs mouvements dynamiques, et émet l’hypothèse que certains acides aminés des protéines sont en réalité impliqués dans des réseaux dynamiques ayant un effet en cascade.
La RMN, devenue le fil d’Ariane de ses recherches, le conduit pour son postdoctorat jusqu’à J. Patrick Loria, professeur au Département de chimie de l’Université Yale. Avec lui, Nicolas Doucet s’intéresse aux évènements dynamiques se déroulant à l’échelle de la catalyse, c’est-à-dire à l’échelle de la milliseconde. « Une protéine n’est pas une molécule fixe, précise-t-il. Quand elle est en solution, tout bouge : ses atomes, les liaisons des atomes entre eux, etc. Ces mouvements ne se font pas tous à la même vitesse : la vibration d’un lien entre un carbone et un hydrogène se produit plusieurs fois par femtoseconde (10-15 sec.), mais la catalyse, elle, se déroule à une échelle beaucoup plus lente, de l’ordre de la milliseconde (10-3 sec.) ». Le professeur Loria ayant développé une technique permettant d’observer grâce à la RMN les évènements à l’échelle de la catalyse, ils identifient les acides aminés impliqués dans la perte d’activité de l’enzyme étudiée (la Ribonucléase bovine A, ou RNase A bovine) et commencent à « jouer aux Lego® » : par exemple, qu’arrive-t-il si on enlève telle zone ou tel acide aminé ? À tâtons, les deux chercheurs voient donc apparaître les liens dynamiques de la protéine.
L’enzyme, une savante architecture
Les recherches de Nicolas Doucet forment le prolongement de son parcours universitaire et suivent deux axes. Le premier : déterminer, entre autres, si l’enzyme humaine RNase 1 se comporte comme la RNase A bovine. Très similaires en structure, ont-elles toutefois la même dynamique ? Si oui, cette découverte conduirait à une meilleure compréhension de la conservation évolutive du monde enzymatique. Le second axe des travaux menés dans son laboratoire est davantage lié à l’ingénierie des protéines. Ainsi, d’un point de vue génétique, il est très facile d’assembler des morceaux de matériel génétique pour obtenir de nouvelles enzymes, mais peut-on conserver la structure, la dynamique et l’activité catalytique ? Si cela se révèle le cas, les applications dans les domaines industriel, environnemental et pharmaceutique seraient très prometteuses, comme l’explique Nicolas Doucet : « Il s’agit de recréer des mutants selon les qualités recherchées. Une enzyme est totalement biodégradable et inerte. Son impact sur la nature est nul, et son rendement pour transformer le produit A en produit B est inégalé ». Si des enzymes naturelles sont déjà utilisées, on peut envisager la fabrication d’enzymes adaptées à des usages précis, par exemple pour la dépollution des sols. « Le monde nanoscopique nous livre peu à peu ses secrets et on est encore loin de pouvoir créer tout ce qu’on veut. Je ne suis pas sûr de voir ça de mon vivant, estime Nicolas Doucet, mais nos recherches, fondamentales ou appliquées, tendent toutes vers ce résultat. »
Nicolas Doucet est un homme que les mystères fascinent : « Nous voyons fonctionner parfaitement la machine, mais sommes incapables de la caractériser complètement et de la reproduire. On dirait que l’évolution a optimisé quelques échafaudages moléculaires d’une redoutable efficacité… dont on cherche toujours à comprendre le design ». Améliorer la communication avec le secteur privé pourrait accélérer les choses, car selon lui, « l’université et l’industrie ont beaucoup à s’apporter mutuellement ».
Le gouvernement canadien tente d’ailleurs d’établir des ponts entre les deux secteurs, mais il reste encore beaucoup à faire avant de pouvoir, un jour peut-être, commander des enzymes à la carte. ♦
Apprenez-en plus sur les travaux de recherche de Nicolas Doucet en visitant The Doucet Lab.
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