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Une puce optique pour un cryptage indéchiffrable

Publié par Marc-André Sabourin

14 novembre 2013

( Mise à jour : 20 mai 2021 )

Au cours des derniers mois, l’inquiétude quant à la sécurité du transfert de données confidentielles a monté d’un cran. La quantité d’information transigeant par des réseaux de télécommunications est en croissance exponentielle et il devient de plus en plus important qu’elles ne puissent être interceptées, tant pour le monde des affaires, les simples consommateurs que les gouvernements. Ceux qui ont des secrets à protéger ont besoin d’une méthode de cryptographie à toute épreuve, et la photonique quantique pourrait bien résoudre ce problème. Non pas dans 50 ans, mais dans un avenir proche.

Christian Reimer Photo : Christian Fleury

Une solution proposée à l’heure actuelle provient de la recherche effectuée dans le laboratoire de Roberto Morandotti, professeur au Centre Énergie Matériaux Télécommunications de l’INRS. L’équipe a développé une puce optique fabriquée à base de verre pour permettre un cryptage bien particulier. L’un des doctorants du laboratoire, Christian Reimer, a récemment remporté une prestigieuse bourse d’études supérieures du Canada Vanier. Originaire d’Allemagne, Christian Reimer est arrivé à l’INRS en septembre 2012 : « Roberto est très connu dans le milieu de l’optique intégrée [NDLR : la création de circuits optiques sur des puces telles que celles utilisées dans le domaine de l’électronique], et je voulais rejoindre son groupe pour travailler sur de nouveaux composants prometteurs pour l’optique non-linéaire intégrée et l’optique quantique. »


Photons sous observation

Sur la puce plus petite qu’une pièce d’un dollar que Christian Reimer manipule, ce ne sont pas des électrons qui circulent comme dans le cas d’une puce électronique, mais bien de la lumière. Elle y est guidée et manipulée de façon à générer des paires de photons possédant des propriétés uniques, appelées intrication quantique. En utilisant un anneau de résonance, ces paires de photons sont générées, séparées et utilisées pour différentes applications, dont le cryptage de données.

Dans cet état, deux particules intriquées sont directement liées. Leurs propriétés deviennent corrélées, qu’elles soient à quelques nanomètres ou à des milliards de kilomètres l’une de l’autre. « Si je mesure une des caractéristiques d’un photon intriqué, sa polarisation par exemple, cette mesure peut me donner l’état dans lequel se trouve le deuxième photon, quelque soit l’endroit où il se trouve », raconte Christian Reimer.

Et comment des photons intriqués permettent-ils de soustraire aux regards indiscrets des secrets industriels ou des documents policiers confidentiels? Imaginons deux hommes d’affaires qui s’échangent des paires de photons intriqués à l’aide d’une fibre optique branchée aux appareils de détection nécessaires. En utilisant les propriétés quantiques de la lumière, cet échange génère une clé de cryptage quantique unique à l’aide de laquelle l’information est codée. Si une personne intercepte le signal à même la fibre optique, par exemple, la clé sera automatiquement détruite, les hommes d’affaires sauront que leurs échanges sont interceptés et la télécommunication cessera. Grâce aux propriétés fondamentales de la mécanique quantique, les données échangées resteront ainsi toujours protégées et ne pourront être copiées quelles que soient les méthodes employées.

« En théorie, la cryptographie quantique est sécuritaire à 100 %, indique Christian Reimer. La Suisse l’a même utilisée en 2007 pour crypter le transfert des résultats lors des élections régionales. » Non sans problème toutefois : les systèmes utilisés actuellement sont imposants, extrêmement lents, chers et parfois incompatibles avec les réseaux standards. Sauf si on intègre la source quantique sur une puce. « Le problème avec les sources de photons quantiques intégrées précédemment utilisées est qu’elles sont instables et fonctionnent pour un temps limité de quelques minutes, précise le doctorant. Une nouvelle approche nous a permis de résoudre ce problème et de faire en sorte que la puce utilisée soit capable de fonctionner pendant plusieurs mois, voire plusieurs années. »


Longueurs d’onde et vitesse de transmission

Implanter une nouvelle technologie dans une industrie s’avère souvent long et ardu, surtout dans un domaine comme celui des télécommunications où les infrastructures requises coûtent des milliards de dollars. Pour faciliter la tâche des entreprises, Christian Reimer et l’équipe du professeur Roberto Morandotti se sont d’abord assurés que leur puce réponde aux normes techniques déjà établies. « Tout est standard. La puce peut déjà être fabriquée en usine, et les longueurs d’onde auxquelles sont émis les photons correspondent à celles utilisées par les compagnies de télécommunications. De plus, la question de stabilité étant résolue, la puce remplit tous les prérequis techniques pour son industrialisation et sa large implémentation. »

Christian Reimer et le professeur Morandotti continuent de perfectionner leur puce afin de faciliter davantage son implantation dans l’industrie. En effet, à l’heure actuelle un amplificateur de la taille d’un petit modem est nécessaire pour augmenter l’intensité du signal lumineux et des filtres additionnels externes sont requis pour séparer et diriger les photons intriqués. « Nous essayons d’intégrer certains de ces éléments, comme l’amplificateur et les filtres, directement sur la puce », explique Christian Reimer, car plus le système sera petit, plus ce sera facile de l’incorporer à de l’équipement informatique.

La vitesse de transmission de l’information cryptée constitue aussi un défi. Dans les télécommunications classiques, on envoie les données sur différents canaux de longueur d’onde, ce qu’on appelle le multiplexage. Ceci permet d’augmenter la quantité de données transmises à travers la fibre optique. Actuellement, le multiplexage d’un signal quantique présente un haut niveau de difficulté. « Grâce au dispositif que nous avons conçu, nous avons la possibilité de générer des longueurs d’onde de paires de photons multiplexées. Malgré tout, la technologie quantique sera toujours plus lente que les télécommunications classiques. » C’est le prix à payer pour obtenir une sécurité sans faille.

En se basant sur ces recherches très prometteuses, les chercheurs de l’INRS pourront passer à la prochaine étape : faire la démonstration que la puce à photons intriqués rend les télécommunications cryptées complètement sécuritaires. Car même si celles-ci sont plus lentes, au bout du compte, qu’importe le temps nécessaire au transfert de données cryptées si elles arrivent à bon port sans avoir été détournées?