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Les bénéfices insoupçonnés des transports en commun

Publié par François-Nicolas Pelletier

7 mars 2011

( Mise à jour : 17 septembre 2020 )

À Laval, l’arrivée du métro suscite l’inquiétude Une porte pour la criminalité : tels étaient le genre de titres qu’on lisait dans les médias les mois précédant l’ouverture de stations de métro sur l’Île Jésus, au printemps 2007. Des titres qui choquaient Julie-Anne Boudreau, professeure au Centre Urbanisation Culture Société de l’INRS et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur l’urbanité, l’insécurité et l’action politique. « C’est ridicule !, s’insurge-t-elle. Les vrais criminels se promènent en grosses bagnoles, pas en métro ! »

Cette situation l’a poussée à étudier les habitudes de déplacement des jeunes de Laval-des-Rapides, où sont situées les trois nouvelles stations, et du quartier Saint-Michel, à Montréal, connu pour ses gangs de rue. Julie-Anne Boudreau a voulu infirmer le préjugé selon lequel il y a un lien entre transport en commun et criminalité : son hypothèse était que l’usage du transport en commun permet au contraire le développement de compétences sociales qui peuvent éloigner les jeunes des gangs de rue.

Les bénéfices insoupçonnés des transports en commun

Ses résultats ne l’ont pas déçue. En effet, à travers un sondage et des entrevues individuelles avec des élèves de la fin du secondaire et du début du cégep, Julie-Anne Boudreau a constaté que « plus les adolescents se déplacent souvent en transport en commun de façon autonome, et plus ils ont commencé tôt à les utiliser, plus ils développent des compétences comme la débrouillardise et le sens de l’orientation ». En outre, « ceux qui se déplacent pour le plaisir de découvrir, ou qui font aussi des voyages internationaux, ont tendance à être plus curieux, à avoir une meilleure confiance en eux, et à être capables d’exprimer des opinions politiques plus développées ». Or, toutes ces qualités sont des indicateurs d’un bon développement personnel « qui peut aider les jeunes à ne pas tomber sous le charme des gangs de rue », explique la chercheure.


Les voyages forment la jeunesse

Julie-Anne Boudreau croit d’ailleurs que son étude pourrait inspirer des interventions novatrices : « Pourquoi les écoles n’envoient-elles pas leurs élèves faire des périples en transport en commun pour visiter un quartier qu’ils ne connaissent pas et revenir en faire une description à la classe ? Ce serait une façon de développer l’autonomie et la curiosité », affirme la professeure et chercheure.

Malheureusement, ce n’est pas le type d’approche qui prévaut au Québec, et elle se montre très critique de ce qu’elle constate à ce chapitre : « Tout est axé sur les “ facteurs de risque ”. On dit aux jeunes : “ Tu vis dans tel quartier, dans une famille monoparentale, avec tel niveau économique, alors tu vas te retrouver dans une gang de rue ”. Ce courant de pensée ne laisse aucune marge d’action aux jeunes, ils n’ont aucun rôle à jouer dans leur propre vie », explique Julie-Anne Boudreau.

Son enquête, appuyée par le stage de son étudiant Alain Philoctète, lui a permis de constater que les jeunes du quartier Saint-Michel se sentent stigmatisés par le reste de la société. « Leur identité ne se résume pas à la violence, même s’il ne faut pas minimiser les actions des gangs de rue », dit-elle. Avec ces notions de mobilité et d’identité en tête, Julie-Anne Boudreau compte donner suite à cette première étude. Les prochaines phases incluront des comparaisons internationales, d’abord avec Mexico, puis avec Paris. Dans ce cas, elle pilotera une recherche-action qui impliquera trois banlieues parisiennes et, à Montréal, les quartiers Saint-Michel et Petite-Bourgogne. Elle demandera aux jeunes de réaliser un audioguide sur téléphone portable qui décrira leur environnement, afin de le présenter aux jeunes des autres quartiers de Montréal et de Paris. Le tout sera animé par des échanges dans un réseau social comme MySpace.

L’utilisation des nouvelles technologies est une des caractéristiques des travaux de Julie-Anne Boudreau. Lorsqu’elle a obtenu la Chaire sur l’urbanité, l’insécurité et l’action politique en 2005 (renouvelée en 2010), elle a créé le laboratoire VESPA (Ville et ESPAces politiques). Son laboratoire recourt notamment à des logiciels qui appuient l’analyse des entrevues. Il utilise aussi des GPS, des enregistreuses audio et des caméras vidéo qui facilitent la réalisation d’entrevues sur le terrain.

Dans le cas des jeunes, cette utilisation des nouvelles technologies est importante : « Leur rapport à l’espace n’a rien à voir avec les définitions juridiques et techniques qu’on utilise. Ce qu’ils veulent, c’est bouger, voir le monde, autant physiquement que virtuellement », soutient Julie-Anne Boudreau. Un désir que peut comprendre cette native de Kapuskasing, une petite ville du nord de l’Ontario, qui parcourt aujourd’hui le monde pour nourrir sa passion professionnelle – et personnelle – pour la mobilité !


Ce texte a d’abord été publié en mars 2011 dans le webzine PlanèteINRS.