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Les microorganismes dans nos cours d’eau pourraient-ils servir d’indicateurs précoces de l’état de santé des lacs?
Photo : Christophe Langevin
Comment juger de l’état de santé d’un lac? En regardant la clarté de l’eau, la densité d’algues microscopiques, ou encore la présence de rejets agricoles ou urbains? Toutes ces pistes sont bonnes. Mais si la plupart de ces caractéristiques permettent de faire le suivi de la qualité d’un lac et de détecter l’apparition de problèmes, rares sont celles qui permettent d’agir de manière préventive.
L’eutrophisation des lacs, que l’on observe en cas d’apports excessifs en éléments nutritifs, est déjà un problème récurrent au Québec. Dans un monde de plus en plus affecté par la crise climatique et par les activités humaines, l’identification d’indicateurs précoces des changements au sein des lacs contribuerait pourtant à leur préservation.
L’objectif que se sont fixé le professeur Jérôme Comte et la professeure Isabelle Laurion de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS) est justement de trouver des marqueurs qui pourraient prédire comment un lac est susceptible d’être affecté par un stress environnemental, c’est-à-dire par des changements rapides dans certaines caractéristiques de l’habitat chimique (p.ex. eutrophisation), physique (p.ex. barrage) ou biologique (p.ex. espèces envahissantes). Pour ces spécialistes des écosystèmes aquatiques, c’est du côté des populations microbiennes qu’il faut chercher.
« Les microbes sont au cœur même du fonctionnement des lacs. Ils sont impliqués dans le recyclage des éléments nutritifs et du carbone, bref, de tout ce qui peut y soutenir la vie. Néanmoins, ce sont aussi les premiers organismes à réagir à un changement dans l’eau. »
Professeur Jérôme Comte, spécialiste de la diversité et de la fonction microbienne.
« Alors la question est : les changements dans certaines populations de microorganismes peuvent-ils nous renseigner sur une détérioration prochaine de l’état de santé des lacs? »
Au Québec, la classification des lacs en fonction de leur niveau de productivité est déjà bien établie. Elle va du lac oligotrophe, aux eaux très claires, jusqu’au lac eutrophe, avec ses eaux troubles chargées d’éléments nutritifs et d’algues microscopiques. Passer d’un stade à l’autre fait partie du processus de vieillissement normal d’un lac ; cela s’accompagne d’un lent changement des microorganismes qu’on y retrouve. Toutefois, depuis quelques décennies, ces changements se sont accélérés en raison notamment des activités anthropiques. De plus, les bactéries connaissent à la fois des variations d’un type de lac à l’autre, mais aussi des variations saisonnières à l’intérieur d’un même lac. Dans ces conditions, comment savoir quel changement provient de l’activité humaine?
« La première étape, c’est de bien caractériser le microbiome de ces différents lacs », souligne la professeure Laurion, experte en écologie aquatique.
« On doit savoir comment il change selon les variations naturelles, saisonnières ou autres, et c’est seulement ensuite qu’on verra quelle proportion de la variabilité dans la diversité microbienne est due à des perturbations climatiques et anthropiques. »
Professeure Isabelle Laurion, experte en écologie aquatique.
Pour arriver à ces résultats, l’équipe de recherche du Centre Eau Terre Environnement de l’INRS s’est intéressée à des lacs déjà bien caractérisés dans le cadre du programme Réseau Lacs Témoins du ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, de la faune et des parcs (MELCCFP). L’objectif de ce programme est de suivre sur plusieurs années les dynamiques chimiques et biologiques de divers lacs représentatifs des différentes régions du Québec, afin d’identifier de possibles changements d’état.
« L’idée, c’est d’abord de trouver le profil type pour chacune des catégories de lacs », explique Christophe Langevin, étudiant au doctorat en sciences de l’eau à l’INRS et responsable de ce projet financé en partie par le programme Osmoz du MELCCFP. « Pour y arriver, on va prendre des échantillons d’eau puis en extraire l’ADN microbien. À l’aide d’un séquençage ciblé, on pourra ensuite dresser la carte d’identité microbienne du lac. L’échantillonnage a lieu du mois de mai à octobre, chaque année depuis 2020, ce qui va nous donner la variabilité saisonnière et interannuelle. »
Une fois cette carte d’identité en main, les chercheuses et chercheurs espèrent trouver dans ces variations des signes avant-coureurs d’une dégradation des lacs étudiés. « L’avantage du microbiome, c’est qu’il réagit rapidement, poursuit le doctorant. Quand on regarde les variables classiques telles que la chlorophylle a ou le phosphore dans un lac, et que leur concentration dépasse une certaine limite, il est déjà trop tard. Savoir quelle population microbienne change en amont d’une efflorescence de cyanobactéries, par exemple, permettrait de savoir ce qui va arriver avant qu’il n’y ait une dégradation visible. »
L’autre avantage d’une caractérisation du microbiome, c’est qu’il pourrait permettre de prévoir si un lac sera résilient face à un changement environnemental.
Pour s’assurer de cette résilience, les chercheuses et chercheurs font aussi des expériences en mésocosmes pour tester la réaction d’une communauté microbienne face aux changements physicochimiques liés à l’eutrophisation. « Avec le temps, on veut voir si les microbes vont se maintenir tout en variant dans leur abondance relative, ou si certains peuvent disparaître et d’autres prendre une place beaucoup plus importante, explique le professeur Comte. Si on voit venir un changement dans le stade trophique d’un lac lié à l’augmentation des entrées en phosphore par exemple, et qu’on met en place des mesures pour réduire ces entrées et ramener le lac à un niveau de productivité moindre, est-ce que les communautés de microbes reviendront à l’état initial? »
Des questions auxquelles l’équipe espère répondre au courant de l’année 2025.