En pleine pandémie, les dirigeants de plusieurs pays se tournent vers leur service de santé publique, les sciences médicales et épidémiologiques pour éclairer leurs décisions.
Nous en sommes tous soulagés. Néanmoins, alors que les décisions des dirigeants sont régulièrement débattues et remises en question dans les grands médias, l’urgence de la situation amène aujourd’hui les journalistes à faire usage d’une logique similaire en rapportant les résultats d’études scientifiques, souvent avant même qu’ils ne soient publiés. Ce nouveau vedettariat de la science pose à mon sens un risque sérieux.
La science est un processus social qui a toujours été animé de débats et de controverses à partir desquelles émerge éventuellement un consensus au sein de la communauté scientifique internationale. Ce processus est normal et n’a rien à voir avec la situation de la COVID-19. Ce n’est qu’une fois ce consensus atteint qu’il y a réellement une découverte scientifique à communiquer au grand public, une base sérieuse pour prendre une décision. Aller plus rapidement pose un risque élevé d’erreur.
En ce moment, la médiatisation de la pandémie de COVID-19 se déploie dans l’urgence. Plusieurs bonnes questions sont soulevées en rafale. Quelle est la durée de l’immunité acquise ? Pouvons-nous aspirer à une immunité de masse ? Quels avantages à porter le masque ? Quels sont les réels facteurs de risque ? À quand une deuxième vague ? Quel est le danger pour les enfants ? Pourrons-nous produire un vaccin efficace ? Pour toutes ces questions, le temps n’a pas encore permis à la science d’atteindre des consensus clairs.
Or, parler tous les jours de résultats scientifiques avant le consensus transforme le processus en une sorte de reality show où certaines équipes avancent un jour vers la découverte d’un vaccin, d’autres arrivent à déloger les défenseurs de l’hydroxychloroquine, une équipe montre que les enfants sont peu susceptibles de transmettre la maladie et une autre qu’ils en meurent.
Comme directeur général de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS), je m’inquiète de voir la science ainsi rapportée au quotidien comme un salmigondis de contradictions, empêtrée dans son processus trop lent à répondre clairement aux besoins de l’information en continu. La conséquence anticipée est une érosion palpable de la confiance du public envers ses scientifiques et la montée du cynisme qui fait dire à certains que la science ne répond qu’à des commandes de lobbys occultes.
Il y a ici un réel risque de rupture du lien de confiance entre la science et les citoyens qui la financent.
Dans le processus normal de la science, aucune étude n’est jamais parfaite et totalement convaincante. Son échantillonnage, sa méthodologie, son analyse et la critique de l’approche expérimentale, tout cela constitue le pain et le beurre de la science et des revues scientifiques au quotidien. Les études sur l’efficacité de l’hydroxychloroquine pour guérir de la COVID-19, par exemple, ont des failles, et plus l’effet du produit est maigre, plus les risques de résultats contradictoires sont réels. Ce n’est que graduellement, à partir des nombreuses études colmatant la faille des précédentes, qu’émergera un consensus scientifique international. Nous saurons alors éventuellement si l’hydroxychloroquine offre de réels avantages de guérison.
Si le processus scientifique n’avait pas été médiatisé de manière précoce, personne ne parlerait de ce produit (l’hydroxychloroquine), il n’y aurait aucune pénurie pour les gens qui en tirent réellement des bienfaits. Le médicament ne servirait pas de prétexte aux tenants de la théorie du complot et aucun chef d’État ne se vanterait aux médias d’en consommer pour se protéger de la COVID-19.
Cette pandémie fait et fera malheureusement de trop nombreuses victimes partout sur la planète, mais pour éviter que le lien de confiance entre le public et la communauté scientifique compte parmi celles-ci, nous devons tous être prudents. Les chercheuses et chercheurs doivent se montrer plus circonspects face à leurs résultats. Une étude, aussi convaincante soit-elle, n’est pas un consensus. Les journalistes doivent aussi prévenir les lectrices et lecteurs qu’une hirondelle ne fait pas plus le printemps en science que dans le quotidien.
Finalement, les citoyennes et les citoyens qui sont à l’affût de nouvelles scientifiques et d’espoir devront se montrer patients vis-à-vis des contradictions du processus scientifique et de sa lenteur apparente. Le consensus de la communauté scientifique internationale est notre seul rempart contre les pressions intéressées et l’erreur. La science est lente, coûteuse et risquée, mais c’est toujours ce que nous avons de mieux pour comprendre et agir efficacement sur le monde matériel.
Ce texte d’opinion a été publié le 7 juin 2020 dans La Presse.