Retour en haut

Quelle place pour les personnes piétonnes ?

13 octobre 2021 | Julie Robert

Mise à jour : 13 octobre 2021

Le comportement et la sécurité des piétonnes et piétons au cœur de la recherche.

sécurité des piétonnes et piétons au cœur de la recherche.

Nous sommes toutes et tous piétons, à chaque étape de notre vie et à différents moments de la journée. Les enfants en allant à l’école, les adultes pour qui la marche fait partie du quotidien, ou encore les usagères et usagers du transport en commun qui se rendent à leur station ou à leur arrêt. Pourtant, les personnes piétonnes semblent être les grandes perdantes en ce qui concerne la disponibilité d’aménagements adaptés et sécuritaires. Le mois d’octobre – mois du piéton – est l’occasion de souligner la marche comme mode de déplacement universel qui mérite une place sécuritaire dans notre environnement. La professeure de l’INRS Marie-Soleil Cloutier, experte en études urbaines et sécurité routière, revient sur la place des piétons dans l’espace urbain et sur les enjeux pour rendre les villes de demain plus accessibles à la marche.


Les piétons : usagers oubliés ?

La marche demeure encore aujourd’hui un mode de déplacement peu pris en considération dans les processus de planification du transport et de la mobilité. Pourtant, la recherche montre que la vitalité d’une ville est étroitement liée aux déplacements que les citadines et citadins effectuent à pied.

À la tête du LAboratoire Piétons et eSpace urbain (LAPS), la professeure Cloutier se penche, avec son équipe, sur la mobilité et la sécurité des piétonnes et piétons en milieu urbain. « On a pu observer une réappropriation de l’espace urbain durant la pandémie de COVID-19. Il y a eu un engouement de la part des citoyennes et citoyens. Les élues et élus municipaux ont répondu à leurs besoins avec des projets de rues piétonnes non seulement dans les grandes villes, mais aussi en région », livre-t-elle.

Marie-Soleil Cloutier

La volonté y est donc, mais la chercheuse rappelle « qu’un décès est toujours un décès de trop ». En effet, selon les chiffres, plus d’une soixantaine de piétonnes et piétons meurent ou sont gravement blessés chaque année à Montréal; dont la moitié ont 65 ans et plus. La Ville de Montréal, et de nombreux partenaires, s’est engagée à réduire à zéro le nombre de morts ou de blessés graves sur les routes de la métropole d’ici 2040 en adoptant une vision systémique de la sécurité routière qui implique des actions à plusieurs niveaux. 

« Ce sont les actions en continu qui permettront de voir les effets. Il faut intégrer les piétons dans les politiques publiques et les programmes de sécurité routière, et pérenniser nos actions. »

Professeure Marie-Soleil Cloutier, experte en études urbaines et sécurité routière


Adapter les villes pour nos piétons aînés   

Les recherches montrent que les personnes piétonnes âgées sont victimes d’un plus grand nombre d’accidents que les personnes plus jeunes. En effet, les aînés sont plus souvent victimes d’accidents à cause de leur âge (ils se déplacent plus lentement, voient moins bien, sont plus fragiles physiquement, etc.). Cette vulnérabilité est d’autant plus à considérer que la population du Québec est vieillissante

Comment protéger cette population à risque ?

Dans une étude publiée récemment dans la revue Flux, la professeure Cloutier et sa collègue Florence Huguenin-Richard, de Sorbonne Université, ont mesuré le potentiel de marche et l’accessibilité dans les espaces urbains pour les personnes piétonnes âgées.

L’objectif était d’adapter les outils de « marchabilité » existants aux besoins particuliers des personnes piétonnes aînées en matière d’équipements et de sécurité des espaces de circulation. Les chercheuses ont passé en revue la littérature scientifique concernant les initiatives de revalorisation de la marche dans les centres urbains en Europe et en Amérique du Nord. Elles ont mis au point une nouvelle grille d’évaluation, l’ont testée sur le terrain à Lille, dans le nord de la France, et onc comparé les résultats à ceux obtenus dans une ville comme Montréal. Les critères d’évaluation retenus étaient l’accessibilité, la sécurité routière et urbaine ainsi que l’attractivité et l’agrément.

 « Nos résultats ont montré que les besoins spécifiques des personnes plus âgées ne sont malheureusement pas suffisamment reconnus par les pouvoirs publics : disponibilité de bancs pour se reposer, accessibilité aux toilettes, aménagements pour éviter les chutes, explique la chercheuse. L’environnement urbain semble être pensé pour des jeunes actifs et réservé aux usagères et usagers les plus performants. »

Une partie de cette étude fait l’objet d’un chapitre du tout premier Dictionnaire pluriel de la marche en ville, à paraître au Québec aux Éditions L’Œil d’or, au début décembre. Cet ouvrage universitaire est une exploration conceptuelle, opérationnelle et parfois humoristique de divers domaines de connaissance relatifs à la marche en ville, un mode de déplacement abordé à travers 160 mots-clés qui soulève de nombreuses questions sur la vie et la mobilité en milieu urbain.


La cohabitation pour étudier les comportements

L’équipe de la professeure Cloutier, en collaboration avec des scientifiques de Polytechnique Montréal, s’est penchée sur le projet Zone lenteur , instauré sur l’avenue du Mont-Royal et sur la rue Wellington, à Montréal, cet été. L’objectif de ce projet pilote initié par l’arrondissement du Plateau-Mont-Royal, était de mieux comprendre la cohabitation entre les piétons et les cyclistes dans les rues piétonnes de la métropole.

« La cohabitation cyclistes-piétons à travers le concept de zone lenteur est assez inédite en Amérique du Nord. De plus, il y a peu de données de sécurité routière à ce sujet, puisque les seules données disponibles sur les collisions, publiées par la Société de l’assurance automobile du Québec, incluent l’implication d’un véhicule », lance la professeure Cloutier.

L’équipe de recherche a donc passé l’été à analyser les comportements des cyclistes à l’aide d’une grille d’observation et de la prise d’images vidéo. Cela a permis d’identifier les conflits entre piétons et cyclistes et de mesurer la vitesse de ces derniers sur différentes rues piétonnes de Montréal. L’équipe entame actuellement le troisième volet de sa collecte de données et est à la recherche de personnes souhaitant participer à des groupes de discussion et remplir un questionnaire Web sur la perception et les préoccupations des piétonnes et piétons.

« C’est en voyant les piétons comme des usagers à part entière dans l’aménagement de la rue que l’on pourra rééquilibrer l’espace public en leur faveur. »

Professeure Cloutier